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N° 465

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à répondre à l’urgence en psychiatrie et santé mentale,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

M. JeanCarles GRELIER,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « la santé doit se définir non seulement comme l’absence de maladie mais aussi comme un état de complet bienêtre physique, mental et social. »

Avec le « mais aussi » de cette définition et la virgule entre physique et mental, qui signifie « et », tout est dit.

Et pourtant, bien que la France soit membre de l’OMS depuis l’origine, notre pays n’est absolument pas en conformité avec cette définition.

Nous avons historiquement et collectivement toujours fait le choix de la maladie pas celui de la prévention, le choix de la gestion par l’offre de soins plutôt que la réponse à la demande de santé et, dans toute notre politique dite de santé publique, de la seule composante physique d’un bien‑être qui parce qu’il n’inclut ni le psychique ni le social ne peut être complet.

Pour le psychique, le résultat est là et même si les chiffres ne peuvent évidemment pas permettre de mesurer la souffrance, ils donnent néanmoins une idée de ce qui peut être qualifié de catastrophe nationale.

Des maladies très fréquentes : Une personne sur quatre souffre chaque année de maladie mentale, une sur trois qui en souffrira au cours de sa vie, 17 % de français sont atteints d’un syndrome dépressif, 1 % de malades de schizophrénie et entre 1,2 et 2,5 % de personnes atteintes de troubles bipolaires, un enfant sur quatre‑vingts qui naît aujourd’hui avec des troubles du spectre de l’autisme.

 Et ce triste bilan a pu être établi avant la pandémie et son effet dévastateur pour la santé mentale des Français en général, des jeunes, des femmes et des populations précaires en particulier, et aussi, avant les millions de cas prévisibles de covid long.

Des maladies qui ont des conséquences individuelles lourdes : Première cause de handicap acquis, deuxième cause de suicide chez les 16‑24 ans, 40 % des personnes atteintes de schizophrénie qui tentent de se suicider et 10 % qui mettent effectivement fin à leurs jours.

Un système qui ne répond pas aux besoins : les dix à quinze années d’errance thérapeutique sont dramatiques pour les malades et leurs proches et une honte pour notre pays. Elles sont aussi une cause majeure de dégradation de l’état des malades.

C’est cette errance qui fait perdre aux patients entre treize et seize ans d’espérance de vie, qui limite considérablement les possibilités d’insertion familiale, sociale et professionnelle, et qui condamne, de fait sinon de droit, des millions de personnes à l’exclusion et au handicap.

Du point de vue strictement quantitatif, l’offre n’est pas insignifiante.

Les résultats que nous constatons traduisent donc d’abord un problème d’organisation, avant que ne survienne la maladie psychiatrique, sur les points clés que sont la prévention, le diagnostic et la prise en charge adaptés et rapides, et la gestion de la vie avec la maladie.

Cette situation n’est pas nouvelle. Depuis le début des années 1960, rapport après rapport, livre après livre, les inspections générales, les corps de contrôle, les experts, les soignants et aussi, voire surtout, les associations de malades et de proches, ont décrit un système devenu, en dépit des efforts des soignants, maltraitant avec un accès aux soins comparable à un parcours du combattant. Les conséquences sont notamment une importante perte de chances et de qualité de vie, individuellement insupportable et collectivement inacceptable.

En reconnaissant, lors des premières Assises de la santé mentale et de la psychiatrie qui ont eu lieu en septembre 2021, soit à une date qui en elle‑même est un révélateur du peu de considération portée dans notre pays aux plus de 12 millions de français concernés par ces maladies psychiatriques, que la psychiatrie était « le parent pauvre historique de notre politique nationale de santé publique », le Président de la République a posé un juste diagnostic. Et, sur ce constat, il y a unanimité !

Il nous reste, et ce n’est pas la moindre de nos responsabilités, à mettre en œuvre la thérapeutique.

Une thérapeutique d’autant plus urgente qu’en accroissant de plus de 30 % le nombre de dépressions et de stress post‑traumatiques, de plus de 50 % les addictions et de plus de 10 % les pensées suicidaires, la Covid a encore dégradé une situation qui n’en avait vraiment pas besoin.

En mai 2021, 44 % des français, et même 58 % des 25‑34 ans, considéraient que la crise sanitaire avait des conséquences négatives sur leur santé mentale, 47 % se disaient concernés par des symptômes dépressifs plus ou moins graves, dont 13 % sévères ou modérément sévères, et 42 % reconnaissaient être touchés par des troubles de l’anxiété, dont 26 % présentaient une suspicion de trouble généralisé (Source Ipsos). 

Cette exigence d’action est donc d’abord sociale mais aussi sociétale. Elle est aussi économique. Mais avant tout et surtout humaine.

En 2018, soit, là encore avant l’aggravation liée à la pandémie de covid‑19, les coûts directs (dépenses de l’assurance maladie ; 20 %) ; et indirects (arrêts de travail, incapacité‑invalidité, perte de productivité, prise en charge dans les établissements médico‑sociaux, perte d’années de vie ; 80 %) étaient de 160 milliards d’euros soit en, moins de 10 ans près de 50 % de plus qu’en 2008, année de référence de la première analyse médico‑économique faite en France (109 milliards d’euros).

En 2022, et pour la première fois, les maladies psychiatriques sont devenues avec plus de 23 milliards d’euros le premier poste de dépenses de l’assurance maladie, représentant 14 % du total des dépenses de la sécurité sociale, qui sont à mettre en regard des 2 % consacrés à la recherche médicale.

Avec ce taux de croissance de 4 %, majoré de 30 % au titre de l’effet covid, nous serions à près de 300 milliards d’euros en 2030, c’est‑à‑dire plus que l’intégralité du budget de l’État en 2022, ce qui sera de toute façon insupportable et est d’autant moins acceptable qu’une part significative de ces dépenses pourrait être évitée, si nous faisions enfin le choix de l’investissement dans les quatre dimensions indissociables que sont : la recherche, le soin, l’information et la formation.

Les enjeux sont connus. Les solutions aussi. Peut‑être manque‑t‑il juste le courage politique d’affirmer que la santé mentale est un capital individuel et collectif, qu’il faut le préserver et qu’il mérite un investissement qui peut sembler important mais qui, au regard des dépenses évitées, est probablement l’un des plus rentables qui soit.

Pour mettre en œuvre ce choix, nous avons identifié 25 mesures qui sonnent chacune comme une urgence collective.

Elles ne régleront évidemment pas tous les problèmes. Et il nous sera probablement reproché d’avoir omis de mentionner telle ou telle difficulté, maladie, catégorie de malades… Que ceux et celles qui auront le sentiment d’avoir été, une fois encore ou une fois de plus, oubliés nous pardonnent.

Mais, d’une part, le champ est tellement immense que vouloir tout régler nous a semblé pouvoir être un alibi solide pour ne rien faire et, d’autre part, faire poser le sujet comme prioritaire et urgent par la société sera de toute façon un progrès pour tous et pour chacun.

En 2018, les Professeurs Marion Leboyer et Pierre‑Michel Llorca publiaient « Psychiatrie, l’état d’urgence ». Ils ont, pour cela, reçu félicitations et prix. Mais, il ne s’est à peu près rien passé depuis, à part jour après jour, mois après mois, la confirmation d’une urgence absolue.

Pour paraphraser le Président Chirac, qui aurait sûrement pu prononcer ces mots : « notre santé mentale n’en finit plus de brûler et nous continuons de regarder ailleurs ! ».

Et si nous cessions enfin de nous comporter comme des lâches et que, nous reprenions enfin à notre compte la ligne de conduite fixée par Auguste Comte : « savoir, pour prévoir afin de pouvoir » ? C’est l’ambition forte que nous avons assignée à cette proposition de loi.

Ainsi, l’article 1er déclare‑t‑il la psychiatrie Grande cause nationale pour la période 2023‑2027.

Dans ce cadre formel, l’article 2 prévoit la création d’un plan quinquennal en matière de psychiatrie et de maladie mentale, lequel fixe des objectifs clairs visant à remettre à niveau l’offre de soins, à réformer le financement, la formation et la recherche dans le domaine de la santé mentale. A titre dérogatoire et pour le temps de ce plan quinquennal, les établissements publics de santé mentale sont placés sous l’autorité directe du ministre en charge de la santé.

Enfin, l’article 3 crée l’Institut national de psychiatrie et de santé mentale sur le modèle de l’Institut national du cancer (INCA) qui a très largement fait ses preuves dans l’impulsion et la coordination des actions de prévention et de recherche.

 

 


proposition de loi

Article 1er

La psychiatrie et la santé mentale sont déclarées « Grande cause nationale pour la période 2023‑2027 ». Le ministre en charge de la santé est chargé de la mise en œuvre de cette déclaration.

Article 2

Dans les six mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’Institut national de psychiatrie et de santé mentale, mentionné à l’article 3, remet un plan quinquennal de psychiatrie et de santé mentale au Gouvernement. Ce plan prévoit que le Gouvernement doit, par tous les moyens, mettre en œuvre des actions de remise à niveau de l’offre de soins, de développement de la prévention, de la formation et de la recherche en matière de psychiatrie et de santé mentale ainsi que du financement nécessaire à l’atteinte des objectifs de ce plan. Ce plan doit nécessairement comprendre la prévention en matière de psychiatrie et de santé mentale ainsi que les modalités de participation des associations de patients et de leurs familles à son élaboration.

À titre dérogatoire et pour la durée du plan mentionné au premier alinéa, les établissements publics de santé mentale sont placés sous l’autorité directe du ministre en charge de la santé, y compris pour la fixation et l’attribution de leurs dotations budgétaires qui resteront liquidées par les agences régionales de santé.

Article 3

Au début du chapitre IER du titre II du livre II de la troisième partie du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3221 ainsi rédigé :

« Art. L. 3221. – I. – Il est créé, et placé auprès du Premier ministre, l’Institut national de psychiatrie et de santé mentale, chargé de coordonner et d’évaluer les actions mises en œuvre par le Gouvernement ainsi que par les différents acteurs intervenant dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale.

« À ce titre, il exerce les missions suivantes :

« 1° Proposition et élaboration, en coordination avec les organismes de recherche, les opérateurs publics et privés en psychiatrie, les professionnels de santé, les usagers du système de santé et les autres personnes concernées, d’un plan quinquennal, fixé par décret. Ce plan définit les axes de la stratégie quinquennale en matière d’offre de soins, de financement et de recherche en psychiatrie et en santé mentale et l’affectation des moyens correspondants. Il précise notamment la part des crédits publics affectés à la recherche et à l’innovation en psychiatrie et en santé mentale. L’institut en assure la mise en œuvre. Le Conseil scientifique de l’institut se prononce sur cette stratégie. Il en réévalue la pertinence à mi‑parcours ;

« 2° Observation et évaluation des dispositifs de psychiatrie et de santé mentale, en s’appuyant notamment sur les professionnels et les industriels de santé ainsi que sur les représentants des usagers et leurs familles ;

« 3° Définition de référentiels de bonnes pratiques et de prise en charge en psychiatrie ainsi que de critères d’agrément des établissements et des professionnels de santé pratiquant la psychiatrie ;

« 4° Information des professionnels et du public sur l’ensemble des problèmes relatifs à la psychiatrie et à la santé mentale ;

« 5° Participation à la mise en place et à la validation d’actions de formation médicale et paramédicale continue des professions et personnes intervenant dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale ;

« 6° Mise en œuvre, financement, coordination d’actions particulières de recherche et de développement et désignation d’entités et d’organisations de recherche en psychiatrie répondant à des critères de qualité, en liaison avec les organismes publics de recherche concernés ;

« 7° Développement et suivi d’actions communes entre opérateurs publics et privés en psychiatrie dans les domaines de la prévention, de l’épidémiologie, du dépistage, de la recherche, de l’enseignement, des soins et de l’évaluation ;

« 8° Participation au développement d’actions européennes et internationales ;

« 9° Réalisation, à la demande des ministres intéressés, de toute expertise sur les questions relatives à la psychiatrie et à la santé mentale ;

« L’institut national de psychiatrie et de santé mentale établit un rapport d’activité annuel qui est transmis au Gouvernement et au Parlement ;

« II. – L’institut national de psychiatrie et de santé mentale est constitué, sans limitation de durée, sous la forme d’un groupement d’intérêt public regroupant l’État et les personnes morales de droit public ou privé intervenant dans le domaine de la psychiatrie et de la recherche en santé mentale.

« Sous réserve des dispositions du présent chapitre, ce groupement est régi par le chapitre II de la loi n° 2011‑525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit. Un décret précise les modalités de mise en œuvre du présent article.

« Un décret fixe la composition de l’institut, les règles de nomination de ses membres ainsi que son organisation. »

Article 4

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.