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N° 635

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à abolir la corrida :
un petit pas pour l’animal, un grand pas pour l’humanité,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Aymeric CARON, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Bastien LACHAUD, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Christine ARRIGHI, Clémentine AUTAIN, Julien BAYOU, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Guy BRICOUT, Sylvain CARRIERE, Cyrielle CHATELAIN, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIERE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Charles FOURNIER, Perceval GAILLARD, Marie‑Charlotte GARIN, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTE, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Hubert JULIEN‑LAFERRIÈRE, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Julie LAERNOES, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Antoine LEAUMENT, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGRAVE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Benjamin LUCAS, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean‑Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, Francesca PASQUINI, Sébastien PEYTAVIE, François PIQUEMAL, Marie POCHON, Thomas PORTES, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Jean‑Claude RAUX, Sandra REGOL, Sébastien ROME, Sandrine ROUSSEAU, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Nicolas THIERRY, Aurélie TROUVE, Paul VANNIER, Léo WALTER.

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Sentir le sable

Sous ma tête, c’est fou comme ça peut faire du bien

J’ai prié pour que tout s’arrête

Andalousie, je me souviens

 

Je les entends rire comme je râle et je les vois

Danser comme je succombe

Je pensais pas qu’on puisse autant

S’amuser autour d’une tombe

 

Estce que ce monde est sérieux ? »

 

Francis Cabrel, La corrida, 1994

 

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« La corrida davantage qu’un spectacle est un art », estimaient en 2019 une quarantaine de personnalités françaises de la culture, dans une tribune inquiète de linterdiction possible des corridas aux mineurs.

Largument est bien connu : dans larène se jouerait un spectacle, celui de la vie contre la mort, de lhomme contre la bête, du civilisé contre le sauvage, de la culture contre la nature, de tout ce que vous voulez dailleurs, et ce spectacle serait plus ou moins beau selon les acteurs du jour. Parmi eux le torero, lendimanché bourreau, et le taureau, partenaire obligé dun combat truqué dont on lui demandera de sortir vaincu, mais brave. Oui, cest ainsi : il est exigé de lanimal sacrifié quil meure bien. Sinon il sera moqué, méprisé, et critiqué de navoir pas su être à la hauteur du spectacle de la vie contre la mort, de lhomme contre la bête ou de la culture contre la nature.

La corrida, un art ? Ceux qui laffirment se fourvoient.

Lart, le vrai, génère des œuvres où limagination et la technique servent la part la plus habile de l’âme humaine. Parmi elles on compte la chanson de Francis Cabrel qui décrit lincompréhension, la lutte et les souffrances dun taureau qui vit ses derniers instants dans larène. « Je ne pensais pas quon puisse autant samuser autour dune tombe », s’étonne‑t‑il avant dexpirer, nous laissant seuls face à cette vérité inversée : les rôles ont été mal distribués, et le sauvage nest pas celui qui avait été désigné comme tel. Lart de Cabrel repose ici sur des mots et des notes composant un tableau qui déchire les esprits. L’œuvre transperce, mais elle ne tue personne, et ce n’est pas un détail. Car si lart na pas à être moral, il ne peut reposer sur un acte immoral réprouvé par la loi. Or les sévices graves et les actes de cruauté sur un animal sont immoraux et réprouvés par la loi.

Daprès larticle 521‑1 du code pénal, de tels actes, sils sont par ailleurs suivis de la mort de lanimal, sont punis de cinq ans demprisonnement et de 75 000 euros damende. Qui oserait soutenir que les traitements infligés à un taureau pendant une corrida nentrent pas dans cette catégorie ?

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Une corrida dure deux heures. Elle comprend six combats de vingt minutes chacun, opposant un taureau à une équipe de plusieurs personnes. Chacun des combats se déroule en trois phases appelées « tercios ».

Au cours du premier tercio, les picadors à cheval utilisent une longue pique qui cisaille les muscles du cou et le ligament de la nuque pour empêcher le taureau de relever la tête. Lanimal souffre, évidemment, et saigne, ce qui laffaiblit. Il commence aussi à perdre tous ses repères, ce qui le rend dautant plus vulnérable.

Le deuxième tercio est celui où six banderilles, des bâtons terminés par un harpon en acier de plusieurs centimètres de long, sont plantées dans le garrot de lanimal, pour aggraver ses blessures. Ces banderilles provoquent des saignements intenses accrus par les déplacements brusques et saccadés du taureau, stimulé par le jeu de cape du torero.

Le troisième tercio est celui de la mise à mort qui commence par lestocade au cours de laquelle une épée transperce le corps de lanimal jusqu’à la cage thoracique, saccageant nerfs et organes. Il est très rare que le matador tue le taureau au premier coup d’épée. Il sy reprend donc à plusieurs fois, et utilise même un deuxième type d’épée quil plante cette fois dans la nuque. Le coup de grâce est ensuite donné par un poignard planté derrière le crâne pour atteindre le bulbe rachidien. Là encore, ce coup peut être répété plusieurs fois. En trophées, le matador recevra une ou deux oreilles coupées, voire la queue du taureau massacré.

Tout cela relève‑t‑il de lart ou de la torture ?

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Lordre national des vétérinaires a tranché. En 2016 il affirmait :

« Dans les spectacles taurins sanglants, la douleur infligée aux animaux nest pas contestée. Dans la pratique de la corrida, cest précisément cette douleur qui augmente les réactions défensives des animaux, leur stress psychologique et physique et donc leur agressivité. Elle conditionne ainsi le succès du spectacle. La courte durée du spectacle (20 mn) et la sélection danimaux agressifs et génétiquement prédisposés à combattre paraissent une atténuation peu significative de lintensité des souffrances physiques forcément ressenties par les animaux.

Les spectacles taurins sanglants, entraînant, par des plaies profondes sciemment provoquées, des souffrances animales foncièrement évitables et conduisant à la mise à mort danimaux tenus dans un espaces clos et sans possibilité de fuite, dans le seul but dun divertissement, ne sont aucunement compatibles avec le respect du bien‑être animal ».

La législation française suit logiquement lavis de lordre des vétérinaires : en vertu de larticle 521‑1 du code pénal, la corrida est interdite dans notre pays.

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Plusieurs départements français bénéficient pourtant encore aujourdhui dune exception à la loi, au nom dune « tradition locale ininterrompue ». Dans le Gard, les Pyrénées‑Atlantiques ou les Bouches‑du‑Rhône est donc admis ce qui est considéré comme une barbarie répréhensible dans la Sarthe ou dans les Vosges. Dans les départements dits « taurins », les sévices et actes de cruauté sur les taureaux ne sont pas niés, ils ne sont simplement pas condamnés.

La justification dun tel dispositif au nom dune « tradition locale ininterrompue » est factice. La corrida nest en rien une tradition française, mais espagnole. Elle nest arrivée en France quen 1853, pour faire plaisir à Eugénie de Montijo, l’épouse andalouse de Napoléon III. Et elle na dailleurs bénéficié dune exception aux peines prévues pour les actes de cruauté quen 1951. De plus, cette corrida espagnole ne peut se prévaloir dappartenir au patrimoine culturel immatériel de la France, ce qua confirmé le Conseil d’État en 2016, appuyant la décision de la cour administrative de Paris prise un an plus tôt.

Par ailleurs, ce « spectacle » qui bénéficie de fonds européens, par le biais de la Politique agricole commune (PAC), et de subventions locales, soulève lopposition et lindignation dune immense majorité de Françaises et Français. Daprès un sondage Ifop de février 2022, 87 % des personnes interrogées se déclarent favorables à ce que tout acte de cruauté volontaire ayant entraîné la mort dun animal soit puni, sans exception pour les corridas. En 2017 un autre sondage Ifop avait montré que, dans les départements où les corridas sont autorisées, 75 % des habitantes et habitants sont opposés aux corridas avec pique, banderille et mise à mort.

Le Chili, lArgentine, Cuba et lUruguay ont fait le choix dinterdire les corridas et Mexico vient de les suspendre à son tour. En Europe, le Danemark, lItalie et le Royaume‑Uni ont formellement interdit cette pratique, tout comme la Catalogne. Les Françaises et Français expriment très fortement le souhait que notre pays suive lexemple. En tant qu’élu(e)s de la Nation, il nous revient dagir dans lintérêt général, en tenant compte de lattente sociétale. Nous avons le devoir de suivre le sens de lHistoire et dabolir les corridas. Cette proposition de loi vise donc à interdire les corridas, sans affecter les autres activités taurines.

En affirmant solennellement que la torture et la mort dun animal ne peuvent légalement constituer un divertissement digne de l’éthique contemporaine, nous ferons un pas historique en faveur des droits des animaux et par là‑même en faveur de notre humanité.

Larticle unique prévoit labolition de la corrida sur tout le territoire français.


proposition de loi

Article unique

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Au onzième alinéa de larticle 521‑1, les mots « aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables » sont supprimés ;

2° Au second alinéa de l’article 522‑1, les mots « aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Il n’est pas non plus applicable » sont supprimés.