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N° 701

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre le gaspillage alimentaire,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Philippe JUVIN, Julien DIVE, Emmanuelle ANTHOINE, Valérie BAZINMALGRAS, Émilie BONNIVARD, Hubert BRIGAND, Fabrice BRUN, Marie Christine DALLOZ, Vincent DESCOEUR, Francis DUBOIS, Virginie DUBY MULLER, Nicolas FORISSIER, Michel HERBILLON, Véronique LOUWAGIE, Maxime MINOT, Éric PAUGET, Isabelle PÉRIGAULT, Christelle PETEX LEVET, Nicolas RAY, Raphaël SCHELLENBERGER, Vincent SEITLINGER, JeanPierre TAITE, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, Antoine VERMOREL MARQUES, JeanPierre VIGIER,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Chaque année en France, plus de 10 millions de tonnes de nourriture sont jetées – soit 20 % de la production, représentant pas moins de 150 kilogrammes d’aliments par personne et par an. La réduction des pertes et gaspillages alimentaires constitue ainsi un enjeu majeur pour nos sociétés tant du point de vue environnemental, économique que sociétal.

D’abord environnemental car ce gaspillage s’avère être particulièrement coûteux pour la planète, considérant non seulement les différentes ressources mises en œuvre et perdues tout au long de la production (eau, énergie…), mais aussi les émissions polluantes qui en résultent. C’est sans compter la mise en décharge ou l’incinération des déchets générés et à l’origine d’émissions de méthane, puissant gaz à effet de serre. Au total, ce gaspillage serait équivalent à près de 15 millions de tonnes d’émissions de CO2 – soit 3 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre nationales, qui auraient facilement pu être évitées.

Ce gaspillage est également synonyme de prélèvement inutile des ressources naturelles, telles que des terres cultivables inutilement mobilisées, mais aussi de l’eau utilisée, pourtant essentiels à préserver pour garantir la sécurité alimentaire mondiale. En effet, même si aujourd’hui les ressources en alimentation dans un pays comme la France semblent assurées, au moins à court et moyen termes, l’ensemble des pays sont aujourd’hui impactés par les conséquences du changement climatique sur la ressource alimentaire. Avec la croissance démographique, il nous faut agir dès maintenant et massivement pour l’efficacité alimentaire ; cela commence par la réduction de ce gaspillage.

En outre, ce gaspillage alimentaire représente un coût financier non négligeable pour l’ensemble des acteurs de la filière alimentation qui voient l’équivalent de 16 milliards d’euros de valeur commerciale jeté aux ordures – ordures qu’il faudra ensuite traiter, avec des coûts de gestion afférents au traitement de ces déchets supplémentaires.

Au‑delà de ces conséquences, cette situation de gaspillage répété est d’autant plus paradoxale qu’entre 2 et 4 millions de Français recourent à l’aide alimentaire selon l’Insee. Dans leur budget, l’alimentation arrive en troisième position des postes de dépenses, après le logement et l’énergie. Pour les 20 % des ménages les plus modestes en France, la nourriture représente 35  % du budget et fatalement, une inflation alimentaire à 12  %, même contenue, fait basculer de nombreux ménages à l’aide alimentaire. L’insécurité alimentaire touche ainsi une population très hétérogène : des femmes seules avec enfants en majorité mais aussi des chômeurs, des jeunes non‑qualifiés, des familles monoparentales, des ménages à bas‑revenus, des personnes bénéficiant d’un emploi précaire, des individus avec un emploi stable mais dont le salaire n’est pas suffisant pour faire face à leurs charges…

Dans ce contexte, le don de denrées alimentaires aux plus démunis constitue ainsi un levier important de solidarité contre la précarité en permettant l’accès de tous à une nourriture diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, mais aussi de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Il est d’ailleurs particulièrement alarmant de constater qu’une forte partie des produits alimentaires gaspillés sont des produits frais (fruits, légumes, produits laitiers…) qui manquent le plus à l’équilibre alimentaire de ces personnes vulnérables.

Depuis 10 ans le public de l’aide alimentaire a été presque multiplié par deux et 335 000 tonnes de nourriture lui ont été par exemple distribuées en 2018. Récemment, la crise Covid, puis la hausse de l’inflation ainsi que la crise énergétique ont déstabilisé les chaînes d’approvisionnement des associations, tout en démontrant le rôle essentiel qu’elles entretiennent à l’égard de ceux qui subissent une précarité alimentaire. Parmi les bénéficiaires d’une aide alimentaire fin 2021, la moitié y a recours depuis moins de 2 ans et environ 10 % d’entre eux déclarent s’être tournés vers l’aide alimentaire du fait de la crise sanitaire, notamment chez les étudiants.

A l’échelle mondiale, 17 % de la nourriture totale disponible pour les consommateurs a été jeté selon les Nations unies pour l’année 2019, soit 931 millions de tonnes de nourriture représentant l’équivalent du poids de 23 millions de camions de 40 tonnes chargés à pleine capacité, en file indienne, ce qui permettrait de faire 7 fois le tour de la Terre. Les estimations suggèrent que 8 à 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont associées à des aliments qui ne sont pas consommés. Ainsi, le gaspillage alimentaire émet plus de gaz à effet de serre que le Japon, pourtant 3e émetteur mondial et rejette 3,3 milliards de tonnes de CO2 chaque année.

Une fois encore, cette hérésie environnementale se heurte avec dureté au quotidien des 828 millions personnes qui ont souffert de la faim en 2021, notamment en Afrique. Le gaspillage des pays industrialisés s’élève à 0,7 milliard de tonnes d’aliments par an selon la FAO, ce qui représente la quasi‑totalité de la production nette d’aliments de l’Afrique subsaharienne. Plus encore, 30 % des terres agricoles mondiales produisent actuellement des aliments qui ne seront jamais consommés.

L’ensemble des conséquences de ce gaspillage nous imposent donc d’agir et le déploiement de normes européennes comme nationales illustrent avec acuité cette prise de conscience.

Au sein de l’Union européenne, des objectifs et des mesures concrètes ont été instaurés ou le seront dans les prochains mois, alors que 20 % de la production alimentaire de l’UE est actuellement gaspillée. Cela représente 153,5 millions de tonnes de nourriture chaque année, soit plus que ce qu’elle en importe. En 2023, la commission européenne proposera des objectifs juridiquement contraignants sur les déchets alimentaires.

Depuis le début de la précédente décennie, la France s’est tout particulièrement saisie de cette question. Une législation volontariste a été mise en œuvre et s’est renforcée au fur et à mesure des années. Une économie de l’anti gaspillage s’est créée, avec des associations, des entreprises et notamment des startups qui ont pu atteindre plusieurs millions de Français et même se développer à l’étranger.

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (2015) puis la loi Garot relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (2016) ont enclenché cette démarche devenue aujourd’hui irréversible. Elles ont introduit dans la loi l’éducation à la lutte contre le gaspillage alimentaire dès le plus jeune âge et, à l’initiative d’Arash Derambarsh (lauréat du prix Win Win sur le développement durable et maire adjoint de Courbevoie) ou encore l’obligation pour les enseignes de ne plus jeter les denrées alimentaires. En 2018, 2020 et 2021, les lois dites Egalim - pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ‑, Agec - relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ‑, puis climat et résilience - portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ‑, ont renforcé l’application de ces mesures, grâce auxquelles l’objectif de diviser par deux le gaspillage alimentaire entre 2015 et 2025 devient atteignable.

L’efficacité de ces mesures étant manifeste, la présente proposition de loi entend compléter la législation actuelle en la munissant de moyens supplémentaires pour appliquer les objectifs fixés par le législateur et amplifier l’effort de lutte contre les pertes et le gaspillage alimentaire.

À ce titre, depuis la promulgation de la loi n° 2016‑138 du 11 février 2016, au‑delà d’un seuil réglementaire de 400 m², les grandes et moyennes surfaces (GMS) sont tenues de conventionner avec des associations caritatives pour définir les modalités de don de leurs invendus. Avec cette mesure, les dons ont augmenté en quantité, mais la qualité des produits demeure inégale. L’absence d’un contrôle régulier et efficace réduit également la portée de la loi.

Même si ces grandes et moyennes surfaces restent l’endroit privilégié où les Français effectuent leurs achats, le commerce alimentaire de proximité tend à se développer chaque année compte tenu de l’évolution des modes de vie et de consommation. Aujourd’hui, il pèse pour 10 % du chiffre d’affaires du commerce de la distribution et son développement s’effectue principalement sous la forme de franchises structurées autour des grands groupes de la distribution. Toutefois, il reste exclu du dispositif de lutte contre le gaspillage alimentaire.

C’est dans ce contexte que l’article 1er, reprenant notamment une proposition du député de l’Aisne Julien Dive, tend à franchir une nouvelle étape concernant le don aux associations. Il étend ainsi les règles de lutte contre le gaspillage aux commerces de plus de 200 m², afin d’intégrer le commerce de proximité au dispositif, sans pour autant lui ajouter de nouvelles contraintes dans la mesure où les enseignes franchisées pourront s’appuyer sur l’expérience des franchiseurs pour l’établissement d’une convention avec les associations caritatives. L’article s’attache aussi à inclure les opérateurs de commerce de gros alimentaire dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 25 millions d’euros, les opérateurs de l’industrie agroalimentaire dont le chiffre d’affaires est supérieur à 25 millions d’euros et les opérateurs de la restauration collective dont le nombre de repas préparés est supérieur à 2 000 repas par jours dans ce dispositif. Cela représente environ 5 000 points de commerce en plus. Cette extension est accompagnée par la remise d’un document récapitulatif des dons effectués par ces entreprises au cours de l’année précédente à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Enfin, les surfaces de plus de 2 500 m² auront la charge de l’acheminement des dons si l’association conventionnée en fait la demande.

Au‑delà de l’incitation, l’article 2 entend sanctionner plus durement les entreprises qui rendraient les denrées alimentaires impropres à la consommation alors que l’article 3 améliore le contrôle de la loi, en permettant aux agents de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes de contrôler la qualité des dons. Il demande également aux entreprises d’établir un bilan chiffré et exhaustif, sur une base annuelle, des quantités de denrées alimentaires gaspillées. Enfin, il demande au Gouvernement un rapport sur la qualité des dons des produits invendus qui sont donnés aux associations, ainsi que sur le contrôle de la conformité et de la qualité de ces dons.

L’article 4 gage enfin cette proposition de loi.

 

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 541‑15‑6 du code de l’environnement est ainsi modifié :

1° Le I est complété par un alinéa ainsi rédigé : 

« Au plus tard le 1er février de chaque année, un document récapitulatif des dons effectués au cours de l’année précédente est transmis aux services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, selon des modalités fixées par décret. » ;

2° Le II est ainsi modifié : 

a) Après le mot : « supérieure », la fin du 1° est ainsi rédigée : « à deux cents mètres carrés, sans compter les surfaces non ouvertes à la clientèle, utilisées comme réserves ou locaux administratifs ; »

b) Au 2°, le mot : « cinquante » est remplacé par le mot : « vingt‑cinq » ;

c) Au 3°, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « deux » ;

d) Au 4°, le mot : « cinquante » est remplacé par le mot : « vingt‑cinq ».

3° À la première phrase du II bis, les mots : « au seuil mentionné au premier alinéa de l’article 3 de la loi n° 72‑657 du 13 juillet 1972 précitée » sont remplacés par les mots : « à deux cents mètres carrés » ;

4° Après le II bis, il est inséré un II ter ainsi rédigé :

« II ter. – À compter du sixième mois suivant la promulgation de la loi n°     du      visant à lutter contre le gaspillage alimentaire, les distributeurs du secteur alimentaire ainsi que les établissements de vente au détail en libre‑service qui réalisent plus du tiers de la surface de vente en alimentation et dont la surface de vente est supérieure à deux mille cinq cents mètres carrés sont chargés d’assurer l’acheminement et la livraison de leurs dons aux associations avec lesquelles ils auront conclu une convention de lutte contre le gaspillage alimentaire, dès lors que les associations concernées en formulent la demande. » ;

5° À la fin du V, les mots : « de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe » sont remplacés par les mots : « d’une amende prévue de 20 000 euros ».

Article 2

À la première phrase de l’article L. 541‑47 du code de l’environnement, les mots : « maximal de 0,1 % » sont remplacés par les mots : « minimal de 0,1 % et maximal d’1 % ».

Article 3

I. – L’article L. 541‑15‑3 du code de l’environnement est complété par deux alinéas ainsi rédigés 

« Les opérateurs mentionnés au présent article, les commerces et opérateurs de commerce mentionnés respectivement aux 1° et 4° du II de l’article L. 541‑15‑6 ainsi que les entreprises de restauration commerciale établissent des bilans chiffrés et exhaustifs, sur une base annuelle, des quantités de denrées alimentaires gaspillées.

« Les modalités d’application du présent article, notamment le détail du contenu des bilans chiffrés selon la nature de l’activité de l’entreprise, les méthodes de mesure, l’appui apporté par les services de l’État et des collectivités territoriales à la réalisation des bilans et leur communication aux services compétents, sont définies par décret. » 

II. – Le I du présent article entre en vigueur au plus tard le 1er janvier 2024.

III. – Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur la qualité des dons de produits invendus donnés aux associations d’aide alimentaire ainsi que sur le contrôle de la conformité et de la qualité de ces dons.

Article 4

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.