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N° 259

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 septembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire l’usage des jets privés au sein du territoire français,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Thomas PORTES, Rodrigo ARENAS, Idir BOUMERTIT, Alexis CORBIÈRE, Hendrik DAVI, Sarah LEGRAIN, Mathilde PANOT, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Farida AMRANI, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Louis BOYARD, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, JeanFrançois COULOMME, Catherine COUTURIER, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Elsa FAUCILLON, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Sébastien JUMEL, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Karine LEBON, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Murielle LEPVRAUD, Frédéric MAILLOT, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, François PIQUEMAL, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACHTERRENOIR, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Paul VANNIER, Léo WALTER,

Député.e.s.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » déclarait Jacques Chirac lors du IVe sommet de la Terre en 2002.

Alors que l’année 2021 s’est classée parmi les sept plus chaudes jamais enregistrées, comme l’a révélé l’Organisation météorologique mondiale, les rapports d’alerte climatique s’empilent aussi rapidement que les dividendes augmentent de manière exponentielle, au profit des actionnaires.

Des paysages calcinés à perte de vue, des tempêtes qui ravagent nos côtes, un indice d’humidité des sols qui a atteint un niveau historiquement bas depuis le 6 août, plus de 100 communes privées d’eau potable, des décès au travail à cause de la chaleur : ces scénarios cataclysmiques ont rythmé notre été.

L’été 2022 a été le plus chaud après 2003, avec des températures de l’ordre de 2,3° C au‑dessus de la moyenne des années 1990‑2020. La France a fait face à un déficit de précipitations de ‑25 % par rapport à la moyenne des trente dernières années.

L’urgence climatique impose des mesures immédiates de rupture avec les logiques libérales actuellement à l’œuvre. Chaque seconde qui passe, et la covid l’a révélé de manière indéniable, le modèle capitaliste et productiviste nous amène à une double catastrophe, celle du creusement des inégalités et celle de la destruction de la planète.

Les ultras riches : des ultras pollueurs !

Toutes les études le démontrent, le niveau de la pollution est corrélé au niveau de richesse. En Europe, les 1 % les plus riches ont une empreinte carbone 22 fois supérieure à la limite de sécurité de 2 tonnes, ce qui représente 55 tonnes de CO2 par personne par an.

Dans notre pays, le patrimoine financier des 63 milliardaires français représente 152 millions de tonnes CO2, soit l’empreinte du patrimoine financier de 50 % des ménages Français.

Quand on étudie ces chiffres dans le détail, on constate qu’au travers de leur patrimoine financier, trois milliardaires français polluent plus qu’un cinquième des Français.

Si on prend pour exemple la seule famille Mulliez, propriétaire d’Auchan, elle émet autant d’émissions que toute la population de la région Nouvelle‑Aquitaine, soit 6 millions d’habitants.

Nous sommes face à une véritable pollution de classe dont les conséquences affectent en première ligne les populations les plus défavorisées, et notamment les enfants, comme l’a décrit l’étude consacrée à l’exposition des enfants pauvres à la pollution de l’air réalisée par le RAC (Réseau action climat) et l’Unicef.

Plusieurs associations, s’appuyant sur l’exemple parisien, ont évalué un risque de mortalité lié à la pollution trois fois plus élevé dans les quartiers populaires.

Comme l’explique Jodie Soret, chargée de la campagne contre la pollution de l’air à l’Unicef, « les populations pauvres peuvent plus difficilement se soustraire à des conditions défavorables - en partant en weekend, en vacances ou en déménageant - faute de ressources suffisantes ».

En Île‑de‑France, en 2019, la pollution de l’air était responsable de près de 1 décès sur 10, soit 7 900 décès prématurés. Au niveau national, ce chiffre est estimé à plus de 97 000, ce qui représenterait 17 % des morts prématurées recensés en 2018.

Les jets privés, symbole du sécessionnisme des riches

Alors que le gouvernement appelle les Français à la sobriété énergétique pour réduire leur empreinte carbone, les ultras riches sont épargnés et continuent d’afficher en toute impunité un bilan carbone criminel. Le symbole de ce mode de vie écocidaire est l’utilisation des jets privés.

D’après un rapport de l’ONG Transport & Environment entre 2005 et 2019, les émissions de CO2 des jets privés en Europe ont augmenté de près d’un tiers (31 %). Selon ce rapport, l’usage d’un jet privé est entre 5 à 14 fois plus polluant qu’un vol réalisé sur une ligne commerciale et 50 fois plus polluant qu’un trajet en train.

En une seule heure de vol, un jet privé émet jusqu’à deux tonnes de CO2, soit la limite que chaque français devrait émettre pour limiter le réchauffement climatique en dessous de 2° C.

En France, 1 avion sur 10 qui décolle est un jet privé et près de 40 % de ces vols se feraient à vide. En 2019, ils ont émis près de 400 kilotonnes de CO2, soit autant que 180 000 voitures thermiques par an.

Près de 60 % des émissions générées par les jets privés en France sont liées à deux aéroports, Paris‑Le Bourget et Nice‑Côte d’Azur.

Cette situation est d’autant plus scandaleuse que des liaisons ferroviaires à grande vitesse existent sur 70 à 80 % des 10 itinéraires de jets privés les plus populaires de notre pays.

Les milliardaires français apparaissent comme des champions de l’utilisation de ces avions anti écologique. Pour la seule journée du 8 août, le jet du milliardaire Vincent Bolloré a émis autant de CO2 qu’un Français moyen en deux ans.

Les deux jets privés de la compagnie pétrolière Total auraient, pour le seul mois de juillet, rejeté l’équivalent de soixante‑six ans d’empreinte carbone d’une personne désireuse de préserver le climat.

Si on calcule sur le seul mois de juillet, les six jets privés de grands groupes français (Bouygues, Bolloré, Artémis, Decaux et Arnault) ont effectués cinquante‑trois vols et émis 520 tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions d’un Français moyen pendant cinquante‑deux années.

Enfin, illustration ultime de ce séparatisme de riche, l’utilisation du jet de Bernard Arnault au mois de mai. Celui‑ci a émis 176 tonnes de CO2, soit l’équivalent de 17 ans d’empreinte carbone d’un Français moyen. Comble du cynisme, le milliardaire français a utilisé son jet pour traverser Londres d’ouest en est, soit 200 kg de CO2 pour 10 minutes.

Envoyer un message clair !

Comme l’a souligné le GIEC dans son 6ème rapport d’août 2021, certaines conséquences du changement climatique sont d’ores et déjà irréversibles, notamment pour la température des océans, son acidification et sa désoxygénation. La montée des eaux va se poursuivre au cours des prochains siècles en raison du réchauffement continu des océans et de la fonte des calottes glaciaires.

Néanmoins, si certains changements sont déjà irréversibles, il reste possible d’atténuer l’ampleur du changement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

Il s’agit de faire des choix politiques forts, des choix de rupture. Il faut concevoir l’écologie des êtres humains et non l’écologie des lobbys, autrement‑dit, l’écologie de l’intérêt général et non l’écologie des intérêts de quelques‑uns.

En effet, comment exiger de la majorité un changement de comportement, et plus généralement une évolution de leur mode de vie, tandis que sous leurs yeux, une minorité continue de consumer notre planète, en toute impunité ?

Sans choix politiques forts, nous courons à la catastrophe. Alors même que ce modèle est ultra polluant, nous assistons non pas à un recul, mais à une explosion de son utilisation, signe que les ultras riches de ce pays n’ont pas l’intention de mettre volontairement fin à leur séparatisme écologique.

Selon Isabelle Clerc, conseillère en aviation privée pour le numéro 1 de la location de jet privé AEROAFFAIRES « En 2020, les compagnies aériennes ont enregistré des hausses de 15 à 20 % des demandes d’aviation d’affaire. Aujourd’hui, la location de jets privés représente environ 17 % des vols européens en circulation, lorsqu’elle en représentait 7 % en 2019. En France, le marché est en plein essor ».

Compte tenu de l’engouement des multinationales et des supers riches pour les jets privés, leur extension parait incoercible et leur utilisation devrait doubler dans les dix prochaines années.

À deux ans des Jeux Olympiques de Paris, où des millions de personnes sont attendues dans la Capitale et en France, cette proposition de loi permettrait de mettre un coup d’arrêt à cette expansion et d’éviter que durant ce mois de compétition, le ciel de notre pays ne devienne le terrain de jeu des milliardaires du monde entier.

Cette interdiction, nécessaire au regard de l’urgence climatique, doit s’accompagner d’engagements fermes de l’État à destination des salariés de ce secteur. Leur savoir‑faire et leurs compétences seront utiles pour engager une politique de transport écologique, au service de l’intérêt général. L’État, détenteur de parts dans de grandes entreprises publiques stratégiques (comme Air France) dispose de possibilités d’actions pour accompagner ces salariés et leur garantir un emploi de qualité.

Ainsi, cette proposition de loi qui vise à interdire d’ici 2023 l’utilisation des jets privés a pour double objectif : mettre fin à un mode de transport ultra polluant et envoyer un signal fort aux ultras riches. Après des décennies sans mesure significative dans la lutte contre le réchauffement climatique, le temps est venu de mettre à contribution celles et ceux qui polluent la planète en toute impunité.

L’article 1 prévoit l’interdiction de la circulation des jets privés dans l’espace aérien français, en dehors des vols d’évacuation sanitaires, des vols qui concernent la sécurité nationale ou encore des jets privés militaires.

L’article 2 prévoit un plan d’action visant à la reconversion des salariés du secteur des jets privés.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 6211‑1 du code des transports est complété par six alinéas ainsi rédigés :

« À compter du 1er janvier 2023, la circulation des jets privés, c’est‑à‑dire d’avions privés affrétés à la demande d’un particulier ou d’une entreprise, hors vols commerciaux classiques, est proscrite sur le territoire et l’espace aérien français. Cette interdiction concerne les vols internes et internationaux, à destination ou en provenance d’un État étranger.

« Par dérogation, l’interdiction du précédent alinéa ne s’applique pas :

« 1° pour les vols d’évacuations sanitaires, notamment en cas d’urgence médicale ;

« 2° pour les vols qui concernent la sécurité nationale ;

« 3° pour les jets privés militaires et les jets privés appartenant à l’État et exclusivement affectés à un service public.

« Le fait de ne pas respecter les dispositions du deuxième alinéa de cet article est puni d’un an d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. En cas de récidive, cette sanction peut être portée à cinq ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende. À titre de peine complémentaire, la juridiction peut prononcer la confiscation du jet privé ayant servi à commettre l’infraction, si l’auteur en est le propriétaire ou en a la libre disposition. »

Article 2

À compter de la promulgation de la présente loi, l’État établit sans délai un plan d’action visant au reclassement et à la reconversion professionnelle des salariés du secteur du jet privé.

Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État.

Article 3

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.