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N° 329

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à abolir la corrida : un petit pas pour l’animal,
un grand pas pour l’humanité,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Aymeric CARON, Anne STAMBACHTERRENOIR, Bastien LACHAUD, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Christine ARRIGHI, Clémentine AUTAIN, Julien BAYOU, Lisa BELLUCO, Karim BEN CHEIKH, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Guy BRICOUT, Sylvain CARRIÈRE, Cyrielle CHATELAIN, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, JeanFrançois COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Charles FOURNIER, Perceval GAILLARD, Marie-Charlotte GARIN, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Julie LAERNOES, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Benjamin LUCAS, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, JeanPhilippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, Francesca PASQUINI, Sébastien PEYTAVIE, François PIQUEMAL, Marie POCHON, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Jean-Claude RAUX, Sandra REGOL, Sébastien ROME, Sandrine ROUSSEAU, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Sophie TAILLÉPOLIAN, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Nicolas THIERRY, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

 « Sentir le sable
Sous ma tête, c’est fou comme ça peut faire du bien
J’ai prié pour que tout s’arrête
Andalousie, je me souviens

Je les entends rire comme je râle et je les vois
Danser comme je succombe
Je pensais pas qu’on puisse autant
S’amuser autour d’une tombe

Estce que ce monde est sérieux ? »

Francis Cabrel, La corrida, 1994

 

Mesdames, Messieurs,

« La corrida davantage qu’un spectacle est un art », estimaient en 2019 une quarantaine de personnalités françaises de la culture, dans une tribune inquiète de l’interdiction possible des corridas aux mineurs.

L’argument est bien connu : dans l’arène se jouerait un spectacle, celui de la vie contre la mort, de l’homme contre la bête, du civilisé contre le sauvage, de la culture contre la nature, de tout ce que vous voulez d’ailleurs, et ce spectacle serait plus ou moins beau selon les acteurs du jour. Parmi eux le torero, l’endimanché bourreau, et le taureau, partenaire obligé d’un combat truqué dont on lui demandera de sortir vaincu, mais brave. Oui, c’est ainsi : il est exigé de l’animal sacrifié qu’il meure bien. Sinon il sera moqué, méprisé, et critiqué de n’avoir pas su être à la hauteur du spectacle de la vie contre la mort, de l’homme contre la bête ou de la culture contre la nature.

La corrida, un art ? Ceux qui l’affirment se fourvoient.

L’art, le vrai, génère des œuvres où l’imagination et la technique servent la part la plus habile de l’âme humaine. Parmi elles on compte la chanson de Francis Cabrel qui décrit l’incompréhension, la lutte et les souffrances d’un taureau qui vit ses derniers instants dans l’arène. « Je ne pensais pas qu’on puisse autant s’amuser autour d’une tombe », s’étonne‑t‑il avant d’expirer, nous laissant seuls face à cette vérité inversée : les rôles ont été mal distribués, et le sauvage n’est pas celui qui avait été désigné comme tel. L’art de Cabrel repose ici sur des mots et des notes composant un tableau qui déchire les esprits. L’œuvre transperce, mais elle ne tue personne, et ce n’est pas un détail. Car si l’art n’a pas à être moral, il ne peut reposer sur un acte immoral réprouvé par la loi. Or les sévices graves et les actes de cruauté sur un animal sont immoraux et réprouvés par la loi.

D’après l’article 521‑1 du code pénal, de tels actes, s’ils sont par ailleurs suivis de la mort de l’animal, sont punis de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Qui pourrait douter que les traitements infligés à un taureau pendant une corrida n’entrent pas dans cette catégorie ?

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* *

Une corrida dure deux heures. Elle comprend six combats de vingt minutes chacun, opposant un taureau à une équipe de plusieurs personnes. Chacun des combats se déroule en trois phases appelées « tercios ».

Au cours du premier tercio, les picadors à cheval utilisent une longue pique qui cisaille les muscles du cou et le ligament de la nuque pour empêcher le taureau de relever la tête. L’animal souffre, évidemment, et saigne, ce qui l’affaiblit. Il commence aussi à perdre tous ses repères, ce qui le rend d’autant plus vulnérable.

Le deuxième tercio est celui où six banderilles, des bâtons terminés par un harpon en acier de plusieurs centimètres de long, sont plantées dans le garrot de l’animal, pour aggraver ses blessures. Ces banderilles provoquent des saignements intenses accrus par les déplacements brusques et saccadés du taureau, stimulé par le jeu de cape du torero.

Le troisième tercio est celui de la mise à mort qui commence par l’estocade au cours de laquelle une épée transperce le corps de l’animal jusqu’à la cage thoracique, saccageant nerfs et organes. Il est très rare que le matador tue le taureau au premier coup d’épée. Il s’y reprend donc à plusieurs fois, et utilise même un deuxième type d’épée qu’il plante cette fois dans la nuque. Le coup de grâce est ensuite donné par un poignard planté derrière le crâne pour atteindre le bulbe rachidien. Là encore, ce coup peut être répété plusieurs fois. En trophées, le matador recevra une ou deux oreilles coupées, voire la queue du taureau massacré.

Tout cela relève‑t‑il de l’art ou de la torture ?

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L’ordre national des vétérinaires a tranché. En 2016 il affirmait :

 « Dans les spectacles taurins sanglants, la douleur infligée aux animaux n’est pas contestée. Dans la pratique de la corrida, c’est précisément cette douleur qui augmente les réactions défensives des animaux, leur stress psychologique et physique et donc leur agressivité. Elle conditionne ainsi le succès du spectacle. La courte durée du spectacle (20 mn) et la sélection d’animaux agressifs et génétiquement prédisposés à combattre paraissent une atténuation peu significative de l’intensité des souffrances physiques forcément ressenties par les animaux.

Les spectacles taurins sanglants, entraînant, par des plaies profondes sciemment provoquées, des souffrances animales foncièrement évitables et conduisant à la mise à mort d’animaux tenus dans un espaces clos et sans possibilité de fuite, dans le seul but d’un divertissement, ne sont aucunement compatibles avec le respect du bien‑être animal ».

La législation française suit logiquement l’avis de l’ordre des vétérinaires : en vertu de l’article 521‑1 du code pénal, la corrida est interdite dans notre pays.

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Plusieurs départements français bénéficient pourtant encore aujourd’hui d’une exception à la loi, au nom d’une « tradition locale ininterrompue ». Dans le Gard, les Pyrénées‑Atlantiques ou les Bouches‑du‑Rhône est donc admis ce qui est considéré comme une barbarie répréhensible dans la Sarthe ou dans les Vosges. Dans les départements dits « taurins », les sévices et actes de cruauté sur les taureaux ne sont pas niés, ils ne sont simplement pas condamnés.

La justification d’un tel dispositif au nom d’une « tradition locale ininterrompue » est factice. La corrida n’est en rien une tradition française, mais espagnole. Elle n’est arrivée en France qu’en 1853, pour faire plaisir à Eugénie de Montijo, l’épouse andalouse de Napoléon III. Et elle n’a d’ailleurs bénéficié d’une exception aux peines prévues pour les actes de cruauté qu’en 1951. De plus, cette corrida espagnole ne peut se prévaloir d’appartenir au patrimoine culturel immatériel de la France, ce qu’a confirmé le Conseil d’État en 2016, appuyant la décision de la cour administrative de Paris prise un an plus tôt.

Par ailleurs, ce « spectacle » qui bénéficie de fonds européens, par le biais de la politique agricole commune (PAC), et de subventions locales, soulève l’opposition et l’indignation d’une immense majorité de Françaises et Français. D’après un sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) de février 2022, 87 % des personnes interrogées se déclarent favorables à ce que tout acte de cruauté volontaire ayant entraîné la mort d’un animal soit puni, sans exception pour les corridas. En 2017 un autre sondage Ifop avait montré que, dans les départements où les corridas sont autorisées, 75 % des habitantes et habitants sont opposés aux corridas avec pique, banderille et mise à mort.

Le Chili, l’Argentine, Cuba et l’Uruguay ont fait le choix d’interdire les corridas et Mexico vient de les suspendre à son tour. En Europe, le Danemark, l’Italie et le Royaume‑Uni ont formellement interdit cette pratique, tout comme la Catalogne. Les Françaises et Français expriment très fortement le souhait que notre pays suive l’exemple. En tant qu’élu(e)s de la Nation, il nous revient d’agir dans l’intérêt général, en tenant compte de l’attente sociétale. Nous avons le devoir de suivre le sens de l’Histoire et d’abolir les corridas. Cette proposition de loi vise donc à interdire les corridas, sans affecter les autres activités taurines.

En affirmant solennellement que la torture et la mort d’un animal ne peuvent légalement constituer un divertissement digne de l’éthique contemporaine, nous ferons un pas historique en faveur des droits des animaux et par là‑même en faveur de notre humanité.

L’article unique prévoit l’abolition de la corrida sur tout le territoire français.

 


proposition de loi

Article unique

Le titre II du livre V du code pénal est ainsi modifié :

1° Au onzième alinéa de l’article 521‑1, les mots : « aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables » sont supprimés ;

2° Au second alinéa de l’article 522‑1, les mots : « aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Il n’est pas non plus applicable » sont supprimés.