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N° 423

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 novembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

pour une santé accessible à tous et contre la désertification médicale,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sébastien JUMEL, Soumya BOUROUAHA, Moetai BROTHERSON, JeanVictor CASTOR, Steve CHAILLOUX, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Elsa FAUCILLON, Karine LEBON, JeanPaul LECOQ, Tematai LE GAYIC, Frédéric MAILLOT, Yannick MONNET, Marcellin NADEAU, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Nicolas SANSU, JeanMarc TELLIER, Jiovanny WILLIAM, Hubert WULFRANC,

député‑e‑s.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise sanitaire a révélé l’état dégradé de notre système de santé ainsi que les graves difficultés de nos concitoyens à pourvoir accéder aux soins. Depuis plus de trente ans, la santé en France n’a cessé d’être progressivement placée sous la logique comptable : d’abord à l’hôpital, avec l’instauration de la tarification à l’activité et l’adoption de multiples lois (loi Bachelot, loi Touraine, loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé) qui ont désorganisé les établissements de santé et renforcé les inégalités, mais également aussi sur nos territoires avec l’application « malthusienne » du numerus clausus entre 1971 et 2020 qui a très largement participé à développer les déserts médicaux en réduisant le nombre de praticiens formés chaque année.

Plusieurs constats éclairent aujourd’hui cette situation dégradée : il est établi que 11,6 % de la population française vit dans une zone sous‑dotée en médecins généralistes ; que dix millions de Français vivent à l’heure actuelle dans une zone dans laquelle l’accès aux soins est de qualité inférieure à la moyenne nationale. Un même nombre de Français vit à plus de 30 minutes d’un service d’urgence. Aussi, l’image d’Épinal selon laquelle un désert médical serait une zone rurale, isolée et dépeuplée est désormais totalement dépassée : une grande partie du territoire français, y compris au cœur des métropoles, est concernée par ce phénomène. L’accès au système de soins est de ce fait devenu une préoccupation majeure des Français : cette question s’est spontanément imposée et a été largement évoquée lors du Grand débat national en 2019, dans les cahiers citoyens, les contributions et les réunions, alors qu’elle ne figurait pas dans les sujets et thèmes proposés par le Gouvernement.

Aujourd’hui les déserts médicaux continuent de progresser et sont imposés comme un véritable problème public, alors même que le droit aux soins et à la santé est garanti par tous les échelons normatifs. Le Préambule de la Constitution de 1946, composante du bloc de constitutionnalité, précise ainsi que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Sur ce fondement, en 1991, le Conseil constitutionnel reconnaît que les « exigences de protection de la santé publique » ont « valeur constitutionnelle ». Dans le code de la santé publique, la protection de la santé est qualifiée de « droit fondamental » et il est fait obligation de le mettre en œuvre « par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ». Le droit international, en particulier la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ou encore la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, garantit également ce droit.

Pourtant, comme le résume un rapport du Sénat, « depuis vingt ans, un écart croissant s’est créé entre le droit et le fait ». Et si les inégalités d’accès aux soins de premiers recours se sont particulièrement aggravées, elle a été également constatée à l’hôpital public. Conjugué aux politiques austéritaires dans les services hospitaliers, la baisse continue des effectifs de médecins généralistes a des répercussions importantes sur notre système de santé, comme l’illustre la Fédération hospitalière de France (FHF) en affirmant qu’ » à l’exception de cinq départements, les départements français ont tous connu ces dernières années une hausse des passages aux urgences et une baisse du nombre de médecins généralistes, de plus de 10 % dans les deux cas pour plus de la moitié d’entre eux ». La déstructuration de l’offre de premiers recours a participé à faire exploser le risque de saturation des services d’urgences dans les zones sousdenses. En effet, le recours aux urgences est plus important dans les territoires où l’offre de médecins est défaillante. Selon un rapport du Sénat de 2017, 43 % des passages aux urgences relèvent d’une simple consultation médicale et 35 % auraient pu obtenir une réponse auprès d’un médecin généraliste.

L’ensemble de ces dégradations de l’offre de soins sont aussi des indicateurs essentiels pour comprendre la fracture sociale grandissante qui gagne notre pays. L’accès à la santé est ainsi devenu en quelques années, un véritable enjeu d’égalité territoriale, renforcé par la crise de la Covid‑19. Un phénomène très discriminant dans l’échelle sociale, en témoigne notamment le renoncement aux soins, qui s’avère être un autre indicateur pertinent pour mesurer à quel point désertification médicale et inégalités sociales coïncident. En 2017, 3,1 % des personnes de 16 ans ou plus vivant en France métropolitaine, soit 1,6 million de personnes, ont renoncé à des soins médicaux, d’après l’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV) de l’Insee : la DRESS considère que ce renoncement frappe davantage les personnes pauvres et aux conditions de vie précaires : « les personnes pauvres en conditions de vie ont jusqu’à 8 fois plus de risques de renoncer à des soins dans les zones très sousdotées en médecins généralistes ».

Aussi, devant ce qui constitue une véritable « bombe à retardement » il importe que les pouvoirs publics s’emploient rapidement à la désamorcer.

Conscient de ces enjeux et de cette détresse depuis plusieurs années, les parlementaires communistes ont décidé de réaliser un « Tour de France des hôpitaux et des EHPAD » dès 2018. Cette initiative a donné lieu à la visite de 150 établissements aux quatre coins de l’hexagone et dans les territoires d’Outre‑mer, et permis de rencontrer des milliers de personnes : agents hospitaliers, chefs de service, syndicalistes, usagers, membres des directions. Fort de ces constats et du travail conduit autour de la question des déserts médicaux, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) a formulé en 2021 des propositions opérationnelles, sur le fondement des données issues de nombreux rapports et analyses, pour aller à l’encontre de ce phénomène et garantir rapidement à tous nos concitoyens un accès égalitaire aux soins.

Depuis, un très grand nombre d’acteurs, de parlementaires et d’associations ont cherché à établir un diagnostic partagé sur cette question et sont parvenus à mettre en exergue les causes de cette situation : la pratique d’une gestion « rationalisée » de la formation et du recrutement des médecins ; le vieillissement de la population médicale ; une répartition territoriale très inégale de l’offre médicale ; les évolutions de la pratique médicale de ville notamment, conjuguées à des évolutions sociales quant au rapport au travail, qui ont contribué à dépasser le modèle traditionnel du « médecin de famille ». Un diagnostic que le Gouvernement a jusqu’ici tenté d’ignorer renvoyant la situation à la seule application du numerus clausus.

Pourtant, il est possible dès à présent de lutter contre les déserts médicaux sans attendre que le phénomène ne soit résorbé qu’à mesure que les nouvelles générations médicales se forment et s’installent. Nous sommes convaincus qu’il est nécessaire de trouver des leviers pour limiter les effets de la pénurie actuelle et à travailler à ne pas reproduire des schémas qui viendraient laminer encore une fois les efforts consentis. Plusieurs grandes évolutions et pistes d’amélioration sont à exploitées dès à présent.

D’abord, pour limiter les effets d’une pénurie de formation sur le temps long, il est plus que nécessaire de redonner aux universités des moyens pour former des étudiants en première année de médecine : le numérus clausus qui continue de perdurer à travers le numerus apertus conditionne encore le nombre de places d’accueil en faculté de médecine aux moyens des établissements. Or, il est urgent que la règle des besoins remplace celle de la règle financière : les universités ont besoin de pouvoir former et accueillir chaque année des étudiants en fonction des besoins des territoires, avec comme corollaire pour l’État une obligation de moyens.

Donner des moyens aux universités pour former davantage de médecins est crucial ; donner des moyens aux étudiants en médecines pour réaliser leurs études est essentiel. Un des enjeux pour renforcer l’offre territoriale de santé consiste à renforcer la culture de service aux populations chez nos futurs médecins. C’est précisément pour faire vivre cette idée que nous entendons proposer la généralisation du contrat d’engagement et de service public (CESP) – dispositif trop peu mobilisé. Ainsi, il semble évident, qu’accompagner des jeunes médecins à développer leurs activités dans des zones sous‑denses mérite un encadrement capable de répondre à leurs désirs de liberté, d’autonomie et de sécurité que la solidarité nationale doit soutenir. Le soutien aux jeunes médecins doit également participer à renforcer la diversité sociologique des futurs professionnels afin de diversifier et massifier les profils formés.

Il est important en ce sens de « réouvrir » les études de médecines. Car si la santé n’est pas qu’une affaire individuelle, elle doit devenir à nouveau un enjeu social pour lequel la puissance publique a l’obligation d’agir afin de faire du droit à la santé un droit effectif. Il est urgent de pouvoir sensibiliser nos futurs médecins à ces enjeux et c’est pour cette raison qu’il apparaît intéressant de sanctuariser une expérience en zone sous‑dense pour l’ensemble des étudiants en fin de cycle sur un territoire frappé par une offre médicale limitée. Une telle expérience est propice à acculturer de jeunes praticiens à d’autres enjeux et formes de pratiques.

D’autres moyens capables d’améliorer la réparation de l’offre existante semblent également incontournables. En ce sens, des mesures de régulations plus contraignantes sont nécessaires afin de garantir une répartition plus juste de l’offre médicale de premier recours. Le principe de liberté d’installation ne saurait être opposé à l’impérieuse nécessité de répondre aux besoins de santé de la population, c’est la raison pour laquelle plusieurs institutions ont déjà commencé à réfléchir à la mise en place de mesures plus contraignantes et directives tel que le conventionnement sélectif. Ce dernier dispositif apparaît par exemple comme une mesure largement partagée : des réflexions avaient déjà émergé en 2012 au sein même du conseil national de l’ordre des médecins (CNOM)qui avait envisagé la mise en place d’une mesure dérogatoire au principe de libre installation en proposant de rendre obligatoire, pendant 5 ans, l’exercice de jeunes médecins au sein de leur région de formation. Plus récemment, en 2017, la Cour des comptes proposait de mettre en place un « conventionnement sélectif » dans les zones sur‑dotées en médecins, où les nouveaux entrants n’auraient le droit de s’installer qu’en secteur 1, avec des tarifs plafonnés. Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) du 14 décembre 2017 soutenait également cette proposition. De telles mesures trouvent également un écho au sein de la population. Un sondage réalisé par Ipsos en 2019 par la Fédération hospitalière de France a montré que 84 % des personnes interrogées étaient favorables à « une obligation pour les médecins de s’implanter dans certains territoires lors de leurs premières années d’exercice pour les répartir plus équitablement ».

Garantir une meilleure réparation de l’offre de soins et de l’accès aux soins passe également par une meilleure réflexion sur les dispositifs d’incitations afin de les réorienter vers le soutien direct aux centres de santé et à la salarisation des médecins. En effet le choix de l’installation libéral ne fait plus consensus : en 2012, 109 000 médecins exerçaient en libéral exclusivement ; en 2021, ils ne sont plus que 93 000, soit une diminution de 15 %. Au contraire d’un renforcement de l’exercice libéral, la DRESS prévoit qu’à l’horizon 2050, la profession serait ainsi salariée à 55 %. Nous pensons à ce titre qu’il faut accompagner cette transformation de la pratique médicale. Sur le terrain, les médecins y trouvent en partie une réponse à leurs besoins, comme la possibilité d’avoir un temps de travail encadré, de disposer de congés et la capacité à embrasser une approche plus globale de la santé. Bien évidemment, de telles dispositions ne permettent pas à elles seules de pallier le manque structurel de nouveaux « entrants », mais elles peuvent représenter une garantie pour ceux qui hésitent à s’engager dans cette voie. C’est d’ailleurs en ce sens que le Gouvernement a suivi la recommandation de l’AMRF pour mettre en place au sein du plan « Ma santé 2022 » le recrutement de 400 médecins salariés ; dispositif intéressant mais non pérennisé.

Malheureusement, les politiques publiques ont privilégié jusqu’ici des mesures incitatives globalement inefficaces par rapport à un soutien direct aux collectivités locales ou à la salarisation pour faire reculer les déserts médicaux sur les territoires. Avant 2019, ce sont environ 86,9 millions d’euros, selon la Cour des Comptes, qui étaient consacrés à financer quatre contrats incitatifs proposés par l’État aux jeunes médecins (praticien territorial de médecine générale (PTMG), praticien territorial de médecine ambulatoire (PTMA), praticien territorial médical de remplacement (PTMR) et enfin praticien isolé à activité saisonnière (PIAS)) malgré un succès mitigé du fait de conditions d’accès complexes, et variables d’un contrat à l’autre. L’ensemble de ces dispositifs affiche un coût croissant : plus de 94 millions d’euros sur la période 2017‑2020, dont près de 32 millions rien qu’en 2020 selon l’Assurance Maladie. Cette dernière reconnaît dans un rapport publié début juillet 2022, que ses « contrats démographiques » n’ont « pas suffi à gommer les déséquilibres de répartition territoriale qui perdurent ». La mise en place d’une contractualisation unique en 2019 pour les nouvelles installations ne semble pas avoir permis de lever le non‑recours à ce genre de dispositif ; il est urgent de pouvoir en évaluer les premiers effets.

Sur le volet technique, d’autres pistes sont avancées pour affronter les déserts médicaux tel que le recours à la télémédecine. S’il convient de n’exclure aucune solution a priori du panel de mesure à prendre pour lutter contre les déserts médicaux et faciliter l’accès aux soins, il nous apparaît nécessaire de rappeler que la télémédecine ne peut représenter durablement qu’une solution partielle à un problème de gestion de la pénurie ; une réponse technologique à un manque structurel de présence humaine. Les soins et les consultations numériques ne peuvent devenir une réponse acceptable sur le long terme pour gérer la pénurie médicale dans certains territoires, au risque de mettre en place un régime de soins à deux vitesses sur le territoire, garantissant la présence de médecins dans les territoires les plus attractifs et réservant les expérimentations numériques aux autres.

Au contraire de se réfugier dans des solutions techniques, il semble urgent de lutter contre les inégalités d’accès aux soins en « réhumanisant » la réponse de santé ; c’est à ce titre qu’une politique de maillage du territoire d’offre de soins de premier recours est utile par exemple, tandis qu’11 % de patients ne disposaient pas de médecin traitant, selon la Caisse nationale de l’assurance maladie, en juin 2021. Cela représente plus de 6 millions de personne. Cette absence de suivi et d’accès à un médecin traitant est de nature à renforcer les inégalités de santé mais surtout de priver un très grand nombre de Français de la prévention et des dépistages. Cela conduit de la même manière à faire progresser le renoncement aux soins : selon la DREES, le renoncement aux soins est une réalité pour 1 600 000 Français, soit 3,1 % des personnes de 16 ans ou plus vivant en France métropolitaine. Les personnes pauvres ont trois fois plus de risques de renoncer à des soins que les autres. Si ces personnes se situent en zone sous‑dotée, ce risque est plus de huit fois supérieur à celui du reste de la population. C’est en ce sens que nous devons commencer à construire un droit opposable à la santé, en obligeant notamment les CPAM à fournir une liste de médecins référents capables d’assurer le suivi de la patientèle sans médecins traitant. Un premier élément pour construire une réponse humaine aux déserts médicaux.

Cependant, l’accès aux soins ne peut pas se résumer à la médecine de ville et à la seule augmentation de l’offre de soins de premier recours ; la crise de l’hôpital a aussi un rôle déterminant dans la progression des déserts médicaux. La réduction des dépenses publiques de santé a considérablement affaibli notre réponse hospitalière sur le territoire, aggravé les problèmes de démographie médicale à l’hôpital et donc accentué le recul de l’offre de soins les plus essentiels. Les fermetures d’hôpitaux, de maternités, et plus généralement de lieux de santé de proximité ont précipité l’extension de déserts médicaux, les médecins préférant s’installer à proximité de structures disposant de plateaux techniques.

L’exemple le plus flagrant concerne le cas des maternités : comme le relève une étude de la DREES publiée en juillet 2021 sur l’accessibilité des maternités pour les femmes en âge de procréer le nombre de maternités a drastiquement baissé au cours des deux dernières décennies, passant de 717 à 496 entre 2000 et 2017, soit une diminution de près d’un tiers. Le géographe Emmanuel Vigneron a également conduit des travaux en la matière et produit des cartes particulièrement éclairantes, illustrant la dégradation marquée de l’accessibilité des maternités sur le territoire. Selon ses travaux, le nombre de femmes en âge de procréer se trouvant à plus de 45 minutes d’une maternité a plus que doublé en vingt ans, passant de 290 000 en 1997 à 716 000 en 2019, soit 430 000 de plus. Le nombre de celles se trouvant à plus de 30 minutes a, quant à lui, augmenté de près de deux millions, passant de 1,9 million à 3,7 millions, soit une proportion de 26 %.

À l’instar des services d’urgence, on ne peut se résoudre à un appauvrissement et à une concentration des maternités au seul motif de l’efficacité.

L’hôpital doit pouvoir redevenir un lieu d’accueil et de proximité. La question des consultations avancées est en ce sens un véritable enjeu de garantie de l’égalité d’accès aux soins alors que certaines spécialités peinent à se maintenir dans l’ensemble des territoires ou n’existent plus que dans les métropoles. Si certains territoires prennent des initiatives pour renforcer l’offre de soins en proximité, à l’image de la consultation avancée en addictologie mise en place à l’hôpital de proximité de la ville d’Eu dans le cadre du groupe hospitalier de territoire (GHT) Dieppe‑Caux‑Maritime, les moyens déployés à l’échelle nationale pour accroître ce mouvement de rapprochement de la réponse de santé au plus près des besoins sont notoirement insuffisants.

À rebours de ces réflexions, le Gouvernement a privilégié encore une fois la calculette à la protection des usagers. Il a par exemple introduit depuis le 1er janvier 2022 pour chaque personne qui se rend aux urgences sans être hospitalisée le « forfait patient urgences » (FPU) d’un montant de 19,61 €. Une double peine pour les personnes qui se situent dans un désert médical puisque précisément, c’est au sein de ces territoires que le recours aux urgences pallie bien souvent l’absence d’accès à un médecin traitant. Nous proposons de mettre un terme à ce forfait inique qui vient renforcer le sentiment que l’accès aux soins passe désormais davantage par la carte bleue que par la carte vitale.

En conclusion, ces constats multiples conduisent à expliquer qu’aujourd’hui nous constations une baisse considérable de l’accès aux soins. Si les différents Gouvernements successifs ont préféré s’en tenir au principe de la liberté d’installation et aux outils incitatifs, nul ne peut plus nier leur échec manifeste. Aujourd’hui, selon le dernier rapport du Sénat sur la question, nous savons que « 8 % de la population a une accessibilité aux médecins inférieure au seuil défini de 2,5 consultations par an et par habitant », un constat qui s’appuie sur l’érosion de la densité médicale ces dernières années – comme le démontre la DRESS « entre 2012 et 2021 la densité de médecins a diminué de 2,2 % au cours de la période passant de 325 à 318 médecins pour 100 000 habitants » – et qui frappe inégalement les territoires, se rapprochant même de la carte de la France des gilets jaunes.

Cette photographie nationale montre bien que ni la liberté d’installation ni les politiques d’incitation n’ont permis de faire face à l’aggravation des problèmes de démographie médicale dans ce domaine. Notre pays compte davantage de médecins généralistes en exercice en 2021 qu’il y a vingt ou trente ans et, même s’il est vrai que le vieillissement démographique de la population accentue mécaniquement les besoins de santé, la difficulté majeure aujourd’hui, en attendant de voir se produire des effets de suppression du numerus clausus décidé en 2020, tient à l’inégale répartition géographique des diplômés de médecine. Il s’agit ici, en quelque sorte, d’une question d’aménagement équilibré du territoire et donc d’équité territoriale. De la même manière, les politiques visant à réduire la présence d’une offre de santé publique sur le territoire, en faisant primer la règle comptable sur les besoins sociaux, ne sont plus acceptables après la crise de la Covid‑19. Cette proposition de loi vise donc à proposer un ensemble de mesures concrètes, directes, pour lutter contre la désertification médicale et améliorer l’accès aux soins de tous les Français.

En ce sens, l’article 1er prévoit de territorialiser les capacités d’accueil des formations en médecine. Afin de lutter contre les inégalités territoriales et sociales d’accès aux soins, l’offre de formation des médecins doit être déterminée en premier lieu en partant des besoins de santé des territoires et non pas des capacités de formation du système universitaire. Former plus de médecins et mieux les répartir sur le territoire suppose donc de doter les universités des moyens financiers nécessaires. Le présent article pose donc le principe selon lequel la répartition optimale des futurs professionnels est une préoccupation prise en compte dès le stade de la formation médicale.

L’article 2 rend obligatoire le contrat d’engagement de service public afin que les jeunes diplômés aillent s’installer dans les territoires sous‑denses. Sous l’effet du numerus clausus, l’offre médicale sera déficitaire pour les dix prochaines années et demeure mal répartie sur le territoire et selon les spécialités (de plus en plus de spécialistes et de moins en moins de généralistes). Le contrat d’engagement de service public est un contrat proposé aux étudiants et aux internes en médecine et aux étudiants en odontologie. Il ouvre droit à une allocation mensuelle de 1 200 euros en échange, d’un engagement de la part des bénéficiaires – pendant un nombre d’années égal à celui durant lequel ils auront perçu l’allocation et pour 2 ans minimum – à choisir une spécialité moins représentée ou à s’installer dans une zone où la continuité des soins est menacée.

L’article 3 rend obligatoire la réalisation d’un stage en zone de sous‑densité médicale pour les étudiants en médecine générale lors de leur dernière année d’étude afin de les conduire à « pratiquer » la médecine au cœur des zones sous‑dense médicalement et les acculturer à une autre forme de pratique.

L’article 4 instaure un conventionnement sélectif à l’installation afin que l’installation d’un médecin dans une zone à forte densité médicale ne puisse intervenir qu’en concomitance avec le départ d’un médecin de cette même zone. L’objectif de cette disposition est d’inciter les installations au plus près des zones sous‑denses ou en déperdition médicale et d’éviter une trop grande concentration de l’offre de médecine de ville.

L’article 5 vise à permettre aux assurés sociaux ne trouvant pas de médecin traitant de saisir leur caisse primaire d’assurance maladie, afin que celle‑ci puisse leur proposer un médecin traitant disponible. En effet, selon les données fournies par la CNAM, aujourd’hui, plus de six millions de personnes ne disposent pas d’un médecin traitant – et ils sont proportionnellement plus nombreux dans les zones sous‑denses. Alors que le médecin traitant assure le suivi d’un patient et de son parcours de soins, il n’est pas acceptable qu’une part importante de la population n’en dispose pas faute de médecin disponible.

Par ailleurs, en l’absence de médecin traitant, les remboursements de l’assuré sont moins élevés ; lorsqu’il ne parvient pas à trouver de médecin, l’assuré se trouve alors doublement pénalisé. Certes, l’assurance maladie a mis en place depuis 2017 des mécanismes devant permettre de limiter ces difficultés, mais il serait nécessaire de prévoir explicitement une règle claire et précise sur ce point. Cette première démarche serait l’occasion d’affirmer la nécessité de construire un véritable droit opposable à la santé.

L’article 6 rend pleinement effectif le principe d’égal accès aux soins de sorte que le maillage du système de soins hospitaliers garantisse l’accès à un établissement de santé à moins de 30 minutes du domicile en transports motorisés. Cette mesure concerne en particulier les services de chirurgie et de maternité, dont les fermetures récurrentes contribuent à éloigner les patientes et les patients des structures de soins et d’accouchement.

L’article 7 prévoit que le directeur de l’ARS puisse réquisitionner en cas de trouble dans l’accès aux soins non programmé l’ensemble des médecins libéraux, des médecins non‑conventionnés des médecins exerçant au sein de centres de santé et les praticiens des armées pour garantir la permanence des soins à l’hôpital. Il convient de réaffirmer que l’ensemble des praticiens de santé doivent pouvoir être mobilisés au sein de l’hôpital public en cas de dysfonctionnement ou de difficultés à assurer la permanence des soins. L’article 7 prévoit également que si ces renforts sont insuffisants, le directeur de l’ARS puisse mobiliser en dernier recours les étudiants de médecine en dernier cycle pour apporter un support d’activité. Ainsi cet article propose de reprendre les dispositions prises lors de la crise sanitaire relatif à la mobilisation des étudiants et élèves en santé et étudiants des formations préparant à l’exercice des professions à usage de titre médicales.

Afin d’en garantir l’application d’un accès aux soins équilibré et égal sur le territoire, l’article 8 prévoit que les hôpitaux de proximité pourront désormais assurer, outre leurs activités de médecine, d’imagerie et de biologie, les activités de chirurgie et d’obstétrique. Il réaffirme également que les hôpitaux de proximité ont vocation à accueillir et développer des « consultations avancées » afin de garantir un accès équilibré aux consultations spécialisées sur l’ensemble du territoire d’un groupement hospitalier de territoire.

L’article 9 vise à supprimer le forfait patient urgence qui constitue une double peine pour les patients résidant dans des zones sous‑dotées en offre de premier recours notamment. Il est urgent, compte tenu de la situation sanitaire particulièrement tendue dans un certain nombre de territoire d’éviter un accroissement du non‑recours aux soins. L’absence de médecins référents ou de permanence de soins de ville obligent de très nombreux Français à recourir aux urgences pour accéder aux soins. On estime ainsi que le nombre de passages dans les services d’urgence est passé de 7 millions en 1990 à plus de 20 millions en 2015. Dans un rapport parlementaire de 2018, il est admis que l’un des principaux facteurs de l’augmentation du recours aux urgences est la difficulté d’accès aux soins de ville : « 22 % des personnes accueillies aux urgences motivaient leur choix [de recourir aux urgences hospitalières] par l’accessibilité géographique ». Nous refusons la logique introduite en LFSS 2020 qui conduit à responsabiliser les individus de la crise des urgences et les encourager à renoncer à des consultations non‑programmées.

L’article 10 propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport d’évaluation différents dispositifs financiers visant à inciter l’installation des médecins en zone sous‑dense. Ce rapport devra notamment évaluer le dispositif « contrat de début d’exercice » instauré par la LFSS pour 2020, fusionnant divers dispositifs d’aide à l’installation des médecins libéraux dans les zones les plus fragiles en matière d’offre de soins. Alors que de nombreux rapports pointent le manque d’efficacité des mesures incitatives sur l’offre de soins dans les territoires, le rapport pourra nous indiquer également comment mieux orienter les financements publics vers les collectivités territoriales afin qu’elles créent des centres de santé ou renforcent des structures existantes et encourage l’installation de médecins salariés.


proposition de loi

Article 1er

Le deuxième alinéa du I de l’article L. 631‑1 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° La deuxième phrase est complétée par les mots : « afin de garantir la répartition optimale des futurs professionnels de santé sur le territoire au regard des besoins de santé » ;

2° À la troisième phrase, les mots : « des capacités de formation et » sont supprimés ;

3° À la dernière phrase, après le mot : « territoriales », sont insérés les mots : « et sociales ».

Article 2

L’article L. 632‑6 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Au début, les mots : « Chaque année, un arrêté du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale détermine le nombre d’ » sont remplacés par le mot : « Les » ;

b) Les mots : « , de façon distincte, » sont supprimés ; 

c) Les mots : « qui peuvent signer » » sont remplacés par les mots : « , signent ».

2° Les deuxième et septième alinéas sont supprimés.

3° À la deuxième phrase du troisième alinéa et au sixième alinéa, le mot : « cinquième » est remplacé par le mot : « quatrième » ;

Article 3

À la deuxième phrase du premier alinéa du II de l’article L. 632‑2 du code de l’éducation, les mots : « en priorité » sont supprimés.

Article 4

Après l’article L. 4131‑6 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 4131‑6‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 413161. – Dans les zones dans lesquelles le niveau de l’offre de soins est particulièrement élevé mentionnées au 2° de l’article L. 1434‑4 définies par arrêté du directeur général de l’agence régionale de santé, le conventionnement d’un médecin libéral en application de l’article L. 162‑5 du code de la sécurité sociale ne peut intervenir qu’en concomitance avec la cessation d’activité libérale d’un médecin exerçant dans des conditions équivalentes dans la même zone. Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »

Article 5

Après la première phrase du premier alinéa de l’article L. 162‑5‑3 du code de la sécurité sociale, est insérée une phrase ainsi rédigée : « En l’absence d’accord, l’assuré peut saisir le conciliateur de l’organisme gestionnaire, dans les conditions prévues à l’article L. 162‑15‑4, afin qu’un médecin traitant disponible puisse lui être proposé. »

Article 6

I. – L’article L. 6112‑1 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le principe d’égalité d’accès mentionné au premier alinéa comprend la garantie de pouvoir accéder à un établissement de santé mentionné à l’article L. 6112‑3, exerçant une activité de médecine, de chirurgie et d’obstétrique, situé à moins de trente minutes en transport motorisé. »

II. ‒ L’application du I ne peut avoir pour effet de réduire le nombre d’établissements publics de santé existants à la date de promulgation de la présente loi.

Article 7

I. – L’article L. 6314‑1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsqu’une situation le justifie, notamment lors d’un afflux massif de patients ou en cas de dysfonctionnements au sein des établissements de santé afin de concourir à la mission de service public de permanence des soins ainsi que pour assurer l’adéquation des ressources humaines aux besoins de santé, en particulier dans les territoires mentionnés au 1° de l’article L. 1434‑4, le directeur de l’agence régionale de santé mobilise les médecins mentionnés au premier alinéa.

« Le directeur de l’agence régionale de santé peut également mobiliser les étudiants et élèves en santé ainsi que les étudiants des formations préparant à l’exercice des professions à usage de titre. Leur mobilisation tient compte de leur cursus de formation, des compétences acquises et préserve, dans la mesure du possible, les six derniers mois de leur formation. » ;

2° À la fin du deuxième alinéa, les mots : « du premier alinéa », sont remplacés par les mots : « des trois premiers alinéas ».

II. – Un décret précise le champ d’application du présent article.

Article 8

Le III de l’article L. 6111‑3‑1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après la première occurrence du mot : « techniques, », sont insérés les mots : « des consultations avancées et des soins de second recours, » et les mots : « n’exercent pas d’activité de chirurgie ni » sont remplacés par les mots : « peuvent pratiquer des actes de chirurgie et » ;

2° Le deuxième alinéa est supprimé.

Article 9

Le chapitre préliminaire du titre VI du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa du I de l’article L. 160‑13 est supprimé ;

 Au premier alinéa de l’article L. 16014, les mots : « , sous réserve des dispositions du dernier alinéa du I du même article L. 16013 » sont supprimés ;

3° L’article L. 162‑22‑8‑2 est ainsi modifié :

a) Le second alinéa du 2° est supprimé ;

b) Le 4° est abrogé ;

4° Au 5° du I de l’article L. 162‑14‑1, les mots : « des forfaits et suppléments versés au titre des soins de médecine d’urgence, en application du 2° de l’article L. 162‑22‑8‑2 du présent code, » sont supprimés ;

5° À la première phrase du I de l’article L. 162‑22‑9‑1, les mots : « , à l’exception des forfaits déterminés en application du 2° de l’article L. 162‑22‑8‑2, » sont supprimés ;

6° Au 3° du I de l’article L. 162‑22‑10, les mots : « à l’exception des forfaits déterminés en application du 2° de l’article L. 162‑22‑8‑2, » sont supprimés ;

7° À la fin du 2° de l’article L. 162‑22‑11‑1, les mots : « ou la participation forfaitaire mentionnée au dernier alinéa du I de l’article L. 160‑13 du présent code » sont supprimés ;

8° Au 4° de l’article L. 169‑2, les mots : « aux premier et dernier alinéas du » sont remplacés par le mot : « au ».

Article 10

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’évaluation des dispositifs d’aide à l’installation des médecins libéraux.

Le rapport présente également des pistes d’action afin de mieux orienter les financements publics vers les collectivités territoriales afin qu’elles créent des centres de santé et encouragent l’installation de médecins salariés.

Article 11

I.  La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II.  La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.