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N° 314

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre le harcèlement en ligne,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Christelle D’INTORNI, Éric CIOTTI, Émilie BONNIVARD, JeanYves BONY, Jean-Luc BOURGEAUX, Fabrice BRUN, Josiane CORNELOUP, Julien DIVE, Francis DUBOIS, Nicolas FORISSIER, Philippe JUVIN, Frédérique MEUNIER, Yannick NEUDER, Éric PAUGET, Alexandre PORTIER, Nicolas RAY, Nathalie SERRE, Michèle TABAROT, Jean-Pierre TAITE, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, Alexandre VINCENDET, Stéphane VIRY,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’existence d’un « pseudonymat » sur Internet permet aujourd’hui à n’importe quel utilisateur, du fait d’un sentiment d’impunité, de proférer abondamment des propos violents, des menaces, ou encore des insultes de manière masquée, faisant parfois subir à leurs victimes un véritable harcèlement de masse très difficile à vivre.

Si l’état de la technique permet aujourd’hui d’identifier n’importe quel utilisateur utilisant sur les réseaux sociaux un pseudonyme (grâce notamment à son adresse IP), il reste néanmoins quelques obstacles que les juridictions françaises ont tenté de lever ces dernières années, bien que la jurisprudence soit encore mouvante en la matière.

En effet, de manière constante, les filiales françaises des géants du numérique s’abritent derrière le fait qu’elles n’hébergent pas les données d’identification des auteurs de cyberharcèlement pour ne pas déférer aux réquisitions des services de Police ou du Parquet français. Elles renvoient systématiquement la responsabilité à leur maison‑mère, laquelle ayant son siège social à l’étranger, refuse de communiquer ces éléments d’identification aux enquêteurs.

En application des dispositions de l’article 6‑II de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), la victime est donc contrainte d’obtenir une décision judiciaire afin de demander à un réseau social d’identifier l’utilisateur d’un compte anonyme.

Les victimes doivent alors saisir le Tribunal judiciaire pour tenter de faire lever cet anonymat. Ce nouveau contentieux se développe. Par exemple, le 25 février 2021, le Tribunal judiciaire de Paris, saisi d’une procédure accélérée au fond, a condamné la société Twitter International (Twitter Int.) à communiquer à une victime l’ensemble des données d’identification dont elle disposait sur certains de ses harceleurs dans un délai de dix jours. Cet été encore la cour d’appel de Dijon a condamné l’entreprise Google à révéler les identités de deux personnes accusées d’avoir émis des « faux avis » sur une maison d’hôtes, nuisant à la réputation de l’établissement.

La jurisprudence en la matière en est à ses errements et n’est pas encore constante.

Ajoutons qu’initier de telles procédures induit des coûts exorbitants de nature à priver le justiciable victime d’un accès effectif au droit et à la réparation de son préjudice. En effet, l’intégralité des maisons‑mères a leur siège social en dehors du territoire national.

Partant, le justiciable se voit contraint de supporter des frais de traductions tant de son acte de saisine, que de ses pièces et de ses actes subséquents. À titre d’exemple, pour une assignation signifiée à Twitter International (Twitter Int.) les seuls frais de traductions peuvent s’élever à plus de 2 000 euros.

Bon nombre de victimes sont découragées et renoncent purement et simplement à saisir les tribunaux pour obtenir la décision de justice telle qu’exigée par la loi LCEN.

Il n’est pas acceptable que, par négligence, mauvaise volonté ou tout autre motif, les données d’identification utiles à une poursuite d’une personne coupable d’une infraction soient ainsi protégées par une entreprise.

Surtout, le fléau du harcèlement en ligne est hélas devenu aujourd’hui si répandu qu’il est nécessaire de renverser totalement la manière dont nous abordons le problème.

La facilité avec laquelle il est possible de créer un compte sous pseudonyme, de déverser des torrents d’insultes sur une personne sans jamais être inquiété doit nous interpeller. Même dans l’affaire Milla, qui a pourtant été largement médiatisée et qui aurait pu de ce fait jouer le rôle d’un électrochoc, seuls onze harceleurs ont été condamnés à une peine d’amende et de quatre à six mois de prison avec sursis, alors que ce sont des dizaines de milliers de messages de menaces que la jeune fille a reçus.

Face à de pareils volumes d’injures ou de menaces de mort force est de constater que, même si les plateformes numériques faisaient preuve de diligence s’agissant de la communication des données d’identification des auteurs des insultes, jamais les juridictions et les services d’enquête français ne seront correctement dimensionnés pour pouvoir répondre pénalement à de tels agissements.

Aussi, si la répression de ces comportements est un volet essentiel de l’action publique en matière de lutte contre le harcèlement en ligne, la nécessité impose de miser également sur l’autocontrôle des individus. En effet, si les insultes et les agressions font hélas partie de notre espace public, la majeure partie de la population fait preuve d’une plus grande maîtrise de ses paroles et de ses actes lorsqu’elle doit les assumer sous sa propre identité.

Nous proposons d’agir à partir de ce principe contre le harcèlement en ligne en conduisant chacun à devoir agir sous son identité publique sur les réseaux sociaux, de manière à inciter à la maîtrise de soi. Pour cela il est proposé de lever le « pseudonymat » qui a cours aujourd’hui sur les réseaux sociaux, grâce à un dispositif juridique clair et dissuasif.

L’article premier de cette proposition de loi prévoit ainsi que les plateformes de réseaux sociaux devront mettre en place un dispositif permettant à chaque personne qui le souhaite d’accéder au nom et au prénom des auteurs des contenus publiés sur ces réseaux. Pour cela elles doivent conditionner l’accès à leurs services à la fourniture par tout utilisateur d’un document d’identité en cours de validité.

L’article 2 de cette proposition prévoit que la non‑conformité au dispositif précédent est punie de deux ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende pour une personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale, et de 2,5 millions d’euros d’amende pour une personne morale (par application de l’article 131‑38 du code pénal). Il prévoit par ailleurs que lorsque cette infraction est commise de manière habituelle par une personne morale, le montant de l’amende pourra être porté à 4 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent.

Par ailleurs, l’article 3 anticipe de possibles contournements de l’article premier, notamment via l’utilisation de dispositifs camouflant l’adresse IP de l’utilisateur, en renforçant les moyens existants de la lutte contre le harcèlement en ligne. Il prévoit ainsi d’une part la création d’une circonstance aggravante pour les harceleurs agissant sous pseudonyme. Ainsi, là où aujourd’hui les faits de harcèlement en ligne font encourir à leur auteur deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende, le fait de harceler une personne en ligne à partir d’un compte sous pseudonyme sera puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. D’autre part, il augmente la peine d’amende encourue par une personne morale refusant de manière répétée de communiquer les données d’identification demandées par l’autorité judiciaire à 1 % de son chiffre d’affaires mondial.

Enfin, l’article 4 propose de répondre aux difficultés relatives aux poursuites judiciaires soulevées par les victimes, en prévoyant qu’en matière de harcèlement réalisé au moyen d’un réseau de communication électronique le tribunal correctionnel compétent sera automatiquement celui du lieu de résidence de la personne subissant le préjudice.

proposition de loi

Article 1er

Le II de l’article 6 de la loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes mentionnées au 2 du I dont l’activité dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret doivent mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de connaître l’identité civile, incluant le nom et le prénom, des utilisateurs à l’origine de chaque contenu. Pour cela, elles conditionnent l’accès à leurs services à la fourniture par tout utilisateur d’un document d’identité en cours de validité. »

Article 2

Après le premier alinéa du 1 du VI de l’article 6 de la loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 précitée, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende le fait, pour une personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale exerçant l’une des activités définies au 2 du I, de ne pas satisfaire aux obligations définies au dernier alinéa du II.

« Lorsque l’infraction prévue à l’alinéa précédent est commise de manière habituelle par une personne morale, le montant de l’amende peut être porté à 4 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent. »

Article 3

I. – L’article 222‑33‑2‑2 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les faits mentionnés aux premiers à quatrième alinéas sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’ils sont commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne et que l’auteur des faits agit sous pseudonyme. »

II. – Après le deuxième alinéa du 1 du VI de l’article 6 de la loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes morales déclarées de manière répétée pénalement responsables de ne pas déférer à la demande d’une autorité judiciaire d’obtenir communication des éléments mentionnés au premier alinéa encourent une peine d’amende égale à 1 % de leur chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent. »

Article 4

Après le deuxième alinéa de l’article 382 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour l’infraction mentionnée au 4° de l’article 222‑33‑2‑2 du code pénal, est également compétent le tribunal correctionnel du lieu de résidence personnes physiques mentionnées au même article 222‑33‑2‑2. »