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N° 575

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à sécuriser l’approvisionnement des Français
en produits de grande consommation,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Frédéric DESCROZAILLE, Aurore BERGÉ et des membres du groupe Renaissance (1) et apparentés (2),

députés.

 

 

 

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(1) Mesdames et Messieurs : Caroline Abadie, Damien Adam, Sabrina Agresti‑Roubache, Éric Alauzet, David Amiel, Pieyre‑Alexandre Anglade, Jean‑Philippe Ardouin, Antoine Armand, Quentin Bataillon, Xavier Batut, Belkhir Belhaddad, Mounir Belhamiti, Fanta Berete, Aurore Bergé, Éric Bothorel, Florent Boudié, Chantal Bouloux, Bertrand Bouyx, Pascale Boyer, Yaël Braun‑Pivet, Maud Bregeon, Anthony Brosse, Anne Brugnera, Danielle Brulebois, Stéphane Buchou, Françoise Buffet, Céline Calvez, Éléonore Caroit, Lionel Causse, Thomas Cazenave, Jean‑René Cazeneuve, Pierre Cazeneuve, Émilie Chandler, Clara Chassaniol, Yannick Chenevard, Mireille Clapot, Fabienne Colboc, François Cormier‑Bouligeon, Laurence Cristol, Dominique Da Silva, Christine Decodts, Julie Delpech, Frédéric Descrozaille, Benjamin Dirx, Nicole Dubré‑Chirat, Philippe Dunoyer, Stella Dupont, Philippe Fait, Marc Ferracci, Jean‑Marie Fiévet, Jean‑Luc Fugit, Thomas Gassilloud, Anne Genetet, Raphaël Gérard, Hadrien Ghomi, Éric Girardin, Joël Giraud, Olga Givernet, Charlotte Goetschy‑Bolognese, Guillaume Gouffier‑Cha, Jean‑Carles Grelier, Marie Guévenoux, Claire Guichard, Philippe Guillemard, Benjamin Haddad, Nadia Hai, Yannick Haury, Pierre Henriet, Laurence Heydel Grillere, Alexandre Holroyd, Sacha Houlié, Servane Hugues, Monique Iborra, Alexis Izard, Jean‑Michel Jacques, Caroline Janvier, Guillaume Kasbarian, Fadila Khattabi, Brigitte Klinkert, Daniel Labaronne, Emmanuel Lacresse, Amélia Lakrafi, Michel Lauzzana, Pascal Lavergne, Sandrine Le Feur, Didier Le Gac, Gilles Le Gendre, Constance Le Grip, Anaïg Le Meur, Christine Le Nabour, Nicole Le Peih, Fabrice Le Vigoureux, Marie Lebec, Vincent Ledoux, Mathieu Lefèvre, Patricia Lemoine, Brigitte Liso, Jean‑François Lovisolo, Sylvain Maillard, Laurence Maillart‑Méhaignerie, Jacqueline Maquet, Louis Margueritte, Christophe Marion, Sandra Marsaud, Didier Martin, Denis Masséglia, Stéphane Mazars, Graziella Melchior, Ludovic Mendes, Lysiane Métayer, Nicolas Metzdorf, Marjolaine Meynier‑Millefert, Paul Midy, Benoit Mournet, Karl Olive, Nicolas Pacquot, Sophie Panonacle, Astrid Panosyan‑Bouvet, Didier Paris, Charlotte Parmentier‑Lecocq, Emmanuel Pellerin, Patrice Perrot, Anne‑Laurence Petel, Michèle Peyron, Béatrice Piron, Claire Pitollat, Barbara Pompili, Jean‑Pierre Pont, Éric Poulliat, Natalia Pouzyreff, Rémy Rebeyrotte, Robin Reda, Cécile Rilhac, Véronique Riotton, Stéphanie Rist, Marie‑Pierre Rixain, Charles Rodwell, Xavier Roseren, Jean‑François Rousset, Lionel Royer‑Perreaut, Thomas Rudigoz, Laetitia Saint‑Paul, Mikaele Seo, Freddy Sertin, Charles Sitzenstuhl, Philippe Sorez, Bertrand Sorre, Violette Spillebout, Bruno Studer, Liliana Tanguy, Sarah Tanzilli, Jean Terlier, Prisca Thevenot, Huguette Tiegna, Stéphane Travert, Annie Vidal, Patrick Vignal, Corinne Vignon, Lionel Vuibert, Guillaume Vuilletet, Christopher Weissberg, Éric Woerth, Caroline Yadan, Jean‑Marc Zulesi.

(2) Mesdames et Messieurs : Damien Abad, Benoît Bordat, Bastien Marchive, David Valence, Stéphane Vojetta.

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au cours de la XVème Législature, le Parlement s’est penché à plusieurs reprises sur la question de la rémunération des agriculteurs afin de la protéger de « l’effet utile, » pour le pouvoir d’achat des consommateurs, du pouvoir de négociation des acheteurs en fin de chaîne de valeur. En effet, le principe selon lequel ce rôle des acheteurs joue en faveur dudit pouvoir d’achat, en exerçant une pression à la baisse sur les prix, s’est traduit sur la durée par un phénomène de déflation consistant en une destruction de valeur aux incidences dévastatrices pour la rentabilité, l’attractivité et la capacité d’innovation et d’adaptation de tout un secteur stratégique de notre économie.

C’est ainsi que les Lois dites « Egalim I » et « Egalim II » ont permis au législateur d’agir sur les conditions de la négociation commerciale, par l’adoption de dispositions portant sur les mécanismes de formation des prix, sur la transparence des termes de la négociation et sur les gages de bonne foi des acteurs.

Or, non seulement certaines de ces dispositions n’ont pas été établies de manière définitive, mais l’impact de la crise sanitaire et celui de la guerre en Ukraine aggravant une hausse généralisée des cours de nombreuses matières premières conduisent le législateur à tirer un certain nombre de leçons pour parfaire ce qui a été adopté.

L’incidence de ce contexte inédit est considérable en ce qu’elle porte sur l’ensemble des produits dits « de grande consommation » : produits frais et laitiers, produits alimentaires et boissons mais aussi produits d’hygiène‑beauté et produits d’entretien de la maison. Chaque jour, les consommateurs français achètent 100 millions de ces produits : autant de références que concernent les enjeux de décarbonation, d’efficacité énergétique des usines, de circularité des emballages, de sécurité sanitaire, de réduction des additifs et bienfaits pour la santé. La montée en gamme de ces biens et l’adaptation de ces chaînes de valeurs aux attentes sociétales, à l’urgence de la transition écologique, aux enjeux géostratégiques d’indépendance et de souveraineté sont essentiels au quotidien des Français.

Il en va, en effet, de la souveraineté agricole, alimentaire mais aussi industrielle de la France : la crise sanitaire l’a révélé dès 2020 et le contexte actuel de hausse des prix, ressenti très durement, porte atteinte à la sécurité des approvisionnements et pose la question de l’accès à ces produits dont certains manquent déjà dans les rayons des Grandes surfaces à dominante alimentaire.

Le phénomène de déflation observé depuis 2013 sur ces secteurs a considérablement fragilisé les chaînes de valeur qui doivent faire face à la situation actuelle. Après avoir vendu leurs produits aux enseignes de la distribution, année après année, moins cher chaque année que la précédente, les industriels ont altéré leurs marges de manœuvre et la France est aujourd’hui l’un des pays les moins rentables d’Europe : ce sont plusieurs milliards d’euro qui ont fui les chaînes de valeur concernées.

Les dispositions légales adoptées n’auront permis qu’une hausse, en 2022, de 3,5 % en moyenne pour les industriels de l’alimentaire, ne couvrant qu’un tiers des besoins réels ; les catégories non alimentaires, quant à elles, continuant de flirter avec la déflation.

La crise déclenchée par le conflit en Ukraine, aggravant considérablement la hausse des prix de l’énergie, des transports et des emballages, a conduit les acteurs à signer, sous l’égide des Ministres concernés, une charte d’engagements. Elle dresse un cadre de renégociation des prix de cession des produits alimentaires afin de garantir une juste rémunération et la pérennité des divers maillons de la chaîne.

Mais depuis quelques années, on observe un phénomène pouvant être qualifié « d’évasion juridique, » extrêmement préoccupant : de plus en plus d’enseignes de la grande distribution de produits de grande consommation achètent les produits destinés aux consommateurs français depuis d’autres pays européens. La clarification des normes légales qui s’appliquent aux transactions, lorsque les produits achetés sont destinés aux consommateurs français, s’impose. Il revient au législateur de s’assurer du respect par l’ensemble des acteurs de l’esprit des dispositions légales et de son intention : il s’agit de protéger la bonne foi des uns et de décourager les manœuvres des autres, lorsqu’elles consistent à contourner la contrainte légale, afin d’en garantir l’effet utile.

Il est donc avéré qu’une initiative législative est nécessaire, a minima pour prolonger et parfaire les dispositions normatives adoptées pour le périmètre de l’alimentaire dans les Lois dites Egalim, I et II. La présente Proposition de Loi comprend donc quatre articles, visant à sécuriser les chaînes d’approvisionnement, prolonger durablement les dispositions actuellement non définitives, parfaire les conditions de transparence et de bonne foi qui doivent s’appliquer à la négociation pour en équilibrer le rapport de forces économique.

Le premier article vient confirmer le caractère de lois de police reconnu par la jurisprudence en ce qui concerne les dispositions du titre IV du livre IV du Code de commerce, en rappelant, en introduction de celui‑ci, que ses dispositions s’appliquent à toute relation contractuelle dès lors que les produits qu’elle vise sont commercialisées en France. Il s’agit ici de contrer le phénomène d’évasion juridique qui consiste à délocaliser la négociation contractuelle afin de la soumettre à des dispositions juridiques plus favorables et moins protectrices des intérêts des agriculteurs français et du fabriqué en France.

Le deuxième article vient prolonger les dispositions de la loi Egalim 1 sur l’encadrement des promotions et le seuil de revente à perte, déjà prolongées une première fois par la loi ASAP. A défaut, ces dispositions expireraient le 15 avril 2023 (VIII A de l’article 125 de la loi ASAP). Cet article propose donc de supprimer la date d’expiration prévue dans la loi ASAP, afin de prolonger cette expérimentation pour une période qui reste à définir, sauf à pérenniser ces dispositions via une codification dans le code de commerce. La proposition d’amendement reste à compléter selon l’option choisie.

Le troisième article vise à adapter le Code de commerce pour prendre en compte la situation exceptionnelle à laquelle est confrontée la chaîne d’approvisionnement afin, là encore, d’éviter les faillites des opérateurs du maillon de la transformation. Il s’agit de prévoir des dispositions explicites sur le prix applicable en l’absence d’accord au 1er mars. Ainsi que l’a établi la CEPC dans son avis 10‑05, en cas d’échec des négociations annuelles au 1er mars, il ne devrait plus y avoir ni commande du distributeur, ni livraison de produits. Cette règle viendrait clarifier une situation dans laquelle, en cas d’échec des négociations commerciales, il est généralement considéré que le maintien des livraisons par le fabricant devrait se faire au prix de l’année précédente pendant une période de préavis de plusieurs mois. Dans une période d’hyperinflation, une telle pratique crée un fardeau économique insupportable pour l’industriel et une désincitation à trouver un accord pour le distributeur. Par ailleurs, hors période d’inflation, les conséquences d’une absence d’accord sur le prix doivent être plus équitablement réparties entre le fournisseur et l’acheteur.

Enfin, le quatrième article vient compléter la disposition de la loi Egalim 2 relative au mécanisme de transparence, dit de l’option 3, sur la valorisation de la part de matières premières agricoles dans l’évolution du tarif des industriels. La rédaction actuelle consiste à faire intervenir un tiers indépendant qui va attester de la véracité de l’évolution de la part de matière première agricole dans le tarif proposé, en comparaison avec le tarif précédent. Dans le cadre des travaux de l’observatoire des négociations commerciales, le médiateur des relations commerciales agricoles préconise de modifier ces dispositions en faisant intervenir le tiers indépendant avant la conclusion du contrat, afin de se conformer au principe de transparence, tout en conservant le mécanisme d’attestation postérieure au contrat, afin de répondre à l’objectif de sanctuarisation du coût de la matière première agricole.

 


proposition de loi

Article 1er

Le chapitre préliminaire du titre IV du livre IV du code de commerce est complété par un article L. 440‑2 ainsi rédigé :

« L’ensemble des dispositions relevant du présent titre s’applique à toute relation commerciale dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français. Toute clause contraire est réputée non écrite. Tout litige portant sur l’application des dispositions de ce titre relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve de l’application d’une disposition expresse contraire prévue par un règlement européen ou un traité international ratifié par la France ».

Article 2

Le VIII de l’article 125 de la loi n° 2020‑1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique est abrogé.

Article 3

Le IV de l’article L. 441‑3 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « En l’absence d’accord au 1er mars, toute commande effectuée par le distributeur se fait sur la base du tarif et des conditions générales de vente en vigueur ».

Article 4

Le premier alinéa du 3° du I de l’article L. 441‑1‑1 du code de commerce est ainsi rédigé :

« 3° Soit prévoient, sous réserve qu’elles fassent état d’une évolution du tarif du fournisseur du produit mentionné audit premier alinéa par rapport à l’année précédente, l’intervention d’un tiers indépendant, aux frais du fournisseur, chargé d’attester la part de cette évolution qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés mentionnés au premier alinéa du présent I. Dans ce cas, le fournisseur transmet au tiers indépendant les pièces nécessaires à cette attestation. Celle‑ci est fournie dans le mois qui suit l’envoi des conditions générales de vente. Dans le cadre de cette option, une seconde attestation est fournie par le tiers indépendant portant sur le respect du II de l’article L. 443‑8 du code de commerce qui impose que la négociation ne porte pas sur la part de cette évolution. »