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N° 293

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2022.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à protéger et à garantir le droit fondamental à
l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, André CHASSAIGNE, Cyrielle CHATELAIN, Boris VALLAUD, Pascale MARTIN, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Christine ARRIGHI, Clémentine AUTAIN, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Delphine BATHO, Julien BAYOU, Marie-Noëlle BATTISTEL, Lisa BELLUCO, Karim BEN CHEIKH, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Mickaël BOULOUX, Idir BOUMERTIT, Soumya BOUROUAHA, Louis BOYARD, JeanLouis BRICOUT, Moetai BROTHERSON, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Jean‑Victor CASTOR, Steve CHAILLOUX, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Paul-André COLOMBANI, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Sébastien DELOGU, Pierre DHARRÉVILLE, Alma DUFOUR, Inaki ECHANIZ, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Elsa FAUCILLON, Olivier FAURE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Charles FOURNIER, Perceval GAILLARD, Marie-Charlotte GARIN, Guillaume GAROT, Raquel GARRIDO, Jérôme GUEDJ, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Johnny HAJJAR, Mathilde HIGNET, Jérémie IORDANOFF, Chantal JOURDAN, Hubert JULIEN‑LAFERRIÈRE, Sébastien JUMEL, Marietta KARAMANLI, Emeline K/BIDI, Rachel KEKE, Fatiha KELOUA HACHI, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Julie LAERNOES, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Karine LEBON, Arnaud LE GALL, Tematai LE GAYIC, Élise LEBOUCHER, Jean-Paul LECOQ, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Gérard LESEUL, Benjamin LUCAS, Frédéric MAILLOT, Élisa MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Yannick MONNET, Marcellin NADEAU, Philippe NAILLET, Jean‑Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Francesca PASQUINI, Stéphane PEU, Sébastien PEYTAVIE, Anna PIC, François PIQUEMAL, Christine PIRES BEAUNE, Marie POCHON, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Valérie RABAULT, Jean‑Hugues RATENON, Jean-Claude RAUX, Sandra REGOL, Davy RIMANE, Sébastien ROME, Fabien ROUSSEL, Claudia ROUAUX, Sandrine ROUSSEAU, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Nicolas SANSU, Isabelle SANTIAGO, Eva SAS, Hervé SAULIGNAC, Sabrina SEBAIHI, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Aurélien TACHÉ, Sophie TAILLÉPOLIAN, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Jean-Marc TELLIER, Nicolas THIERRY, Mélanie THOMIN, Aurélie TROUVÉ, Cécile UNTERMAIER, Paul VANNIER, Roger VICOT, Léo WALTER, Jiovanny WILLIAM, Hubert WULFRANC,

Député.e.s.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Rien nest jamais définitivement acquis. Il suffira dune crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes. »

Simone de Beauvoir

Le vendredi 24 juin dernier, la Cour suprême des États‑Unis est revenue sur sa jurisprudence Roe vs. Wade datant de 1973, qui avait fixé le cadre légal de l’avortement. Dans la foulée, neuf États américains ont voté pour l’interdiction totale du recours à l’interruption volontaire de grossesse et d’autres États s’apprêtent à les rejoindre.

Cette décision enterre près d’un demi‑siècle de droit à l’avortement aux États- Unis, et mettra en péril la vie de millions de femmes, en particulier celle des plus pauvres et issues des minorités. Cette régression terrible démontre qu’en matière de droit des femmes à disposer de leur corps, rien n’est jamais acquis.

En France comme partout en Europe, on observe depuis plusieurs années des velléités de revenir sur ce droit fondamental, à la faveur de la montée de l’extrême droite, à travers des manifestations anti‑IVG ou des actions chocs de courants extrémistes.

Dans ce contexte d’offensive réactionnaire, nous souhaitons porter ce texte commun, visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et à la contraception, en l’inscrivant dans notre Constitution et en empêchant quiconque d’entraver l’exercice de ce droit fondamental.

Un droit conquis de haute lutte

Le droit à l’interruption volontaire de grossesse tout comme le droit à la contraception ont été conquis de haute lutte en France. Ainsi, en France, en 1920, une loi interdisait « toute propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité », et privait, y compris les médecins, de donner aux femmes des conseils en matière de contraception. En 1942, l’avortement était considéré comme un « crime contre l’État », puni de la peine de mort.

Ces lois funestes n’ont jamais empêché les femmes d’essayer de maîtriser leur fécondité ou d’avorter. Elles en ont simplement rendu les conditions inhumaines. Pour avorter, les femmes ingurgitaient de l’eau oxygénée, du détergent, du vinaigre, s’introduisaient dans l’utérus une aiguille à tricoter, un épi de blé, une brosse à dents, de l’eau savonneuse. Seules celles qui en avaient les moyens partaient à l’étranger.

La loi du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances déposée par Lucien Neuwirth marque une première victoire. Ce texte, d’origine parlementaire, a permis aux femmes de maitriser leur fécondité en posant comme principe le droit à la contraception et à l’information. Ce droit restait cependant strictement encadré : il était par exemple impossible de délivrer un contraceptif dans un centre de planification ou d’éducation familiale agréé, l’information ne pouvait être délivrée que par des médecins ou dans un centre, et la vente ou la simple fourniture de contraceptifs à une mineure était interdite sans le consentement de son représentant légal. Plusieurs modifications de la loi sont intervenues les années suivantes pour permettre l’accès à la contraception. La délivrance des contraceptifs d’urgence sans ordonnance est autorisée en 2000 et délivrée à titre gratuit pour les mineurs.

Quant à l’avortement, le débat public a considérablement avancé en 1971, grâce au manifeste des « 343 ». Accompagnées d’associations comme le Planning familial, des militantes féministes ont déferlé dans les rues pour réclamer ce droit. Ce n’est qu’en 1975 que la loi Veil a permis aux femmes d’enfin disposer librement de leur corps et mis fin à des décennies de tabou, de répression, de départs à l’étranger, de curetages à vifs, d’humiliations et de morts.

Mais rappelons que c’est seulement en 1979 que la légalisation de l’IVG intervient définitivement. L’IVG est remboursée à partir de 1983. L’autorisation parentale et l’allongement du délai sont adoptés en 2001. En 2016, il est pris en charge à 100 % par l’Assurance maladie. En 2017, le délit d’entrave créé en 1993 est renforcé. Enfin, en 2022, le Parlement vote l’allongement du délai de recours à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse.

Un texte de progrès humain

Aujourd’hui, en France, plus de 200 000 femmes ont recours chaque année à l’IVG. Une femme sur trois en moyenne y a recours dans sa vie. Dans les Outre‑mers, le taux d’interruption volontaire de grossesse est encore plus élevé – avec 25,2 pour mille – que dans l’hexagone, qui est à 13,9 pour mille. C’est un acte médical qui fait partie de la vie des femmes.

Cependant, l’accès à l’avortement reste difficile comme l’attestent de nombreux témoignages et des rapports officiels : délai pour obtenir un premier rendez‑vous, fermeture de 130 centres pratiquant les interruptions volontaires de grossesse en dix ans lors de restructurations hospitalières, réseau insuffisamment structuré, pénurie de praticiens en ville et à l’hôpital, manque de moyens dans les centres de santé ou association (planning familial en tête). Le manque de moyens entrave l’accès à ce droit. L’avortement est un droit qui doit être respecté. Il en va de la liberté des femmes à disposer de leur corps.

Par ailleurs, la réactivation constante de débats, propos, ou polémiques quand il s’agit de la souveraineté des femmes sur leur corps prouvent qu’il reste du chemin à parcourir. L’exemple américain donne à voir les possibles revirements tragiques en matière de droits des femmes. Nous défendons ainsi l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution afin de nous prémunir contre toute tentative d’entrave à ce droit fondamental.

Il s’agit d’une proposition de loi de progrès humain, qui acte une rupture dans la longue histoire du contrôle sur le corps des femmes. L’avortement renvoie chaque femme à sa propre et libre appréciation personnelle quand les circonstances d’un tel choix se présentent. Nul ne peut entraver ce choix, et pour garantir cette liberté dans le long‑terme, il est de notre devoir qu’elle puisse figurer dans notre texte suprême, tout comme le droit à la contraception.

Avec la présente proposition de loi constitutionnelle, qui reprend le dispositif déposé par 114 sénateurs de cinq groupes politiques le 2 septembre 2022, nous proposons donc de consacrer le droit fondamental à l’IVG et à la contraception dans notre Constitution et de le protéger juridiquement en empêchant toute entrave à sa mise en œuvre.

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Le titre VIII de la Constitution est complété par un article 66‑2 ainsi rédigé :

« Art. 662. – Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. »