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N° 268

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 septembre 2022.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à garantir le droit à la vie digne,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sébastien PEYTAVIE, Cyrielle CHATELAIN, Julien BAYOU, Christine ARRIGHI, Delphine BATHO, Lisa BELLUCO, Karim BEN CHEIKH, Charles FOURNIER, MarieCharlotte GARIN, Jérémie IORDANOFF, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Julie LAERNOES, Benjamin LUCAS, Francesca PASQUINI, Marie POCHON, JeanClaude RAUX, Sandra REGOL, Sandrine ROUSSEAU, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Aurélien TACHÉ, Sophie TAILLÉPOLIAN, Nicolas THIERRY,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’objet de la présente proposition de loi constitutionnelle vise à reconnaître le droit à la vie digne comme fondement d’une société plus juste. Le Larousse définit la dignité comme le respect que mérite quelqu’un ou quelque chose. Entend‑on réellement conditionner la dignité humaine, en tant que qualité intrinsèque à l’humanité, à quelconques conditions pour qu’elle soit méritée ? Cela reviendrait à considérer que certains êtres humains méritent plus que d’autres de vivre dignement. Selon qui et selon quels critères ? Mais de surcroît, de quel droit ?

Car le droit, outil d’émancipation et de protection des individus, est devenu un outil d’oppression.

Depuis les années 80, par la sacralisation de la liberté d’entreprendre devenue droit à l’enrichissement personnel, notre société a largement tendu à institutionnaliser la loi du plus fort. La domination des multinationales sur le marché économique et financier au détriment de tous les droits humains, la domination des actionnaires sur les salariés au détriment du dialogue social, la domination de l’exercice du pouvoir par une élite méritocratique au détriment de la démocratie, la domination patriarcale de l’espace public au détriment de toutes les minorités. Dès lors que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde dès le départ, la méritocratie passe d’un idéal de progrès social à un cauchemar de statu quo. La dignité humaine ne se mérite pas. Elle ne se décrète pas non plus. Elle se reconnaît et elle se garantit.

Si, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision « Bioéthique » du 27 juillet 1994, a déduit le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation de la première phrase du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi rédigée : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés », la dignité de la personne humaine n’est pas consacrée explicitement par la Constitution du 4 octobre 1958. C’est pourtant le cas dans certaines constitutions étrangères comme la loi fondamentale allemande du 23 mai 1949 (art. 1er) ou la Constitution espagnole du 27 décembre 1978 (art. 10). Ce principe a toutefois été repris à l’article 16 du Code civil : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celleci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Le Préambule de la Constitution de 1946 fixe des droits créances (santé, retraite, handicap, éducation etc.), pour lesquels le Conseil constitutionnel n’exerce qu’un contrôle limité, rappelant qu’« il appartient au législateur, pour satisfaire à cette exigence, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées ». La doctrine considère en effet que les droits sociaux sont le fruit de compromis politiques. Cette seule spécificité ne leur permet pas d’appartenir à la catégorie des libertés et droits fondamentaux ([1]). Pourtant, le Conseil constitutionnel a déjà pu affirmer la portée constitutionnelle de certains objectifs fixés par le Préambule de 1946, en estimant que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle » ([2]). Il a également reconnu que la protection de la santé publique était un principe constitutionnel issu du onzième alinéa du Préambule de 1946 et pouvait justifier une limitation de l’exercice du droit de propriété au nom de l’intérêt général ([3]). Sur ces fondements, le Conseil Constitutionnel a pu apporter des limites au droit de propriété, mais aussi se prononcer en faveur de la garantie de certains dispositifs sociaux ([4]).

En constitutionnalisant le droit à la vie digne, cette proposition de loi se veut plus ambitieuse, en favorisant une meilleure défense des principes du Préambule de 1946 par le législateur et le juge constitutionnel.

Nous ne venons pas seulement au monde pour travailler, cotiser, produire, consommer. Nous venons pour vivre et vivre pleinement. Et devant cette prise de conscience, devant les changements radicaux que nous devons entreprendre, pour effectuer notre transition écologique et sociale, il nous faut une boussole : la dignité. Chacun et chacune d’entre nous a le droit de vivre dignement.

Cette proposition de loi ouvre ainsi la voie à un changement de paradigme : celui de vivre dans la dignité pour tous et toutes.

Celui d’une société qui se donne les moyens d’offrir à toutes et à tous une vie digne. Celui d’une société qui protège, qui émancipe, en donnant les moyens de la liberté et les conditions de l’égalité. C’est‑à‑dire une société qui permet à toutes et à tous d’avoir accès à l’éducation, accès aux soins, quel que soit l’âge, la pathologie ou le handicap sur l’ensemble du territoire. Une société qui prend soin de ses services publics, l’école et l’hôpital en priorité, qui rémunère le travail et assure à chacun revenu de base lui permettant son émancipation. Une société qui fait de la dignité humaine sa boussole, c’est une société qui refuse le mal‑logement et que des hommes et des femmes dorment dans la rue. Non seulement, c’est une société qui refuse que des hommes et des femmes meurent de faim, mais c’est une société qui permet de manger à sa faim, chaque jour et de pouvoir bien manger. C’est une société qui garantit le pouvoir de vivre, le pouvoir de vivre sur une planète vivante et vivable. C’est une société qui refuse la maltraitance et l’impuissance.

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Elle protège la dignité de la personne humaine et de ses conditions de vie. »


([1]) M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, 19° éd., 2019, Dalloz, p. 376-377.

([2]) CC, 19 janvier 1995, n° 94-359 DC

([3]) CC, 8 janvier 1991, m° 90-283 DC

([4]) CC, 12 août 2004, n° 2004-504 DC ; CC, 18 décembre 1997, n° 97-393 DC