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N° 261

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 septembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer la résilience des forêts
face aux effets du dérèglement climatique,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, Hendrik DAVI, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT Farida AMRANI Rodrigo ARENAS Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, JeanFrançois COULOMME, Catherine COUTURIER, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, JeanPhilippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACHTERRENOIR, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER, Frédéric MAILLOT, Francesca PASQUINI, Lisa BELLUCO, MarieCharlotte GARIN,

Député.e.s.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Mardi 12 juillet, deux incendies se sont déclarés en Gironde. Le bilan est alarmant : 20 800 hectares de forêt sont partis en fumée et 36 750 personnes ont été évacuées.

Ces incendies risquent de se multiplier dans les années à venir sous l’effet du dérèglement climatique. D’après le Système européen d’information sur les incendies de forêt (EFFIS), plus de 30 000 hectares ont déjà brûlé depuis le début de l’année, soit l’équivalent de la quasi‑totalité de la surface brûlée en 2021. D’après les données disponibles, ces feux sont plus violents et plus précoces.

En libérant le carbone contenu dans les sols ou stockés dans la biomasse, ces feux de forêt représentent un désastre climatique et participent à la hausse des températures. Les forêts sont indispensables pour fixer le carbone et réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Le 3e volet du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est sans appel : nous devons protéger et restaurer ces écosystèmes naturels.

Par conséquent, il est urgent de renforcer la résilience de nos écosystèmes forestiers aux aléas climatiques. Les massifs des Landes correspondent pour l’immense majorité à des plantations monospécifiques quasi‑exclusivement destinés à l’industrie du bois. Les forêts sont réduites au triptyque plantation, monoculture et coupe rase.

Pourtant, il existe un consensus scientifique sur le sujet : les forêts diversifiées sont plus résilientes aux effets du dérèglement climatique. Les forêts mélangées en essences et en diamètres limitent les dégâts des tempêtes, des sécheresses ou des invasions d’insectes, et sont plus adaptées aux aléas climatiques que les cultures monospécifiques. D’après le chercheur Bernard Prévosto : « Plus les systèmes sont divers, plus ils sont résilients aux risques de sécheresse, moins ils sont soumis aux attaques de ravageurs, et la résilience post‑feu est plus importante également » ([1]). En 2020, une quarantaine de chercheurs appelaient à prendre appui sur les avancées scientifiques pour mener une politique forestière, parmi lesquelles la nécessité de diversifier nos forêts françaises ([2]).

Une gestion des forêts industrielle et subventionnée

Malgré ce consensus, l’industrialisation de la forêt ne cesse de s’étendre. Du Morvan au plateau de Millevaches, de plus en plus de citoyens, collectifs ou associations se mobilisent pour lutter contre la prédation des intérêts privés sur les forêts. Ils rappellent qu’elles ne sont pas qu’un gisement de bois, mais également un puit de carbone et de biodiversité. Les scientifiques sonnent l’alerte : « la forêt française fixe moins de carbone par unité de surface, et l’exploitation des peuplements dépérissants induit des émissions supplémentaires de CO₂ » ([3]). D’après eux, ce phénomène s’explique par le dérèglement climatique, mais également par des « pratiques sylvicoles focalisées sur la production de bois ». Ainsi, ce type de gestion met en péril la capacité même de l’écosystème forestier à se régénérer.

Cette course à la productivité bénéficie de subventions publiques. En 2020, dans le cadre du plan de relance, le gouvernement a débloqué un budget de 150 millions d’euros dédié au reboisement forestier. L’association Canopée forêts vivantes relève que 87 % des projets financés par ces fonds impliquaient des coupes rases suivies de nouvelles plantations, le plus souvent en monoculture. Parfois, ces coupes rases sont indispensables, mais trop souvent, des forêts naturellement diversifiées ou qui auraient pu être améliorées, sans détruire le couvert forestier, ont été rasées. Une stratégie d’adaptation des forêts ne se résume pas à un programme de plantation massif d’arbres au risque de créer des mal‑adaptations en plantant, par exemple, massivement du douglas en plaine alors que cet arbre est sensible aux sécheresses ou en remplaçant des forêts de feuillus par des pins maritimes alors que cet arbre, traité en monoculture, est plus sensible aux incendies. Les conditionnalités relatives à la diversification des forêts sont insuffisantes et peu contraignantes. Il est indispensable de les renforcer avant d’injecter 1,4 milliard d’euros dans un nouveau programme de replantation d’arbres.

Enfin, n’attendons pas que nos forêts brûlent ou dépérissent pour nous pencher à leur chevet. Une proposition relativement simple et qui devrait être consensuelle est d’inclure de façon systématique un volet biodiversité, un volet adaptation et un volet lutte contre les incendies dans les documents de gestion forestière pour intégrer ces enjeux dans une stratégie cohérente plutôt que de les traiter de façon isolée, au fil des incendies, des tempêtes ou des sécheresses. En l’occurrence, la France s’y est engagée auprès de la Commission européenne en promettant « d’intégrer des critères liés à la biodiversité dans les plans de gestion forestière d’ici 2021 » : un engagement qui n’est pas tenu dans les projets de Schémas Régionaux de gestion sylvicole (SRGS) actuellement soumis à la consultation du public.

Il est temps de tirer le bilan de cet argent public et d’ouvrir le débat sur le modèle forestier que nous souhaitons.

À l’Office national des forêts, déliquescence du service public et souffrance des personnels

À la suite des incendies, Emmanuel Macron a annoncé un « grand chantier national pour pouvoir replanter » avec l’aide de « l’Office national des forêts ».

Or son gouvernement n’a cessé la casse du service public forestier ces dernières années. 1 000 emplois ont déjà été supprimés sous le précédent quinquennat. Le contrat État‑ONF prévoit la suppression de 475 postes d’ici 2025, sur un effectif global de 7 770 personnes. La loi d’accélération et de simplification de la vie publique a prévu une disposition permettant aux salariés de droit privé d’exercer des missions de police judiciaire et de service public administratif, jusque‑là réservées aux fonctionnaires. Cette ordonnance est en vigueur depuis le 1er juin 2022, marquant une étape de plus dans le démantèlement de ce service public.

Pour rappel, l’ONF est passé de 15 000 personnels en 1985 à 7 770 en 2021. À cause de la perte d’effectif, un agent se charge en moyenne de 1 700 hectares contre 800 il y a 20 ans. Selon les départements, ce chiffre varie de 900 à 4 000 hectares.

Cette perte d’effectifs et d’expertise s’avère dangereuse au regard des aléas climatiques : les forestiers sont, par exemple, en première ligne pour alerter des départs de feux et les combattre (patrouilles pré positionnées). Par ailleurs, ils doivent être en nombre pour mieux observer nos écosystèmes forestiers, à l’heure où le dérèglement climatique nous plonge dans l’incertitude sur la résilience de certaines espèces et leur réaction face aux aléas. Le département recherche et développement de l’Office national des forêts doit également être renforcé.

Les agents de l’Office national des forêts dénoncent depuis de nombreuses années les conditions de travail dégradées auxquelles ils font face. Les souffrances au travail se sont multipliées, notamment en lien avec les suppressions de postes.

De nombreux forestiers dénoncent un mal‑être, une perte de sens dans leur travail. Jusqu’aux drames, puisque 54 agents se sont suicidés au cours des 15 dernières années, soit sur cette période, un taux de 34 pour 100 000 parmi les plus élevés du monde du travail.

La casse du service public forestier doit cesser. Les syndicats demandent de longue date un financement à coût complet par l’État de l’Office national des forêts afin qu’il puisse exercer l’ensemble de ses missions, estimé à hauteur d’un milliard d’euros, pour ne plus dépendre de la vente de bois. En 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat, installée par le Président de la République lui‑même, jugeait » impératif de pérenniser l’existence de l’Office national des forêts et d’en augmenter les effectifs ».

L’article 1 de cette proposition de loi vise à inscrire dans les orientations générales de la politique forestière l’exclusion de certaines pratiques sylvicoles des objectifs de gestion de durable auxquels l’État doit veiller. Ainsi, les pratiques sylvicoles telles que les plantations monospécifiques et la conversion de forêts diversifiées en plantations monospécifiques ne peuvent être considérées comme relevant d’une « gestion durable ». Elles ne peuvent être contenues dans des documents de gestion et ne peuvent faire l’objet d’aides publiques.

L’article 2 vise à conditionner les aides publiques à des objectifs écologiques de séquestration du carbone et de conservation.

L’article 3 impose d’introduire dans les documents de gestion un volet biodiversité, un volet adaptation au dérèglement climatique et un volet consacré au risque incendie.

L’article 4 vise à sanctuariser les effectifs de l’Office national des forêts à leur niveau pré‑tempête de 1999, et l’article 5 permet de garantir que le contrat entre l’État et l’Office finance l’ensemble des missions qui lui sont confiées par la loi.

L’article 6 supprime la disposition attribuant aux salariés de droit privé de l’Office national des forêts des missions de police judiciaire.

L’article 7 demande au gouvernement de financer un plan consacré à la recherche publique sur la résilience des forêts face aux effets du dérèglement climatique. Par exemple, en France, seuls 10 chercheurs statutaires travaillent sur la thématique des feux de forêts.


proposition de loi

Article 1er

Après la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 121‑1 du code forestier, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Elle exclut les pratiques sylvicoles telles que les plantations monospécifiques et la transformation de forêts diversifiées en plantations monospécifiques. »

Article 2

L’article L. 121‑6 du code forestier est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Les aides publiques visent à atteindre les objectifs mentionnés à l’article L. 121‑1 du code forestier et contribuent significativement à :

« 1° augmenter le puits de carbone, en particulier dans les sols forestiers ;

« 2° améliorer l’état de conservation des habitats forestiers. ».

2° Au dernier alinéa, le mot : « premier » est remplacé par le mot : « deuxième ».

Article 3

Après le 3° du quatrième alinéa, est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ces documents de gestion doivent contenir un volet consacré à la préservation de la biodiversité, un volet consacré à l’adaptation au dérèglement climatique et un volet consacré à la gestion du risque incendie. »

Article 4

L’article L. 221‑1 du code forestier est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les effectifs de l’Office national des forêts sont sanctuarisés à leur niveau pré‑tempête de 1999. ».

Article 5

L’article L. 221‑3 du code forestier est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ce contrat pluriannuel détermine les moyens financiers et humains apportés par l’État et nécessaires à l’accomplissement de l’ensemble des missions confiées par la loi à l’Office national des forêts ».

Article 6

Le second alinéa du II de l’article L. 161‑4 du code forestier est supprimé.

Article 7

Le Gouvernement prévoit un plan de financement de recherche finalisée portant sur la résilience des forêts face aux effets du dérèglement climatique.

Article 8

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


([1])  https://vert.eco/articles/demain-quelles-forets-face-au-dereglement-du-climat

([2])  https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/19/il-est-important-d-encourager-une-plus-grande-diversification-d-arbres-dans-les-forets-francaises_6052802_3232.html

([3])  Pourquoi la forêt française a besoin d’un traitement de fond (sudouest.fr)