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N° 346

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2022.

PROPOSITION DE LOI

portant création d’une juridiction spécialisée
aux violences intrafamiliales,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Aurélien PRADIÉ, Olivier MARLEIX, Emmanuelle ANTHOINE, Thibault BAZIN, Valérie BAZINMALGRAS, Émilie BONNIVARD, JeanYves BONY, Ian BOUCARD, JeanLuc BOURGEAUX, Xavier BRETON, Hubert BRIGAND, Fabrice BRUN, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Pierre CORDIER, Josiane CORNELOUP, Christelle D’INTORNI, MarieChristine DALLOZ, Vincent DESCOEUR, Fabien DI FILIPPO, Julien DIVE, Francis DUBOIS, Virginie DUBYMULLER, PierreHenri DUMONT, Nicolas FORISSIER, JeanJacques GAULTIER, Annie GENEVARD, Philippe GOSSELIN, Justine GRUET, Victor HABERTDASSAULT, Meyer HABIB, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Philippe JUVIN, Mansour KAMARDINE, Marc LE FUR, Emmanuel MAQUET, Alexandra MARTIN, Frédérique MEUNIER, Maxime MINOT, Yannick NEUDER, Jérôme NURY, Éric PAUGET, Isabelle PÉRIGAULT, Christelle PETEXLEVET, Alexandre PORTIER, Nicolas RAY, Vincent ROLLAND, Raphaël SCHELLENBERGER, Vincent SEITLINGER, Nathalie SERRE, JeanPierre TAITE, JeanLouis THIÉRIOT, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, Antoine VERMORELMARQUES, JeanPierre VIGIER, Alexandre VINCENDET, Stéphane VIRY,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cent‑vingt‑deux. 122 femmes ont été tuées sous les coups de leur compagnon ou ex‑compagnon en 2021. Ce chiffre macabre est en augmentation de 20 % par rapport à 2020.

Déjà 79 féminicides conjugaux ont eu lieu en 2022 ([1]).

Ces chiffres glaçants viennent une nouvelle fois remettre en cause les moyens réellement mobilisés dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

Ne jamais se résigner.

Si le sujet des violences conjugales est bien présent dans le débat public, que les associations sont incontestablement actives, que les professionnels de la prévention et de l’accompagnement, de la police et de la justice sont mobilisés et que les médias relaient ces violences insupportables, le grand danger est de considérer, comme par accoutumance, que rien de plus efficace ne peut être fait.

Le combat doit se poursuivre inlassablement. Il faut agir encore plus fort pour secourir toutes les victimes au sein de la famille, les femmes en premier lieu, les hommes qui font aussi l’objet de violences et bien entendu, les enfants, qui sont durablement meurtris physiquement et psychologiquement. Dans ces contextes de violences conjugales ils sont aussi les victimes.

La loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, que nous avons portée et qui a été adoptée à l’unanimité par le Parlement et promulguée le 28 décembre 2019 contient des dispositions importantes telles que le déploiement du bracelet électronique anti‑rapprochement, la fixation à six jours maximum du délai de délivrance par le juge aux affaires familiales d’une ordonnance de protection ou encore la suspension automatique de l’autorité parentale lors de crime sur conjoint, nous devons aujourd’hui franchir une nouvelle étape déterminante. Notre pays doit désormais se doter d’une juridiction spécialisée qui permettra d’améliorer fortement le traitement judiciaire des violences intrafamiliales.

Il n’est plus question d’attendre. Cette réforme structurelle de notre organisation judiciaire est attendue depuis plusieurs années. Les députés les Républicains réclament la création de cette juridiction spécialisée depuis plus de 5 ans. Jusqu’ici, le Président de la République et le Gouvernement s’y étaient constamment opposés. Depuis quelques mois, ils semblent comprendre que notre proposition est la bonne.

Plusieurs autres pays d’Europe, comme l’Espagne, ont déjà fait ce choix. Les résultats sont probants (le nombre de féminicides a baissé fortement depuis une quinzaine d’années en raison de plusieurs mesures caractéristiques). La juridiction spécialisée permet de juger vite, plus fermement et d’être saisie plus facilement par les victimes. Le déploiement effectif du bracelet anti‑rapprochement en phase préventive sera beaucoup plus large si notre pays est doté d’une telle juridiction. La juridiction spécialisée est la seule réponse efficace et fiable qui peut être apportée à toutes les victimes, quelque que soit leur milieu social, leur lieu de vie et leur environnement. Bien loin des « cellules d’écoute », inopérantes et déviantes, en tout genre.

La justice de la République doit être la réponse première et ultime pour les victimes.

Le juge aux violences intrafamiliales pourrait ainsi, par ses pouvoirs spécialisés et son expérience, mieux faire respecter le délai que la loi prescrit pour rendre les ordonnances de protection et renforcer son action et son efficacité. Ces affaires nécessitent d’être jugées de manière spécifique parce qu’elles ne ressemblent pas aux autres violences.

Cette juridiction est d’abord une juridiction d’instruction qui, par dérogation au principe de séparation de l’instruction et du jugement, peut juger l’affaire qu’il a lui‑même instruite. Il reste ensuite compétent dans la phase d’exécution de la décision comme juge d’application des peines, tant pour les mesures en milieu ouvert que pour celles en milieu fermé.

Calquée sur le modèle du juge pour enfants cette juridiction agit sur une double compétence : tant sur le civil (en matière d’organisation ou de prolongation d’une action de protection judiciaire à l’égard des victimes) que sur le pénal (pour juger les délits). Elle engage une réforme profonde de notre organisation judiciaire.

On ne peut plus se contenter de paroles impuissantes, il faut franchir une nouvelle étape et ce, dès à présent. Ce sujet a été suffisamment étudié et évalué pour ne pas attendre plus longtemps.

Cette proposition de loi permettra de changer les choses. Aussi longtemps qu’il restera une seule et dernière victime de violences intrafamiliales en France, nous ne céderons pas.

En déposant aujourd’hui cette proposition de loi, nous ne cédons rien.

Ne jamais abandonner et agir efficacement. Tel est l’objet de cette proposition de loi.


proposition de loi

Article 1er

Après le titre V du livre II du code de l’organisation judiciaire, il est inséré un titre V bis ainsi rédigé :

« Titre V bis

« Les juridictions des violences intrafamiliales

« Chapitre Ier

« Le tribunal des violences intrafamiliales

« Art. L. 2551. – Le tribunal des violences intrafamiliales connaît, dans les conditions définies par le code de procédure pénale, des délits constitutifs d’une atteinte à l’intégrité de la personne commis :

« 1° Sur un ascendant légitime ou naturel ou sur les père ou mère adoptifs ;

« 2° Par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas ;

« 3° Sur la personne de son enfant ou de l’enfant de son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité.

« Art. L. 2552. – Il y a au moins un tribunal des violences intrafamiliales dans le ressort de chaque cour d’appel.

« Art. L. 2553. – Le tribunal des violences intrafamiliales est composé d’un juge aux violences intrafamiliales, président, et de deux assesseurs.

Le juge aux violences intrafamiliales qui a été chargé de l’instruction, qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal des violences intrafamiliales ou qui a statué sur une demande d’ordonnance de protection ne peut présider cette juridiction. Lorsque cette incompatibilité et le nombre de juges aux violences intrafamiliales dans le tribunal judiciaire le justifient, la présidence du tribunal des violences intrafamiliales peut être assurée par un juge aux violences intrafamiliales d’un tribunal des violences intrafamiliales sis dans le ressort de la cour d’appel et désigné par ordonnance du premier président.

Les deux assesseurs sont désignés par le président du tribunal judiciaire.

« Chapitre II

« Le juge aux violences intrafamiliales

« Art. L. 2561. – Il y a au moins un juge aux violences intrafamiliales au siège de chaque tribunal des violences intrafamiliales.

Le juge aux violences intrafamiliales peut être suppléé, en cas d’absence ou d’empêchement, ou remplacé provisoirement par un magistrat du siège désigné par le président du tribunal judiciaire.

« Art. L. 2562. – Le juge aux violences intrafamiliales connaît des demandes d’ordonnance de protection.

« Chapitre III

« Dispositions communes

« Art. L. 2571. – Le ministère public est représenté auprès de chaque juridiction des violences intrafamiliales. Il assiste aux débats. Toutes les décisions sont prononcées en sa présence et il en assure l’exécution. »

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


([1]) Chiffre au 3 septembre 2022.