Description : LOGO

N° 562

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger 160 000 enfants par an,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

M. Pierre MORELÀL’HUISSIER,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis son installation en mars 2021, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) a entendu des centaines d’enfants, de mères et de pères pour raconter leur témoignage face aux violences sexuelles qu’ils ont pu subir ou voir subit au sein de leur famille.

La CIIVISE estime que 160 000 enfants sont victimes, chaque année, de violences sexuelles. Ce chiffre est comparable au nombre avancé par la Commission Indépendante relative aux Abus Sexuels dans l’Église - CIASE - au sein du rapport Sauvé.

À la suite de ce second rapport consacré aux abus dans l’Église, la commission des lois de l’Assemblée nationale s’est saisie du sujet afin d’identifier les évolutions législatives souhaitables dans un rapport réalisé par Alain Tourret et Pierre Morel‑À‑L’Huissier.

160 000 enfants dans l’Église, mais aussi dans les associations et enfin principalement dans le cercle familial. Cette proposition de loi vise à proposer une première réponse pour ce troisième lieu, incestueux, afin de protéger immédiatement les enfants.

En dépit de cette estimation de 160 000 enfants, en 2020, seules 1 697 personnes ont été poursuivies pour viol incestueux sur mineur ou pour agression sexuelle sur mineur, quel que soit le lien de parenté avec la victime. En 2018, seules 760 personnes ont été condamnées pour l’une ou l’autre de ces infractions.

Face à ce drame, dans son premier rapport d’octobre 2021, la CIIVISE a souhaité mettre en exergue un point particulier qui appelle une modification urgente de notre législation pour protéger ces enfants et qui prend le contre‑pied de suspections à l’encontre des mères de manipuler leur enfant pour nuire à leur conjoint, en les accusant d’inceste, le plus souvent dans le contexte d’une séparation.

Parce qu’un témoignage vaudra toujours plus qu’une explication quantitative, il apparaît utile de retranscrire ci‑après l’un de ceux reçus par la CIIVISE (les prénoms ont été changés) :

« Christine est victime de violences conjugales de la part de son mari. Après un épisode de violences particulièrement virulent, elle fuit le domicile conjugal avec sa fille – Katy - et se réfugie chez son père, à l’autre bout de la France. Dans le cadre du divorce, son mari obtient un droit de visite et d’hébergement pour la moitié des vacances scolaires.

Quelques années plus tard, Katy, alors âgée de quatre ans et demi, révèle à plusieurs professionnels de santé et de l’Éducation nationale les violences sexuelles dont elle est victime de la part de son père. À l’infirmière scolaire, elle demande : « c’est normal ou pas que mon papa fasse tourner ma nénette autour de son doigt et qu’il m’oblige à retirer ma culotte pour dormir ? ».

Christine dépose alors une plainte pour viol. Durant la procédure, le père exerce un droit de visite médiatisée de deux heures tous les mois. Katy déclare alors aux médiateurs que « papa lui a mis du gel hydroalcoolique dans la nénette ». Christine dépose une nouvelle plainte, que les médiateurs lui somment de retirer parce que « ce n’est pas possible ».

La première plainte pour viol est classée sans suite, au motif que l’infraction est insuffisamment caractérisée.

Un an après les premières révélations, Katy refait les mêmes révélations à sa maîtresse. Elle a alors cinq ans et demi et se confie à sa mère : « maman, j’ai envie de me tuer », « j’ai envie de mourir, parce que c’est trop ». À la question « pourquoi ? », elle répond « à cause de papa ».

Le juge pour enfants confie Katy à l’aide sociale à l’enfance, évoquant un « conflit parental massif ». L’équipe éducative du foyer reproche à Christine d’avoir « élevé sa fille contre son père » et de « marquer sa fille de son empreinte, en lui faisant des tatouages éphémères ou en lui vernissant les ongles. »

Son père a obtenu trois heures de visites partiellement médiatisées tous les quinze jours, alors que Christine ne peut la voir que 45 minutes tous les quinze jours en visites médiatisées. »

Cet exemple d’une mère qui porte plainte pour violences sexuelles à la suite de révélations de son enfant et qui, en cherchant à le protéger, se voit condamner pour non‑représentation d’enfant ou retirer la garde au profit de leur père n’est pas rare.

Cette réalité interroge l’autorité judiciaire dans sa capacité à protéger les enfants efficacement, et interroge ainsi la société dans son ensemble.

Comment à la fois protéger et garantir la sécurité physique et morale de son enfant alors même que la justice peut imposer une garde alternée ? En 2019, selon les données du ministère de la justice, parmi les condamnations prononcées pour non‑représentation d’enfants, 80 % concernaient des mères.

En cas de non‑respect de ses obligations, le parent encourt une peine d’un an d’emprisonnement, de 15 000 euros d’amende et la perte de la garde définitive.

Si de nombreuses mères sont accusées de porter de fausses allégations lorsqu’elles dénoncent l’inceste subi par leur enfant, les études scientifiques disponibles démontrent au contraire que les fausses dénonciations de maltraitances sont marginales dans un contexte de séparation parentale.

L’étude Trocmé et Bala de 2005 nous apporte de précieux chiffres : « sur un échantillon de 7 672 dossiers de maltraitance sur enfants, le parent ayant la garde de l’enfant (la mère le plus souvent) n’est l’auteur que de 7 % des dénonciations d’une part et ne commet une dénonciation intentionnellement fausse que dans 2 % des cas d’autre part, soit 12 cas sur l’ensemble des dossiers de maltraitance. »

Deux enseignements sont à tirer : les fausses dénonciations sont marginales et les révélations d’abus sexuelles sur mineurs ne sont presque jamais révélés.

Selon la CIIVISE, il est possible de trouver une explication à ce retournement de la responsabilité dans le pseudo « syndrome d’aliénation parentale » inventé par le docteur Richard Gardner à la fin des années 1980. Il accrédite l’idée que dans la plupart des cas de séparations conjugales conflictuelles, le parent avec qui vit l’enfant, c’est‑à‑dire la mère le plus souvent, « lave le cerveau » de l’enfant pour que celui‑ci refuse de voir son autre parent, le père le plus souvent.

Jamais validé scientifiquement, allant à l’encontre des chiffres précédemment évoqués, le concept s’est popularisé jusque dans les pratiques de professionnels. La CIIVISE rapporte les propos d’un pédopsychiatre en ces termes « [Je suis] très inquiète de la totale surdité du service d’enquête sociale aux propos de l’enfant et de leur certitude qu’il s’agit d’un syndrome d’aliénation parentale ».

Pendant ce temps, 160 000 enfants continuent de subir de violences sexuelles chaque année. Nous devons agir rapidement et leur envoyer un signal d’écoute et de confiance. Il nous faut penser leur protection avant la sanction.

L’autorité parentale au sens de l’article 371‑1 du Code civil est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant, c’est‑à‑dire sa protection et la prise en compte de ses besoins fondamentaux.

Tout acte de violences sexuelles incestueuses ne peut faire l’objet d’aucun aménagement.

C’est pourquoi cette proposition de loi vise en trois articles à :

Article 1er : Prévoit la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant.

Article 2 : Prévoit le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation d’un parent pour violences sexuelles incestueuses contre son enfant

Article 3 : Suspendre les poursuites pénales pour non‑représentation d’enfants contre un parent lorsqu’une enquête est en cours contre l’autre parent pour violences sexuelles incestueuses.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

 

 


proposition de loi

Article 1er

Le code civil est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa de l’article 373‑2‑1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est systématiquement suspendu pour tout parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle au sens des articles 222‑23 à 222‑26‑2 du code pénal à l’encontre de l’un de ses enfants. ».

2° L’article 378 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’autorité parentale et son exercice sont automatiquement suspendus à tout parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle au sens des articles 222‑23 à 222‑26‑2 du code pénal à l’encontre de l’un de ses enfants. »

Article 2

Le code civil est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa de l’article 372‑2‑1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est systématiquement retiré à titre définitif à tout parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle au sens des articles 222‑23 à 222‑26‑2 du code pénal à l’encontre de l’un de ses enfants. »

2° Après le premier alinéa de l’article 378, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’autorité parentale et son exercice sont automatiquement retirés à titre définitif pour tout parent condamné pour viol ou agression sexuelle au sens des articles 222‑23 à 222‑26‑2 du code pénal à l’encontre de l’un de ses enfants. »

Article 3

L’article 227‑5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Cette obligation peut être levée si la personne qui a le droit de réclamer l’enfant est poursuivie pour viol ou agression sexuelle au sens des articles 222‑23 à 222‑26‑2 du code pénal à l’encontre de l’enfant en question, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. »