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N° 378

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 octobre 2022.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à protéger le droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Cécile UNTERMAIER, Marie-Noëlle BATTISTEL, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Mickaël BOULOUX, Elie CALIFER, Stéphane DELAUTRETTE, Inaki ECHANIZ, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, Gérard LESEUL, Bertrand PETIT, Anna PIC, Christine PIRES BEAUNE, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Roger VICOT,

députés.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« L’acte de procréation est l’acte de liberté par excellence. La liberté entre toutes les libertés, la plus fondamentale, la plus intime de nos libertés. Et personne, comprenezmoi, Messieurs, personne n’a jamais pu obliger une femme à donner la vie quand elle a décidé de ne pas le faire. […] Vous ne devrez pas esquiver la question qui est fondamentale. Estce qu’un être humain, quel que soit son sexe, a le droit de disposer de luimême ? »

Gisèle Halimi, plaidoirie lors du procès de Bobigny, 1972

1. Un constat alarmant

A cette question posée il y a 50 ans, de nombreux pays y répondent aujourd’hui par la négative. Les avancées obtenues de haute lutte pour le droit de la femme à disposer d’elle‑même dès les années 1970 s’évaporent, parallèlement à la remise en cause de l’État de droit et des libertés fondamentales depuis plusieurs années. La crise de la démocratie libérale emporte avec elle les droits des femmes et des minorités sexuelles.

Considérée comme un « crime contre l’État » dès 1942 sous le régime de Vichy, la question de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est progressivement entrée dans le débat sociétal après mai 68, avec le manifeste des 343 appelant à la légalisation de l’avortement en 1971 et le procès Bobigny en 1972, qui poussera le législateur à adopter la loi Veil en 1974, dépénalisant et encadrant légalement l’IVG à titre expérimental avant d’être confirmée par la loi du 31 décembre 1979. Son accès sera progressivement ouvert avec le remboursement à partir de 1983, puis la prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie dès 2016. L’allongement du délai et la fin de l’autorisation parentale pour les mineures sont adoptés en 2001, le délit d’entrave créé en 1993 est renforcé en 2017 et en 2022, le délai de recours à l’IVG passe de 12 à 14 semaines de grossesse.

Toutefois, ce droit est remis en cause depuis plusieurs années dans le monde, alors qu’une femme sur trois connait dans sa vie une interruption de grossesse, soit 16,5 % de la population mondiale. Elles étaient 222 000 femmes en France en 2020. L’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization de la Cour suprême des États‑Unis du 24 juin 2022, révoquant l’arrêt Roe v. Wade de 1973, a statué que la Constitution fédérale ne conférait pas le droit à l’avortement et laisse désormais les États fédérés libres de le réglementer, voire de l’interdire.

La régression de ce droit fondamental est aussi perceptible dans des pays membres de l’Union européenne. L’Espagne a voulu circonscrire le droit à l’avortement en 2013 seulement en cas de viol attesté par un dépôt de plainte et en cas de risque durable et permanent pour la santé physique ou psychique de la mère, certifié par deux psychiatres. Le projet a été abandonné. Le Portugal en 2015 a décidé le déremboursement de l’IVG et imposé aux femmes un suivi psychologique. La Pologne a presque totalement interdit ce droit en 2020 alors que l’avortement était autorisé et gratuit de 1956 à 1993, date à laquelle de nombreuses restrictions avaient déjà été posées. Le Conseil de l’Europe s’alarmait en 2017 des évolutions législatives des États restreignant progressivement l’accès à l’avortement et à la contraception. En 2020, une déclaration commune de 33 pays s’était clairement positionnée contre le droit à l’IVG. La nette victoire de Fratelli d’Italia, parti dirigé par Giorgia Meloni porteur d’un projet de société très conservateur, aux élections législatives en septembre 2022 en Italie, inquiète très sérieusement quant à l’évolution du droit et de l’accès à l’IVG, dans ce pays où déjà 70 % des médecins refuse de pratiquer l’avortement à raison de la double clause de conscience et où les pilules abortives sont de plus en plus difficiles à trouver. Fratelli d’Italia, dans certaines régions, aide d’ores et déjà financièrement les femmes enceintes pour qu’elles renoncent à avorter.

Ce retour à la pénalisation, voire à la criminalisation de l’avortement atteste qu’aucune femme d’aucun pays de peut se considérer à l’abri d’idéologies niant leur droit à disposer d’elles‑mêmes. Reculer sur le droit à l’IVG pose également un problème de santé publique, les femmes étant contraintes d’avorter clandestinement dans des conditions d’hygiène déplorables, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les Nations unies (ONU) recommandent que l’acte soit pratiqué sans danger pour les femmes. Pourtant, une femme meurt toutes les neuf minutes d’un avortement clandestin.

2. Une protection des droits procréatifs dans la Constitution 

La norme suprême doit constituer un rempart à toute initiative d’une majorité politique visant à revenir sur les libertés acquises. « Dans la logique de la contraception, je dis qu’est inscrit le droit à l’avortement », déclarait Gisèle Halimi lors de sa plaidoirie en 1972. L’avortement n’est pas un moyen de contraception, mais une solution de dernier recours dès lors que la contraception n’a pas fonctionné par « échec, erreur ou oubli », sans exclure toutefois les autres raisons justifiant un avortement.

Les détracteurs de cette liberté n’attaquent pas de front les droits procréatifs mais œuvrent en rognant petit à petit le cadre légal desdits droits et les conditions d’accès. Avant la quasi‑interdiction de l’avortement en 2020 en Pologne, le gouvernement avait déjà restreint l’accès à la pilule du lendemain en 2017, en la conditionnant à une prescription médicale.

Seul le principe de l’autonomie personnelle, à savoir le droit de disposer de soi et de faire ses choix pour soi‑même, doit fonder la garantie d’accès aux droits procréatifs. La protection constitutionnelle autonome de ces droits met ainsi fin à la conciliation entre la liberté de la femme découlant de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et le respect de la dignité de la personne humaine. Ces droits deviennent des droits à part entière et s’opposent à l’affirmation du destin biologique de procréation de la femme. Seule la femme est en capacité de savoir si elle peut ou veut devenir mère, car être mère ne se résume pas à porter un enfant pendant neuf mois mais signifie l’accompagner tout au long de sa vie. Interdire ou restreindre la contraception et l’IVG revient à décider pour la femme et son destin.

Aucune Constitution à ce jour dans le monde ne protège explicitement le droit à l’avortement. Les seuls textes y faisant référence l’interdisent expressément. La France peut décider d’inaugurer une nouvelle ère de la constitutionnalisation du droit à l’avortement. La consécration des droits reproductifs dans la Constitution, texte symbolisant le contrat social et fondant la communauté politique ayant initialement exclu les femmes de la sphère publique, marque un tournant important.

La constitutionnalisation des droits reproductifs est enfin un enjeu de citoyenneté, laquelle est fondée sur le principe d’égalité et la reconnaissance de droits. On ne peut consacrer l’égalité femme/homme sans protéger explicitement le droit des femmes à disposer d’elles‑mêmes. La citoyenneté, au‑delà de la reconnaissance des droits politiques, revêt également une dimension civile, à savoir la garantie de l’autonomie personnelle, et une dimension sociale, avec l’accès aux soins et l’assurance de politiques de santé publique protectrices.

3. Leur inscription à l’article premier de la Constitution

La présente proposition de loi constitutionnelle est issue d’un Atelier législatif citoyen, ayant rassemblé des citoyens, un médecin gynécologue, l’ancienne présidente du Planning familial, une Professeure spécialisée dans le droit constitutionnel et une universitaire américaine.

Il a été débattu de la place à laquelle devaient prendre rang ces droits procréatifs et décidé sans aucun doute que ceux‑ci devaient figurer à l’article premier de la Loi fondamentale. A raison de l’absence de titre spécifique consacrant la reconnaissance des droits et libertés, l’article premier est progressivement devenu l’écrin de différents droits. En 2009, l’article avait déjà recueilli le principe d’égalité femme/homme pour les mandats électoraux, les fonctions électives et les responsabilités professionnelles et sociales.

L’affirmation de ces droits par une formulation positive à l’article premier confère à cette proposition de loi une ambition en correspondance avec l’exigence qui doit être celle d’un État pionnier en matière de défense des droits humains.

 

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

L’article premier de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La loi garantit l’égal accès à l’interruption volontaire de grossesse ainsi qu’à la contraception, dans le respect de l’autonomie personnelle. »