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N° 699

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger la population du risque de cancer
lié à la consommation de charcuteries nitrées,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Loïc PRUD’HOMME, Nicolas THIERRY, Nadège ABOMANGOLI, Gabriel AMARD, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Idir BOUMERTIT, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Jean François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Alain DAVID, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Elsa FAUCILLON, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Tematai LE GAYIC, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Murielle LEPVRAUD, lisa MARTIN, Pascale MARTIN, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Manon MEUNIER, Marcellin NADEAU, Mathilde PANOT, Francesca PASQUINI, François PIQUEMAL, Marie POCHON, Thomas PORTES, Adrien QUATENNENS, Jean Hugues RATENON, Sandrine ROUSSEAU, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Aurelien TACHÉ, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Nicolas THIERRY, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le cancer est la première cause de décès en France avec près de 157000 décès par an ([1]). Pour lutter contre ce fléau une stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021‑2030 privilégiant trois axes d’actions, la prévention, la prise en charge et accompagnement a été annoncée par le Chef de l’état. L’axe prévention prévoit notamment réduire de 60 000 par an le nombre de cancers évitables à horizon 2040. L’identification et l’information de la population sur les causes du déclenchement des cancers constituent ainsi les deux volets essentiels des mesures à mettre en place pour atteindre cet objectif. 

41 % des cancers chez les plus de 30 ans étaient attribuables à des facteurs de risque modifiables liés au mode de vie ou à l’environnement en France métropolitaine en 2015 ([2]). Le tabac, l’alcool, et l’alimentation apparaissant comme les trois facteurs de risques les plus prégnants. 

Une part importante des cancers en lien avec l’alimentation sont attribuables à la consommation de viande transformée/charcuterie. La charcuterie est ainsi le seul aliment, avec l’alcool, classé comme « cancérogène avéré pour l’homme » (Groupe 1) par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), l’agence spécialisée dans le cancer de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), et sa consommation serait la cause directe du déclenchement de 4380 nouveaux cancers en France en 2015 ([3]).

Cette cancérogénicité élevée de la charcuterie s’explique, en particulier, par l’utilisation d’additifs nitrés dans son processus de fabrication. L’ajout de ces additifs à la viande étant à l’origine de la formation de composés nitrosés dont le fer nitrosylé, les S‑nitrosothiols, les nitrosamines et les nitrosamides ([4]) qui accentuent le pouvoir cancérogène de la matière carnée.

Les additifs nitrés comprennent le nitrite de sodium (E250) et nitrate de potassium (E252) pour les plus utilisés mais aussi le nitrite de potassium (E249), le nitrate de sodium (E251) et certains procédés permettant de générer du nitrite à partir d’extraits végétaux à haute teneur en nitrate. Ce sont des conservateurs employés dans les salaisons et la charcuterie parce qu’ils accélèrent et simplifient la fabrication, qu’ils allongent la durée de conservation, et qu’ils permettent de recourir à des matières premières de moindre qualité. 

Dès l’origine l’utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie a été controversée en France. Le premier rapport sur le sujet, publié en 1935 par Frédéric Bordas dans les Annales d’Hygiène publique est clair comme l’atteste cette interrogation « Devonsnous faciliter les opérations qui consistent en réalité à tromper l’acheteur, avec cette circonstance aggravante que le produit préconisé est toxique ? » ([5]). L’autorisation des additifs nitrés en France est d’ailleurs très tardive, les sels nitrités, par exemple, ne sont autorisés qu’en 1964 sous la pression de producteurs industriels désireux de faire face à une concurrence étrangère devenue déloyale.

Depuis, de nombreuses études ont démontré la cancérogénicité de l’utilisation d’additifs nitrés dans la viande transformée (Santarelli et al., 2010 ; Cross et al., 2010 ; Crowe et al., 2019). Il est à noter que cette utilisation de composés nitrés produit le même résultat quel que soit le procédé industriel utilisé, y compris l’ajout par trempage dans un bouillon de légumes à forte teneur en nitrates.

Plus récemment, la question du rôle prépondérant de l’ajout d’additifs nitrés dans la charcuterie dans le développement des cancers a été définitivement tranchée par l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) par son avis du 12 juillet 2022 ([6]).

Les conclusions de cet avis de l’Anses sont sans appel. En effet, celui‑ci établit « l’existence d’une association positive entre l’exposition aux nitrates et/ou aux nitrites via la viande transformée et le risque de cancer colorectal », une association positive suspectée entre « l’exposition aux nitrates présents dans la viande transformée et le risque de cancers du sein, de la vessie et de mortalité par cancer », et une association positive suspectée entre « l’exposition aux nitrites présents dans la viande transformée et le risque de cancers du pancréas, de l’estomac, de l’œsophage, du sein, de la vessie, de la prostate et de mortalité par cancer ». Par ailleurs, d’autres études ont pu mettre en évidence un risque substantiel d’apparition de tumeur au cerveau chez les enfants dont les mères ont consommé une quantité relativement importante de viande transformée nitrée pendant leur grossesse ([7]).

De plus cet avis de l’Anses confirme que la réduction ou la suppression de l’emploi des nitrites/nitrates dans les produits de charcuterie n’augmenterait pas les risques sanitaires, concernant notamment les cas de listériose ou de botulisme, sous réserve du respect des recommandations en vigueur (mesures d’hygiène à l’abattoir, température de conservation, maitrise du taux de sel, durée de vie des produits). Il est, en effet, aujourd’hui tout à fait possible de réaliser l’ensemble des produits de charcuterie sans recourir aux additifs nitrés.

En conséquence l’ANSES formule plusieurs recommandations avec en premier lieu une limitation de l’exposition alimentaire aux nitrates et aux nitrites via les produits carnés traités et le respect des recommandations de consommation de ces produits à savoir 150 g par semaine pour la charcuterie. 

Les consommateurs français sont d’autant plus exposés aux risques identifiés par l’ANSES que leur consommation de charcuterie excède largement les recommandations formulées par Santé Publique France, 63 % des personnes âgées de 18 à 54 ans dépassent les quantités de charcuterie maximales recommandées ([8]), et qu’une grande majorité des produits proposés à la consommation comportent des additifs nitrés. Cette surconsommation de charcuterie nitrée touche plus particulièrement les foyers les plus modestes contraints de consommer de la charcuterie de moindre qualité et les enfants dont le régime alimentaire est riche en aliments contenant ces additifs. 

Face à cette situation sanitaire et à ces évidences scientifiques accumulées l’inaction politique n’est plus une position défendable. Il n’est pas non plus sérieux de réduire l’action politique à l’instauration de doses journalières admissibles (DJA). Les composés nitrosés cancérogènes apparaissant dès l’ajout d’additifs nitrés dans les produits carnés, traiter des DJA reviendrait à discuter de la taille et de la fréquence des cancers acceptables.

Il est urgent de prendre des mesures législatives efficaces pour réduire la consommation de produits contenants des additifs nitrés dans leur composition, et à terme, pour mettre fin à l’utilisation de ces additifs dans l’alimentation.

La commission d’enquête sur la nourriture industrielle menée en 2018 par le député Loïc Prud’homme ([9]) a formalisé les premières propositions d’encadrement législatif strict de l’utilisation des additifs et particulièrement l’interdiction des additifs nitrés. Ces recommandations ont été reprise par le député dans une proposition de loi déposée en 2021 et défendue en séance lors d’une niche parlementaire. Vidée de son contenu par amendements elle reste inopérante. En 2020 puis 2022 c’est une proposition de loi issue d’un travail spécifique sur les additifs nitrés qui a été portée par le député Richard Ramos. Défendue elle aussi lors d’une niche parlementaire le dispositif d’interdiction a été rendu inopérant par amendement et les mesures résiduelles ont été conditionnées aux conclusions de l’ANSES, conclusions sans appels rendues le 12 juillet 2022. 

Ces initiatives de protection de la santé et dans l’intérêt de tous ont échoué face à l’action coordonnée du gouvernement et des lobbies défendant les intérêts des industriels de l’agroalimentaire, mais ce dernier rapport de l’autorité sanitaire oblige aujourd’hui à agir fortement pour éviter ces dégâts sanitaires sur la population dont celle des enfants et ces morts, dont la cause unique est identifiée. 

Cette proposition de loi revêt un caractère urgent et transitoire. Au regard du retard pris par la filière pour sortir de l’utilisation des additifs nitrés, bien qu’un nombre significatif ait déjà cessé de les utiliser dans leur process de production, il semble utile de permettre aux derniers industriels la révision de leurs process de production et l’adaptation de leurs installations, en prévision de l’interdiction totale des additifs nitrés.

L’article premier de cette proposition de loi prévoit donc d’instaurer un étiquetage spécifique « Contient des additifs nitrés, provoque des cancers » ayant pour double fonction, d’identifier les produits contenant des additifs nitrés ou des alternatives à l’emploi des nitrates/nitrites telles que les bouillons de légumes et d’informer le consommateur sur les risques sanitaires liés à la consommation de ces produits notamment sur l’augmentation du risque de cancer.

En plus d’être un droit fondamental pour tous les citoyens, cette information constituerait un levier très efficace pour faire changer les pratiques de consommations. L’exemple de la mise en place du Nutriscore est très éclairant sur ce point, d’après Santé Publique France, en 2020, 57 % de la population a ainsi déclaré avoir changer au moins une de leurs habitudes d’achat du fait de l’application de cette mesure, et ce chiffre est en progression constante ([10])

L’article 2 de cette proposition vise à compléter l’affichage informatif par l’apposition du pictogramme « femme enceinte » eu égard aux effets sur le fœtus (Pogoda, J. et Preston‑Martin, S. 2001)

L’article 3 prévoit de protéger les usagers de la restauration collective des hôpitaux, cliniques, maternités et cantines scolaires en interdisant le service de produits contenant des additifs nitrés dans ces lieux où sont exposés les publics les plus vulnérables aux effets de ces additifs, à savoir les femmes enceintes et leurs fœtus, et les jeunes enfants.

 (f) Bastide NM, Pierre FH, Corpet DE. Heme iron from meat and risk of colorectal cancer : a metaanalysis and a review of the mechanisms involved. Cancer Prevention Research, Février 2011.

 


proposition de loi

Article 1er

Après le livre II bis de la troisième partie du code de la santé publique, il est inséré un livre II ter ainsi rédigé :

« Livre II ter

« Lutte contre les aliments cancérigènes

« Chapitre unique

« Art. L. 32331. – Afin d’informer les consommateurs sur les risques de cancer liés à la consommation de viandes transformées, les produits de charcuterie destinés à la consommation humaine, doivent, pour être commercialisés, comporter sur la face avant de leur emballage, de manière visible et occupant au minimum 20 % de cette surface, la mention « Contient des additifs nitrés, provoque des cancers » dès lors qu’ils remplissent les conditions cumulatives suivantes :

« 1° Ils relèvent des codes SH16010099 et SH16024190 de la nomenclature douanière ;

« 2° Ils contiennent des additifs nitrés tels que le nitrite, le nitrate ou le sel nitrité ;

« 3° Ils sont conditionnés dans des récipients destinés à la vente au détail, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un professionnel. »

Article 2

Toutes les unités de conditionnement des produits de charcuterie définis à l’article L. 3233‑1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la présente loi, portent, dans les conditions fixées par un arrêté du ministre chargé de la santé, un message à caractère sanitaire préconisant l’absence de consommation de ces produits par les femmes enceintes.

Article 3

La consommation de produits de charcuterie définis à l’article L. 3233‑1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la présente loi, est interdite dans les services de restauration collective scolaire, hospitalière, et du secteur médico‑social.


([1])  https ://www.santepubliquefrance.fr/maladiesettraumatismes/cancers.

([2])  MarantMicallef C, Shield KD, Vignat J, Hill C, Rogel A, Menvielle G, et al. Approche et méthodologie générale pour l’estimation des cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine en 2015. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire 21, 2018. http ://invs.santepublique france.fr/beh/2018/21/2018_21_1.html.

([3])  Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine. Centre international de Recherche sur le Cancer Lyon, 2018.

([4])  Rapport d’information N° 3731 sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire présenté par les députés M. Richard Ramos et Mmes Barbara Bessot‑Ballot et Michèle Crouzet.

([5])  Frédéric Bordas. Les nitrites dans les saumures. Annales d’hygiène publique, industrielle et sociale, 13 février 1935.

([6])  Avis révisé de l’Anses sur l’ « Évaluation des risques liés à la consommation de nitrates et nitrites ». Juillet 2022. https ://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2020SA0106Ra.pdf.

([7])  Pogoda, J., & Preston‑Martin, S. (2001). Maternal cured meat consumption during pregnancy and risk of paediatric brain tumour in offspring : Potentially harmful levels of intake. Public Health Nutrition, 4(2), 183‑189. doi :10.1079/PHN200060 ;

([8])  Torres MJ, Salanave B, Verdot C, Deschamps V. Adéquation aux nouvelles recommandations alimentaires des adultes âgés de 18 à 54 ans vivant en France. Étude Esteban 2014‑2016. Volet Nutrition - Surveillance épidémiologique. Saint‑Maurice : Santé publique France ; 2019.

([9])  Commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance - N° 1266

([10])  Nutriscore : évolution de sa notoriété, sa perception et son impact sur les comportements d’achat déclarés entre 2018 et 2020. Santé publique France / Janvier 2021.