Description : LOGO

N° 661

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer l’ordonnance de protection,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Cécile UNTERMAIER, Marietta KARAMANLI, Hervé SAULIGNAC, Roger VICOT, Boris VALLAUD, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Marie-Noëlle BATTISTEL, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Inaki ECHANIZ, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Fatiha KELOUA HACHI, Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Anna PIC, Christine PIRES BEAUNE, Dominique POTIER, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Mélanie THOMIN,  

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les violences intrafamiliales sont un fait de société majeur ; il ne se passe pas un jour sans qu’un drame ne survienne.

I – Des violences intrafamiliales qui augmentent

124 femmes ont été tuées en 2022 ([1]). Elles étaient 122 en 2021, 102 en 2020 ([2]).

Alors qu’en 2013, elles étaient déjà 129, force est de constater que le phénomène ne diminue pas depuis dix ans. Au contraire, ces trois dernières années, il a augmenté de plus de 20 %. C’est ainsi qu’en France, un féminicide est enregistré tous les deux jours et demi en 2021. En parallèle, on dénombre 251 tentatives d’homicides au sein du couple en 2021, un chiffre lui aussi en augmentation de 5 % par rapport à 2020.

Parmi toutes ces femmes décédées, 32 % avaient déjà subi des violences antérieures, 64 % de celles‑ci avaient signalé ces violences aux forces de sécurité intérieure et parmi elles, 84 % avaient déposé plainte ([3]).

Les enfants sont eux aussi victimes des violences intrafamiliales. En 2021, 12 ont été tués, 150 sont devenus orphelins de père ou de mère ou des deux parents. Selon un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en juin 2021 ([4]), ils sont 400 000 à vivre dans un environnement de violences conjugales et 60 % d’entre eux présentent des troubles post‑traumatiques. Ce sont des familles détruites et autant d’avenirs compromis.

Si le sujet des violences intrafamiliales est désormais plus présent dans le débat public et les médias, si les professionnels de la police, de la justice et de l’accompagnement et les associations sont activement mobilisés, les chiffres actuels attestent des efforts qui doivent encore être fournis.

II – Les récentes avancées législatives relatives à l’ordonnance de protection et l’utilité d’aider à son développement

Ces dernières années, de nombreuses mesures ([5]), portées par la loi n° 2019‑1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences conjugales et la loi n° 2020‑936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, ont permis des avancées : renforcement de l’ordonnance de protection des victimes (suppression du dépôt de plainte comme préalable à la délivrance d’une ordonnance, délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date d’audience pour statuer sur sa délivrance), élargissement du port du bracelet anti‑rapprochement, attribution d’un téléphone grave danger à la victime, accompagnement à l’accès au logement, suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur au parent violent, retrait de l’autorité parentale ou de son exercice lors de crime ou de délit sur conjoint décidé par le juge aux affaires familiales (JAF), exclusion de la procédure de médiation en matière civile et pénale aux cas de violences conjugales, reconnaissance du suicide forcé comme délit, du cyber contrôle dans le couple, facilitation du recours à l’aide juridictionnelle provisoire…

Le combat doit continuer. Les dispositifs existants, encore récents, doivent être améliorés et davantage appliqués, notamment s’agissant de l’ordonnance de protection, créée par la loi du 9 juillet 2010 et délivrée par le juge aux affaires familiales(JAF), laquelle vise à protéger en urgence les personnes victimes de violences intrafamiliales par un ensemble de mesures civiles et de protection immédiate consacrées à l’article 515‑11 du code civil (interdiction d’entrer en relation avec la victime, de se rendre dans certains lieux, de porter une arme, dissimulation du domicile…).

En 2021, sur les 122 femmes tuées, seules deux bénéficiaient d’une ordonnance de protection, chiffre attestant de la sousutilisation du dispositif. C’est ce qu’affirmait un rapport d’octobre 2019 de la mission sur les homicides conjugaux de l’Inspection générale de la justice ([6]). Ce constat est partagé par le Comité national de l’ordonnance de protection (CNOP), créé en juin 2020 et chargé de développer ce dispositif. Il observe néanmoins une tendance positive dans son rapport de juin 2021 ([7]) puisque le nombre de demandes d’ordonnances de protection a augmenté de 78,4 % entre 2018 et 2020 et le taux d’acceptation est passé de 61,8 % à 66,7 %.

III- Le dispositif de la proposition de loi

L’enjeu est donc de favoriser la délivrance d’ordonnances de protection et d’allonger la durée de cellesci afin qu’elles protègent plus longtemps.

Dans un premier temps donc, afin de faciliter la délivrance des ordonnances de protection, il apparait utile de supprimer la double conditionnalité actuellement prévue par l’article 515‑11 du code civil qui conditionne la décision du JAF à « des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. ». Selon de nombreux avocat.e.s spécialisé.e.s dans la défense de victimes de violences conjugales, le Comité national de l’ordonnance de protection et enfin l’étude réalisée par la magistrate honoraire Christine Rostand, fondée sur l’examen approfondi ([8]) de 454 dossiers d’ordonnances de protection au sein des tribunaux de Créteil, Paris, Meaux, Bobigny et Charleville‑Mézières, cette rédaction implique de manière sous‑jacente qu’il y aurait des violences sans danger suffisant ou sans danger tout court. L’appréciation du danger, séparément des violences alléguées donne lieu à de nombreuses décisions de rejet et à des interprétations difficiles pour le juge. L’ensemble des acteurs précités, avec le CNOP dénoncent cette formulation qui complexifie le travail du juge et limite la délivrance d’ordonnances de protection. Tous considèrent que « lorsqu’il y a des violences vraisemblables, il y a nécessairement du danger vraisemblable. »

Dans un second temps, il est nécessaire de doubler la durée de l’ordonnance. En l’état actuel du droit, l’ordonnance de protection est délivrée pour une durée de six mois. Le seul allongement possible a lieu si durant ce délai, une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le JAF a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale. Au regard de la durée des procédures entreprises devant le JAF, cette durée de six mois est insuffisante pour protéger efficacement une victime de violences. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les renouvellements sont fréquents. Or, chaque renouvellement nécessite de nouvelles démarches et contribue à l’engorgement du système judiciaire, contraire à l’urgence et la simplification de la réponse attendue par la victime.

L’article 1 clarifie la condition de délivrance de l’ordonnance de protection, en supprimant la notion de danger, incluse nécessairement dans celle de la violence prise en considération par le juge. Par la formulation ainsi proposée, cet article vise à résoudre les difficultés d’interprétation du premier alinéa de l’article 515‑11 du code civil, considérées comme un frein à la délivrance de cette mesure de protection des victimes de violences intrafamiliales.

Larticle 2 modifie l’article 51512 du code civil et l’article 11367 du code de procédure civile afin d’allonger la durée maximale de l’ordonnance de protection de six à douze mois. C’est une souplesse ainsi donnée à ce dispositif, étant entendu que le juge garde la possibilité de fixer une durée inférieure s’il le juge utile.

Ces mesures sont des solutions de droit simple, tendant à faciliter l’office du juge et offrir davantage de souplesse et d’apaisement chez les victimes. Elles répondent à des demandes fortes des associations luttant pour le droit des femmes.

 

 


proposition de loi

Article 1er

À la fin de la première phrase du premier alinéa de l’article 515‑11 du code civil, le mot : « vraisemblables » est remplacé par le mot : « vraisemblable » et, à la fin, les mots : « et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés » sont remplacés par les mots : « à l’encontre de la victime ou un ou plusieurs enfants ».

Article 2

I. – À la première phrase de l’article 515‑12 du code civil, le mot : « six » est remplacé par le mot : « douze ».

II. – À la seconde phrase du second alinéa de l’article 1136‑7 du code de procédure civile, le mot « six » est remplacé par le mot : « douze ».


([1])  Selon l’association NousToutes.org, en date du 08 décembre 2022

([2])  Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple, ministère de l’Intérieur, 2021, p 5

([3])  Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple, ministère de l’Intérieur, 2021, p 5

([4])  Tableau de bord d’indicateurs, Politique de lutte contre les violences conjugales, année 2019, Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, juin 2021, p 11

([5])  https://arretonslesviolences.gouv.fr/l-etat-vous-protege/comment-l-etat-me-protege

([6])  Mission sur les homicides conjugaux, Inspection général de la justice, ministère de la Justice, octobre 2019, p. 21.

([7])  Rapport d’activité 2020-2021 du Comité national de l’ordonnance de protection (CNOP), p. 8.

([8])  Rapport d’activité 2020-2021 du Comité national de l’ordonnance de protection (CNOP), p 9 et p 27-35