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N° 633

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’amnistie des gilets jaunes et la publication des cahiers d’expression libre issus du Grand débat national de 2020,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Arnaud LE GALL, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, Thomas PORTES, François PIQUEMAL, Loïc PRUD’HOMME, Jean Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH TERRENOIR, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 17 novembre 2018 a débuté en France le mouvement dit des « Gilets jaunes ». Le déclencheur immédiat était l’augmentation du prix des carburants issue de la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Mais ce mouvement, apparu de manière spontanée à une échelle immédiatement nationale, a dès le départ cristallisé les colères envers l’injustice fiscale, la hausse du coût de la vie, la disparition des services publics de proximité ou des institutions perçues comme insuffisamment démocratiques. Les Gilets Jaunes ont été le symptôme d’une crise majeure, économique, sociale et démocratique. Cette colère du peuple s’est concrétisée par la dénonciation du mépris « des puissants » qui, comme le rappelle l’historien Gérard Noiriel, est un ressort permanent des révoltes populaires. Le 17 novembre 2018 a bien marqué le premier acte d’une révolte populaire et non d’un simple « mouvement social ».

C’est la raison pour laquelle les Gilets jaunes ont immédiatement fait l’objet d’un traitement hors norme. L’État a eu recours à des méthodes de répression et de restriction des libertés participant d’une criminalisation indiscriminée des manifestants largement documentée et dénoncée par plusieurs organisations et institutions. Selon un rapport d’Amnesty international publié en 2020, entre le 17 novembre 2018 et le 12 juillet 2019, phase la plus intense de la révolte, 11 203 personnes ont été placées en garde à vue pour leur participation à des manifestations des Gilets jaunes, 5 241 ont été poursuivies, et 3 204 condamnations ont été prononcées, dont 403 avec mandat de dépôt. Toujours selon ce rapport, 20 280 personnes ont été déclarées coupables d’outrage à l’encontre de personnes dépositaires de l’ordre public pendant une manifestation. 1 192 personnes ont été déclarées coupables de « participation à un groupement en vue de la préparation de violences » et, finalement, 4 122 personnes ont vu leurs droits de circulation et de liberté de réunion restreints en amont de manifestations.

Par ailleurs, ce même rapport souligne que 2 945 participants ont été blessés dans le cadre de ces manifestations, chiffres émanant du ministère de l’intérieur lui-même. L’usage disproportionné et indiscriminé de la force, à travers l’utilisation de grenades explosives GLI-F4 et de lanceurs de balles LBD40, condamné à de plusieurs reprises par l’Organisation des Nations-Unies, a causé de nombreuses blessures graves. Plus de 40 personnes ont perdu l’usage partiel ou total d’un œil. 32 ont été éborgnés. cinq mains ont été arrachées. Onze personnes ont perdu la vie en marge des manifestations et occupations de ronds-points, dont une est décédée des suites de ses blessures après l’explosion d’une grenade l’ayant touchée, alors qu’elle se trouvait dans son appartement. 

Cette disproportion dans l’usage de la force a été constatée au-delà des soutiens nationaux des Gilets Jaunes. Le Parlement européen, dont la composition politique rappelle qu’il ne soutenait pas nécessairement les revendications politiques, sociales et fiscales des Gilets Jaunes, a pourtant adopté le 14 février 2019 une résolution « sur le droit à manifester pacifiquement et l’usage proportionné de la force ». Cette résolution visait particulièrement les États membres ayant « restreint le droit à manifester et recouru de manière excessive à la force ». Elle invitait « les États membres à veiller à ce que le recours à la force par les services répressifs soit toujours légal, proportionné et nécessaire, et qu’il ait lieu en ultime recours et à ce qu’il préserve la vie et l’intégrité physique des personnes ».

Le même jour, un groupe d’experts des droits humains des Nations-Unies est également revenu sur les atteintes aux droits des manifestants en France, ciblant notamment « l’interdiction administrative de manifester, l’établissement de contrôles supplémentaires pour les manifestants, ou l’imposition de lourdes sanctions », vues comme des entraves à la liberté de manifester.

L’amnistie : outil de reconnaissance d’une révolte populaire et de réconciliation entre l’État et les citoyen.ne.s

Dans un souci de renforcer un contrat social altéré et de contribuer à redonner à nos concitoyen.ne.s confiance dans l’action politique, le premier article de cette Loi  prévoit donc le principe de l’amnistie des Gilets jaunes condamnés.

Stéphane Gacon, historien spécialiste de l’amnistie dans l’histoire de France, rappelle que l’amnistie est un « geste symbolique de réconciliation sociale, ou, pour être plus précis, de réconciliation civique ». Procédure exceptionnelle répondant à une situation exceptionnelle marquée notamment par une répression débordant le cadre fixé par les droits fondamentaux, l’amnistie est donc un choix politique assumé de réconciliation. C’est pourquoi elle fut prononcée à plusieurs reprises dans l’Histoire de la République, à la suite de la Commune, de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre d’Algérie ou de Mai 1968 par exemple.

Quatre ans après le déclenchement de la révolte des Gilets Jaunes, et alors que la colère s’est muée en aggravation de la grève civique des citoyen.ne.s dont témoigne l’abstention record de la dernière élection législative, un tel signal d’apaisement et d’écoute serait de nature à rehausser le crédit des institutions démocratiques.

Voter le principe de l’amnistie ne revient pas à décider en amont de chaque cas. D’une part, les statistiques ne sont pas consolidées quant au nombre et à la nature des condamnations et sanctions appliquées à l’encontre des Gilets Jaunes. D’autre part, l’amnistie doit s’appliquer aux condamnations et sanctions liées à la simple participation au mouvement des Gilets Jaunes. Par exemple, une condamnation pour propos racistes, n’étant donc pas liée à la participation aux actions des Gilets Jaunes en tant que telles ne saurait entrer dans le champ de l’amnistie.

Le dispositif de cette proposition de Loi prévoit donc la création d’une commission chargée de la mise en œuvre de l’amnistie à travers l’instruction individuelle des dossiers déposés par les Gilets Jaunes condamnés requérants.

Publier les cahiers d’expression libre issus du Grand débat national : une promesse présidentielle et une reconnaissance du caractère démocratique des revendications des citoyens

Dans le cadre des manifestations et occupations de ronds-points, les Gilets Jaunes ont rédigé des cahiers d’expression libre rappelant les Cahiers de doléances de 1789. Cette pratique a été institutionnalisée sur proposition de l’Association des maires ruraux de France, conscients de l’impasse de la seule répression. Le Président de la République a lui-même reconnu officiellement l’utilité de ces cahiers, mis à disposition des Françaises et Français entre janvier et mars 2019 dans le cadre du « Grand débat national » promu par l’Élysée. Il s’est alors engagé à ce que ces cahiers soient publiés en l’état à l’issue du « Grand débat ». Pourtant, près de quatre ans plus tard, les 16 337 cahiers contenant 160 000 propositions citoyennes n’ont jamais été mis en ligne, alors que ce sont en tout 1 932 884 français qui ont participé au Grand débat pour lequel le Président Macron s’était engagé à restituer aux français ce « trésor national » et « tirer toutes les conclusions » de cette consultation inédite pour « bâtir un nouveau contrat pour la nation ».

Le gouvernement, seul tributaire de sa décision de mettre en place et publier cet outil d’expression populaire et de participation politique direct, avait la possibilité de le transformer en un véritable outil démocratique s’inscrivant dans la continuité de la Révolution française. En 1789, les Cahiers de doléance ont participé à l’abolition des privilèges et des droits féodaux, votée à l’unanimité par les députés membres de la constituante le 4 août 1789. Cet acte constitue le premier marqueur d’une République fondée sur l’égalité des droits. Plus de deux siècles plus tard, ce moment fondateur continue d’imprégner le contrat social entre l’État et les citoyens composant le peuple souverain.

À la fin du 19e siècle, après des décennies de lutte entre partisans et adversaires de la République, les plus fervents républicains avaient compris l’importance de ce moment fondateur pour renforcer dans la mémoire collective l’idée républicaine et garantir l’implantation de ce régime en France. C’est dans ce but que l’Assemblée nationale, sous l’impulsion de Jean Jaurès, entreprit fin 1903 la recherche et la publication des cahiers de doléances de 1789.

Par-delà les différences évidentes de contexte entre 1789 et la révolte des Gilets Jaunes, la mise en ligne des cahiers d’expression libre des Gilets jaunes, initialement promise par le Chef de l’Etat, serait de nature à atténuer l’érosion de la confiance de millions de nos concitoyen.ne.s dans des institutions dont ils ont le sentiment qu’elles ne tiennent ni leurs promesses, ni aucun compte de leurs problèmes et revendications.

Un premier travail de restitution des doléances a été effectué par le collectif « Le vrai débat », à l’origine d’une consultation en ligne ayant abouti sur la publication d’un livret regroupant les propositions essentielles en faveur du renouveau démocratique en France. Toutefois, pour les raisons mentionnées ci-dessus, la publication par l’État des doléances des citoyen.ne.s est une nécessité.

Enfin, les modalités de stockage actuel des cahiers d’expression libre ne permettent pas une exploitation adéquate pour la recherche scientifique, comme le Président de la République s’y était également engagé. 

C’est pourquoi le second article de cette proposition de loi demande la mise en œuvre de la promesse présidentielle de publication des cahiers d’expression libre issus du Grand débat national.

Soyons à l’avant-garde de notre démocratie.


proposition de loi

Article 1er

Une commission d’amnistie des peines et sanctions infligées entre le 17 novembre 2018 et le 31 janvier 2020 dans le cadre du « mouvement des Gilets jaunes » est créée. La commission est chargée de l’instruction des dossiers déposés par les requérants.

Article 2

Les cahiers d’expression libre rédigés entre le 15 janvier et le 13 mars 2020 sont mis en ligne. Cette mise en ligne se fait selon des modalités conformes aux critères d’exploitation de la recherche scientifique et d’accessibilité au grand public sur le site du Grand débat national, ou toute autre plateforme numérique. La publication des cahiers d’expression libre doit également garantir la possibilité pour un public éloigné du numérique de prendre connaissance et accéder à ces documents via tout autre moyen de consultation.

Article 3

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la majoration de l’impôt sur la fortune immobilière.