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N° 325

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à garantir l’accès à l’eau potable
par la gratuité des mètres cubes vitaux,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Gabriel AMARD, Manon MEUNIER, Sylvain CARRIÈRE, Mathilde PANOT, Bénédicte TAURINE, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Jean‑Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

 

Député·es.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’eau est un élément essentiel à toute vie sur Terre, ellemême composée à 70  % d’eau. C’est de ce commun vital que dépend notre survie quotidienne : trois jours sans eau et nous sommes morts. C’est aujourd’hui le défi numéro un de l’humanité. En effet, l’accès à l’eau n’est pas garanti. Dans le monde, 2,2 milliards de personnes vivent sans accès à une eau saine et 144 millions boivent une eau non traitée. Près d’une personne sur deux vit sans pouvoir accéder à des toilettes et à un système d’assainissement sûr. Les conséquences sont majeures. Les maladies dues à la mauvaise qualité de l’eau et au manque d’assainissement sont responsables de sous‑nutrition, d’absentéisme scolaire, de pertes économiques mais aussi de millions de décès chaque année.

En France aussi, l’accès à l’eau est loin d’être garanti. Ainsi, 490 300 personnes n’ont pas accès à une eau potable gérée en toute sécurité et plus de 882 800 personnes n’ont qu’un accès limité à des installations sanitaires ([1]). C’est notamment le cas des 300 000 sansabri ([2]) et des 20 000 personnes en bidonvilles ([3]). Les Outremer sont particulièrement concernés : la moitié de l’eau part en fuites dans des canalisations vétustes et jusqu’à 70 % dans les Antilles. À Mayotte, un tiers des familles n’a pas d’accès à l’eau courante. En Guadeloupe, où le taux de pauvreté est deux fois plus élevé que dans l’Hexagone, la facture demeure la plus élevée de France alors même que les habitants vivent au rythme des coupures et des “tours d’eau”.

La question de l’accès à l’eau se pose autant en termes de quantité que de qualité. En effet, le réchauffement climatique perturbe le cycle de l’eau. Sécheresses et pluies diluviennes s’alternent. Les conséquences de nos alertes ignorées se sont étalées sous nos yeux au cours de l’été 2022 : 117 communes se sont trouvées privées d’eau potable. L’accumulation sans fin au plus bas coût social et environnemental possible qui caractérise le modèle économique dominant parachève le tableau du chaos. Le mantra “profits à tout prix” est en grande partie responsable de l’état de vétusté aggravée du réseau. 90  % des cours d’eau sont pollués aux pesticides ([4]) et on trouve des micro‑plastiques jusque dans l’eau du robinet ([5]).

D’ici 2030, la moitié de la population mondiale vivra dans des régions en manque d’eau. 30 % de la population européenne vivra dans des régions où l’eau sera rare toute l’année. En France, les fuites représentent 20 % de l’eau potabilisée et facturée aux usagers, soit l’équivalent de la consommation de 18 millions d’habitants. Les fuites d’eau participent donc au chiffre d’affaires des entreprises et des opérateurs. Malgré ces alertes, l’eau continue d’être gérée comme une marchandise, accaparée par les multinationales et faisant l’objet de spéculations toujours plus fortes. Le système tire même profit de la catastrophe qu’il provoque. Ainsi, l’eau est déjà cotée en bourse en Californie et le prix de l’eau en bouteille croît à mesure que l’accès à la ressource est compromis.

La guerre de l’eau a commencé. Pourtant, le droit de l’Homme – ou droit humain – à l’eau et à l’assainissement de qualité a été reconnu comme un droit humain fondamental par l’Assemblée générale des Nations unies en 2010. Le droit à l’eau est entendu comme le droit à disposer d’une eau potable et salubre en fonction des cinq critères suivants, qui sont définis par le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’eau et à l’assainissement : disponibilité en eau, accessibilité physique de l’eau, accessibilité économique de l’eau, qualité et sûreté de l’eau, acceptabilité, dignité et intimité de l’accès à l’eau. Le droit à l’assainissement est entendu comme le droit à disposer de sanitaires accessibles, raccordés à un réseau d’assainissement, respectant les conditions d’hygiène et de vie digne. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fixe à 15 litres par jour et par personne les besoins en eau en situation d’urgence (c’estàdire de crise humanitaire) et entre 50 litres et 100 litres par jour le minimum vital pour boire, faire la cuisine et l’hygiène. L’initiative citoyenne européenne « Right2Water » (droit à l’eau) a rassemblé en 2013 plus de 1,6 million de signatures. Mais la directive européenne sur l’eau potable qui en découle ne reconnaît pas le droit humain à l’eau et ne contraint pas les États membres. Pour autant son article 16 prévoit que “les États membres (…) prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l’accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés.

Il y a urgence à agir à l’échelle nationale car les conflits d’usages risquent de se multiplier. Le droit humain à l’eau a connu quelques avancées, telle que l’interdiction des coupures d’eau au domicile principal découlant de la loi Brottes. Mais cela reste insuffisant. La France doit être gouvernée pour répondre aux besoins. Le premier d’entre eux est bien celui d’avoir accès à l’eau potable.

Il s’agit de reconnaître et de garantir le droit humain à l’eau, à l’assainissement de qualité et à l’hygiène pour toutes et tous comme un commun vital et un droit humain fondamental. À l’heure où 10 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, la première condition de l’accès universel et effectif à l’eau potable est sa gratuité.

Cette proposition de loi vise donc à instaurer d’urgence la gratuité des mètres cubes d’eau indispensables à la vie digne (boisson, hygiène, cuisine). Nous demandons au moins la gratuité de 50 litres par jour et par personne, ce qui correspond au minimum vital préconisé par l’OMS. Cette proposition de loi vise également à instaurer la gratuité des compteurs aux domiciles principaux et le libre accès ainsi que la gratuité des fontaines publiques d’eau potable, des bainsdouches publics et des toilettes publiques.

Cette proposition de loi génère deux dépenses : pour le maillage des fontaines d’eau potable, bains‑douches gratuits et publics, toilettes gratuites et publiques (que les établissements publics industriels et commerciaux compétents peuvent financer) et pour le financement de la gratuité des 50 litres d’eau par jour et par personne et la gratuité des compteurs au domicile principal.

Pour rester dans le système de financement du service de l’eau potable (“l’eau paye l’eau”), les autorités organisatrices instaurent une tarification progressive et différenciée selon les usages – distinguant ainsi les usages économiques des autres usages – et incluant un taux marginal supérieur pour les mésusages, ce qui permet de financer en grande partie la gratuité des mètres cubes vitaux.

Cependant, dans les cas où le dynamisme économique du bassin de vie ne permettrait pas de financer entièrement la gratuité des mètres cubes vitaux et la gratuité des compteurs au domicile principal, des recettes extérieures sont nécessaires. Aussi, nous appelons le Gouvernement à mettre à contribution les sociétés commercialisant des eaux de source et minérales embouteillées et à affecter le produit de cette taxe aux agences de l’eau qui aideront par le biais de subventions les services d’eau potable (ou les opérateurs) à financer la gratuité des 50 litres par jour et par personne. Enfin, pour financer la dépense supplémentaire que constituent la création et la gestion des fontaines publiques d’eau potable, des bains‑douches, et des toilettes gratuits et publics, nous appelons le Gouvernement à augmenter la dotation globale de fonctionnement.

L’article 1er instaure la gratuité des mètres cubes vitaux, des compteurs d’eau aux domiciles principaux, ainsi que des fontaines publiques d’eau potable, des bains‑douches publics et des toilettes publiques partout sur le territoire, ainsi que la progressivité du tarif.

L’article 2 prévoit les gages de recettes et de charge pour la recevabilité financière. Nous appelons toutefois le Gouvernement à lever le gage et à financer ces mesures par la mise à contribution des sociétés commercialisant des eaux de source et minérales embouteillées, par une subvention de l’agence de l’eau destinée à aider les services d’eau potable (opérateurs publics ou privés) à financer la gratuité des 50 litres gratuits par jour et par personne, en cas d’insuffisance des autres sources de recettes et par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement.

 


proposition de loi

Article 1er

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° L’article L. 2224‑7‑1 est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Les communes ou leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ou, le cas échéant, leur établissement public industriel et commercial installent et entretiennent des équipements de distribution gratuite d’eau potable.

« Dans chaque commune de plus de 3 500 habitants, les autorités mentionnées au cinquième alinéa du présent article installent et entretiennent des toilettes publiques gratuites accessibles à toute personne.

« Dans les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants, ces autorités installent et entretiennent des douches et des fontaines d’eau potable gratuites et accessibles pour tous.

« À l’exception des établissements scolaires, de santé et médico‑sociaux, les points publics d’eau potable, les installations sanitaires et les douches dont la gestion est assurée ou a été déléguée par toute autre personne publique ou tout autre établissement recevant du public, comme les gares de transport de voyageurs, sont accessibles gratuitement au public. »

2° Le I de l’article L. 2224‑12‑4 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Toute facture d’eau consiste seulement en un montant calculé en fonction du volume réellement consommé par l’abonné au domicile principal. Toutefois, par dérogation, elle peut aussi comprendre un montant calculé indépendamment de ce volume en fonction des charges fixes du service dans les résidences secondaires de personnes physiques ou lorsque l’usager est une personne morale. »

b) Les deux derniers alinéas sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :

« La tarification de l’eau potable aux abonnés domestiques tient compte du caractère indispensable de l’eau potable et de l’assainissement pour les abonnés, notamment ceux en situation particulière de vulnérabilité, en prévoyant un tarif progressif incluant une première tranche de consommation gratuite, indispensable à la vie digne. Le seuil de tarification ne peut être inférieur à cinquante litres d’eau par jour pour chaque personne physique.

« La tarification progressive est proportionnelle à la consommation et différenciée selon les usages domestiques, associatifs, administratifs et économiques. Un tarif majoré s’applique notamment aux usages économiques. Les mésusages et les consommations ostentatoires font l’objet d’un taux marginal supérieur additionnel à la grille de tarification progressive mise en œuvre par l’autorité organisatrice.

« La progressivité du tarif est modulée pour tenir compte du nombre de personnes composant le foyer, le tarif au mètre cube de la tranche de consommation supérieure ne pouvant toutefois excéder le double du tarif moyen au mètre cube pour une consommation de référence fixée par arrêté des ministres chargés de l’environnement et de la consommation.

« Pour une consommation moyenne, l’autorité organisatrice vise l’objectif que le montant de la facture d’eau n’excède pas 3 % des ressources moyennes d’un ménage abonné. »

Article 2

I. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


([1]) Chiffre calculé par la Coalition Eau sur la base des informations communiquées dans le Joint Monitoring Program de l’OMS et de l’UNICEF

([2]) Chiffre de la Fondation Abbé Pierre (rapport 2022)

([3]) Chiffre de la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (2019)

([4]) D’après le commissariat général au développement durable (CGDD)

([5]) D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS)