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N° 428

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 novembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre le viol,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Caroline PARMENTIER, Franck ALLISIO, Bénédicte AUZANOT, Philippe BALLARD, Christophe BARTHÈS, Romain BAUBRY, Pierrick BERTELOOT, Frédéric BOCCALETTI, Pascale BORDES, Jérôme BUISSON, Frédéric CABROLIER, Victor CATTEAU, Roger CHUDEAU, Annick COUSIN, Nathalie Da CONCEICAO CARVALHO, Grégoire de FOURNAS, Hervé de LÉPINAU, Edwige DIAZ, Sandrine DOGORSUCH, Nicolas DRAGON, Nicolas DUPONTAIGNAN, Frédéric FALCON, Thibaut FRANÇOIS, Yoann GILLET, Christian GIRARD, Jordan GUITTON, Florence GOULET, Marine HAMELET, Timothée HOUSSIN, Alexis JOLLY, Hélène LAPORTE, Laure LAVALETTE, Katiana LEVAVASSEUR, MarieFrance LORHO, Philippe LOTTIAUX, Michèle MARTINEZ, Bryan MASSON, Nicolas MEIZONNET, Yaël MENACHE, Thomas MÉNAGÉ, Christophe NAEGELEN, Julien ODOUL, Kévin PFEFFER, Angélique RANC, Anaïs SABATINI, Alexandre SABATOU, Emeric SALMON, JeanPhilippe TANGUY, Michaël TAVERNE,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

94 000. Ce chiffre révèle une triste réalité : 94 000 viols et/ou tentatives de viol sont commis, chaque année, en France, sur des femmes, de 18 à 75 ans. Ainsi, plus d’un viol et/ou tentative de viol a lieu toutes les six minutes en France, sur une femme âgée de 18 à 75 ans. Cette réalité est vertigineuse. Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, sur ces 94 000 femmes « victimes de viols et/ou de tentatives de viol [..] seules 12 % des […] ont porté plainte (qu’elles aient ensuite maintenu ou retiré cette plainte) » ([1]). Selon les années, ce serait moins de 1 % des viols et/ou tentatives de viol qui mèneraient à une condamnation : pour l’année 2020, 732 condamnations pour viol ont été prononcées en France ([2]). Ces chiffres, parfois contestés, sont difficiles à établir, car certaines victimes ne déposent pas plainte, quand certains plaignants déposent plainte sans agression réelle. Pour autant, une double réalité existe : le problème systémique des agressions sexuelles d’une part ; une réponse pénale plus qu’inadaptée d’autre part.

Défini par l’article 222‑23 du code pénal, le viol est « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte buccogénital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Il est condamné de quinze ans de réclusion criminelle.

Des évolutions législatives peuvent et doivent être prises afin de lutter plus efficacement et fermement contre ces prédateurs. Nous devons davantage prendre en compte les nombreuses situations des victimes, pour mieux les accompagner. Si des députés et sénateurs, aux sensibilités politiques différentes, se saisissent du sujet depuis des années et ont permis des avancées en la matière, il reste beaucoup à faire. La réalité des chiffres le montre.

Un viol est un viol. La victime en est à jamais marquée. L’agresseur, quant à lui, compte tenu de la gravité de son acte, de sa signification, de ses conséquences sur la ou les victimes, sur notre société, doit être mis hors d’état de nuire. L’horreur n’a, semble‑t‑il, pas de limites. Comment justifier que dans le pays des droits de l’Homme, le droit à la sûreté pour ses habitants ne soit pas assuré ? La sécurité est la première des libertés.

Le sens de cette proposition de loi est donc de faire évoluer le cadre juridique actuel sur le viol ; pour autant, elle ne saurait être suffisante pour résoudre l’immensité de la problématique posée.

*

Parce que la politique pénale actuelle ne satisfait pas aux objectifs de justice, l’article premier de cette proposition de loi vise à lutter contre la correctionnalisation des viols, pour mettre fin à ce mécanisme introduit par la loi Perben ([3]).

Si les objectifs de la correctionnalisation des viols ont été justifiés au nom de l’intérêt des victimes, sur l’efficacité de la justice nous ne pouvons‑nous en satisfaire pour une raison simple : le viol n’est pas juste une violence.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes énonce ainsi : « le viol est un crime qui constitue la plus grave des violences sexuelles. Or, il fait trop souvent l’objet de disqualification en agression sexuelle constitutive d’un délit. Cette pratique judiciaire de correctionnalisation des viols est souvent justifiée pour des motifs d’opportunité afin que l’affaire soit jugée plus rapidement devant le tribunal correctionnel. De surcroît, raison moins avouable, elle permet de désengorger les Cours d’assises. Si la disqualification n’a pas pour but de nuire aux intérêts des victimes, qui peuvent d’ailleurs s’opposer au renvoi de l’affaire devant le tribunal correctionnel, elle minimise la gravité du viol et remet en cause le principe d’égalité devant la justice. Les témoignages de femmes fortement encouragées par leur avocat à accepter cette requalification sont nombreux. Selon que l’affaire est traitée au pénal ou en correctionnelle, les conséquences diffèrent significativement : délais de prescription, accompagnement de la victime, prise en compte par le tribunal de la parole de la victime, prise de conscience de la gravité de son acte par l’auteur, dommages et intérêts, pédagogie sociale […] » ([4]).

Ce dispositif, permettant la correctionnalisation des viols, ne doit plus être : la gravité, la cruauté de l’acte commis par le violeur ne peut, ne doit pas être atténué par sa correctionnalisation. La correctionnalisation d’un crime consiste à le requalifier en délit correctionnel : le viol devient alors un délit. Cette procédure normalise et minimise la souffrance de la victime. Mais le viol n’est pas un délit, c’est un crime et le restera dans les faits quoi qu’il arrive. L’acte de déshumanisation constitue le viol et appelle donc à une fermeté absolue.

Cet article permet de situer le viol à sa juste place : un crime. C’est au Gouvernement d’apporter les moyens financiers nécessaires pour que la justice assure une présence suffisante de magistrats pour qualifier, juger et condamner avec sa juste qualification un viol.

*

L’article 2 défend la réclusion criminelle à perpétuité pour les cas de viol avec circonstances aggravantes.

Ces auteurs, par leurs actes, ne doivent plus pouvoir évoluer dans notre société, par la gravité de leurs actes et le risque qu’ils font peser sur celle‑ci. Ces criminels doivent être condamnés et mis au ban de la société, par une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.

Le risque de récidive, l’impossibilité de surveiller à chaque instant le violeur, les moyens humains et financiers nécessaires, l’inquiétude des victimes, confirment la nécessité d’une telle mesure, aussi radicale soit‑elle.

*

En raison de l’ampleur du phénomène, de l’étendue de ces agressions, des nombreux progrès à faire, du besoin de données importantes en la matière, l’article 3 prévoit la remise d’un rapport sur le suivi des victimes de viol avec quatre volets précis :

– établir l’activité judiciaire concernant les infractions prévues aux articles 222‑23 et 222‑26 du code pénal : nombre d’affaires enregistrées et d’affaires poursuivables, taux de poursuites engagées et taux de réponse pénal, nombre de condamnations et quantum des peines prononcées, ainsi que les nationalités des auteurs de ces infractions ;

– évaluer l’accueil et la prise en charge des victimes de viol ;

– constater les moyens mis en œuvre dans le suivi des victimes de viols ou tentatives de viol.

proposition de loi

Article 1er

L’article 469 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La première phrase du quatrième alinéa n’est pas applicable si l’accusé est poursuivi au titre des articles 222‑23 à 222‑26 du code pénal ».

Article 2

L’article 7 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au troisième alinéa, après le mot : « mineurs », sont insérés les mots : « à l’exception de ceux mentionnés aux articles 222‑23 à 222‑26 du même code » ;

2° Après le mot : « derniers », la fin du même alinéa est supprimée ;

3° Au quatrième alinéa, après la référence : « 212‑3 » sont insérés les mots : « et 222‑23 à 222‑26 ».

Article 3

Chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les victimes de viol. Ce rapport indique et commente :

1° L’activité judiciaire concernant les infractions prévues aux articles 222‑23 et 222‑26 du code pénal : nombre d’affaires enregistrées et d’affaires poursuivables, taux de poursuites engagées et taux de réponse pénal, nombre de condamnations et quantum des peines prononcées, ainsi que les nationalités des auteurs de ces infractions ;

2° L’accueil et la prise en charge des victimes de viol ;

3° Les moyens mis en œuvre dans le suivi des femmes victimes de viols ou tentatives de viol.


([1]) Observatoire national des violences faites aux femmes, 2021, Les chiffres de référence sur les violences faites aux femmes [https://arretonslesviolences.gouv.fr/je-suis-professionnel/chiffres-de-reference-violences-faites-aux-femmes].

([2]) Ministère de la justice, Les chiffres clés de la justice 2021 [http://www.justice.gouv.fr/art_pix/chiffres_cles_2021_web.pdf].

([3]) Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

([4]) Avis du Haut Conseil à l'Égalité entre les Hommes et les Femmes « Avis pour une juste condamnation sociétale et judicaire du violet autres agressions sexuelles » Avis n°2016-09-30-VIO-022 publié le 5 octobre 2016.