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N° 660

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à mieux encadrer l’ouverture du feu par les forces de l’ordre
en cas de refus d’obtempérer,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Sophie TAILLÉPOLIAN, Benjamin LUCAS, Sandra REGOL, Jérémie IORDANOFF, Christine ARRIGHI, Marie-Charlotte GARIN, Sébastien PEYTAVIE, Eva SAS, Jean-Claude RAUX, Sandrine ROUSSEAU, Aurélien TACHÉ, Julien BAYOU, Charles FOURNIER, Sabrina SEBAIHI, Marie POCHON,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’année 2022 a été marquée par 13 tirs policiers mortels sur des occupant·es de véhicules. Ces homicides interrogent sur l’encadrement juridique de l’utilisation des armes à feu pouvant conduire à leur usage excessif par les agent·es de la police et de la gendarmerie nationales.

L’article L. 435‑1 dans le Code de sécurité par la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique énumère les cas dans lesquels les forces de police peuvent se servir de leurs armes à feu, notamment lorsqu’un·e conducteur·trice d’un véhicule n’obtempère pas et est “susceptible” de porter atteinte à leur vie ou à celle d’autrui.

L’utilisation des armes à feu et des dérives qui lui sont associées sont aujourd’hui documentées permettant d’établir un lien direct entre l’adoption de cet article et l’augmentation des tirs mortels de policier.es sur des véhicules. D’après les chiffres de l’IGPN, les tirs ont augmenté de 47 % en 2017 en comparaison avec l’année 2016, et de 39 % sur une moyenne de 5 ans (20172021) par rapport au cinq années précédentes (20122016).

Dès lors, l’actuel cadre légal ne protège ni la population, ni les équipes de police en intervention. Au contraire, il expose davantage au danger des armes à feu et conduit à une augmentation des décès. Le lien statistique étant établi entre les évolutions législatives et l’augmentation des tirs, il convient de s’interroger sur les problématiques concrètes que la législation actuelle soulève : d’une part le sentiment d’impunité - qui contribue d’aggraver la rupture du lien de confiance entre forces de l’ordre et population - et d’autre part le manque de discernement, et donc de professionnalisme des agent.es de police sur le terrain, dans la plupart des cas lié au manque d’expérience.

Ces dispositions législatives ont également eu comme effet une complexité préjudiciable : la rédaction en l’état actuel de cet article est insuffisante quant à la précision de la réglementation et des limites qu’elle fixe aux policier.es. En effet, il permet aux forces de police de tirer sur des citoyen·nes même s’ils ou elles ne représentent pas de menace grave et immédiate, s’affranchissant ainsi - en partie - du cadre de la légitime défense. L’expression “sont suceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui” présente une limite fondamentale dans son interprétation à savoir qu’il s’agit d’une possibilité latente, d’une virtualité, et non pas d’éléments probants. “Etre suceptible de” présente un caractère hypothétique alors que les forces de l’ordre doivent avoir la maîtrise de la violence légitime de l’État. Pourtant, le code pénal prévoit déjà deux cas d’irresponsabilité en cas de légitime défense : celle des personnes ou des biens (article 122‑5 du code pénal) et l’état de nécessité (article 122‑7 du code pénal), qui s’appliquent par conséquent aux forces de l’ordre.

Les solutions résident dans la formation, notamment à l’usage des armes et aux tirs tout au long de la carrière. Il réside également dans les instructions de la hiérarchie, qui doivent être claires.

En 2016, la Cour européenne des droits de l’Homme avait déjà condamné la France pour violation du droit à la vie s’agissant d’un tir sur un véhicule en fuite, causant la mort d’une passagère. Elle exigeait déjà à l’époque un encadrement strict des armes à feu, restant jusqu’ici sans suite.

Dès 2017, le Défenseur des droits dans son avis n° 17‑01 rappelait que “pour un policier comme pour tout justiciable, la violence doit rester l’ultime recours ; l’arme à feu de ne peut être utilisée que dans des cas ultimes”. S’il soulignait la nécessaire harmonisation des dispositions, il alertait quant à la pertinence de ladite loi et de son article L.435‑1, il exprimait ses inquiétudes relatives à la complexification du régime spécifique aux forces de l’ordre.

Ainsi, cette proposition de loi vise à mettre fin au flou juridique et à la confusion des textes de loi existants, tout en protégeant les libertés individuelles et les droits fondamentaux des citoyen·nes, dont le premier est le droit à la vie garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour ce faire, elle propose une nouvelle rédaction du 4° de l’article L. 4351 du code de sécurité intérieure. Cette proposition de loi a comme objectif de rétablir un cadre clair pour les forces de l’ordre et protecteur pour la population, en réaffirmant le droit commun applicable à tout justiciable, donc aux agent.es de la police nationale en cas de légitime défense. Abroger ledit article et en proposer une nouvelle écriture n’empêche pas les forces de police de pouvoir se défendre en cas de danger grave et immédiat.

Cette proposition de loi est un premier pas dans le rétablissement des liens de confiance entre les citoyen·nes et les forces de l’ordre. Un travail global de refonte de la police, de son code de déontologie, de sa formation doit être effectué. C’est une nécessité dans notre État de droit, pour garantir la justice, lutter contre les discriminations et garantir de meilleures conditions de travail dans la police.


proposition de loi

Article unique

Le cinquième alinéa de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Après le mot : « armes », sont insérés les mots : « et en favorisant les tirs au niveau des roues » ;

2° Les mots : « sont susceptibles de perpétrer » sont remplacés par les mots : « ont perpétré ».