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N° 301

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à supprimer le droit à l’allocation d’assurance chômage des personnes coupables d’un « abandon de poste »,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLouis THIÉRIOT, Thibault BAZIN, Raphaël SCHELLENBERGER, Marc LE FUR, Jean-Luc BOURGEAUX, Jean-Pierre TAITE, Fabien DI FILIPPO, Alexandre VINCENDET, Véronique LOUWAGIE, JeanYves BONY, Pierre VATIN, Isabelle VALENTIN, MarieChristine DALLOZ, Emmanuelle ANTHOINE, Alexandre PORTIER, Josiane CORNELOUP, Isabelle PÉRIGAULT, Meyer HABIB, Francis DUBOIS, Philippe JUVIN, Patrick HETZEL, AnneLaure BLIN, Valérie BAZIN-MALGRAS, Fabrice BRUN, Philippe GOSSELIN, Virginie DUBYMULLER, Nathalie SERRE, Yannick NEUDER,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Si la vague de démissions qui a touché les États‑Unis après la pandémie semble avoir gagné l’Hexagone ces derniers mois, le risque d’une « grande démission » à la française ne paraît cependant pas être à l’ordre du jour. En effet, le taux de démission (2,7 % au premier trimestre 2022) est certes élevé mais il demeure encore en‑deçà des taux atteints avant la crise financière de 2008‑2009. Une hausse raisonnable des démissions serait même plutôt un signe de vitalité du marché du travail, les salariés quittant leur emploi pour un autre poste.

En revanche, le mouvement de désaffection pour le travail qu’a révélé le « big quit » prend en France une forme beaucoup plus pernicieuse que la démission, celle de « l’abandon de poste » que l’absence de chiffres officiels ne permet pas d’apprécier. Spécificité bien française née de la possibilité pour les employés fantômes de percevoir à terme l’allocation d’assurance chômage, ce que la démission ne permet pas. C’est ce phénomène‑là, aux effets bien plus sournois qu’une « grande démission » qui doit nous alerter.

Juridiquement, la loi ne qualifie pas l’ « abandon de poste ». La jurisprudence tend à définir cette pratique comme étant une absence prolongée du salarié, non autorisée par l’employeur et non justifiée par un motif légitime. Concrètement, une telle absence n’entraîne pas de facto l’inscription à Pôle Emploi et la perception de l’allocation de l’assurance chômage. L’abandon de poste constitue en principe une faute grave, c’est‑à‑dire une faute telle qu’elle « rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise » ce qui autorise l’employeur à procéder à son licenciement avec effet immédiat.

Le licenciement pour faute grave prive naturellement le salarié de l’indemnité de rupture, de son droit à effectuer un préavis et de l’indemnité compensatrice. Mais contre toute attente, le licenciement pour abandon de poste - que ce dernier soit qualifié de faute simple, grave ou même lourde - ne le prive pas de son droit à bénéficier de l’allocation de l’assurance chômage. Il s’agit là d’une incongruité du régime de l’assurance chômage. En effet, selon les dispositions de l’article L. 5422‑1 du code du travail, le droit à l’allocation d’assurance chômage suppose une « privation d’emploi involontaire ». Or, du point de vue du régime de l’assurance chômage, le licenciement pour faute, y compris en cas d’abandon de poste s’analyse comme une « privation d’emploi involontaire »…

Évidemment, l’avantage financier que représente la perception de l’allocation d’assurance chômage apportée par le licenciement donne lieu à de véritables stratégies de la part de certains salariés et génère un phénomène d’abandons de poste de plus en palpable par les milieux professionnels.

Ainsi, le salarié qui veut quitter son emploi non pour s’engager auprès d’un autre employeur mais pour se retirer du marché du travail tout ayant pour objectif de conserver un revenu ne va‑t‑il pas démissionner mais tout simplement ne plus revenir au travail afin que l’employeur, de guerre lasse, procède à son licenciement.

Dans les secteurs propices aux embauches non déclarées (restauration, bâtiment, agriculture saisonnière…), les abandons de poste sont encore plus légion car dans l’attente du licenciement, le salarié s’il ne perçoit plus le salaire de son emploi officiel bénéficie cependant d’une autre source de revenu grâce son travail dissimulé et, à terme, aura l’avantage de cumuler ce revenu illégal avec celui du chômage.

Les conséquences d’un tel phénomène sur les entreprises sont bien plus désastreuses que celui d’une éventuelle « grande démission ». Le démissionnaire est en effet tenu par un préavis qui permet à l’employeur de s’organiser et de faire face, alors que l’employé fantôme en abandonnant son poste du jour au lendemain perturbe le bon fonctionnement de l’entreprise. Dans le cas de l’abandon de poste, l’employeur ne sait pas si le salarié va revenir ou non, s’il va fournir une raison légitime à son absence et dans cette incertitude, ne peut se risquer à embaucher quelqu’un d’autre tant que la procédure de licenciement n’est pas achevée. Dans certaines circonstances, l’abandon de poste peut aller jusqu’à mettre en danger la viabilité économique de l’entreprise : à titre d’exemple, le départ inopiné d’un serveur - dans un contexte de difficultés à embaucher - peut contraindre le restaurateur à restreindre soudainement ses horaires d’ouverture ; un tel évènement en saison touristique, période où le restaurateur réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires peut le mettre en grande difficulté financière.

Outre la perturbation des entreprises, le recours massif à la stratégie de l’ « abandon de poste » a évidemment des effets délétères sur les comptes de l’assurance chômage. Cette pratique qui détourne les fonds de l’assurance chômage vers des personnes qui ne sont pas en recherche d’emploi mais en cessation volontaire de leur emploi doit s’analyser comme une fraude à l’assurance chômage actuellement permise par un défaut de rédaction dans la loi.

Pour remédier à ces conséquences aussi néfastes pour les entreprises que pour les comptes publics, il est nécessaire de rétablir la justice et la logique dans le versement de l’allocation chômage. Celui‑ci ne saurait avoir lieu en cas de cessation d’emploi délibérée.

Dans le cas de l’abandon de poste, il apparait clairement que l’absence du salarié a pour objectif d’obtenir son licenciement. L’abandon de poste relève de la stratégie du salarié pour se défaire d’un emploi qu’il souhaite quitter sans pour autant démissionner afin de percevoir l’allocation d’assurance chômage. L’abandon de poste n’est donc en aucun cas une privation d’emploi involontaire mais au contraire une perte d’emploi provoquée par le salarié.

La présente proposition loi entend donc mettre fin au droit à l’allocation d’assurance chômage des personnes coupables d’un « abandon de poste » en inscrivant simplement à l’article L. 5422‑1 du code du travail que le licenciement prononcé en raison d’une absence prolongée du salarié, non autorisée par l’employeur et non justifiée par un motif légitime ne constitue en aucun cas une privation d’emploi involontaire.

 


proposition de loi

Article unique

Après le deuxième alinéa de l’article L. 5422‑1 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le licenciement prononcé en raison d’une absence prolongée du salarié, non autorisée par l’employeur et non justifiée par un motif légitime ne constitue en aucun cas une privation d’emploi involontaire ».