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N° 729

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2023.

PROPOSITION DE LOI

pour des congés payés mutualisés, démocratiques et universels,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Hadrien CLOUET, Nadège ABOMANGOLI, Ségolène AMIOT Farida AMRANI, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Manuel BOMPARD, Louis BOYARD, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Éric COQUEREL, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Marie‑Charlotte GARIN, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Antoine LÉAUMENT, Élisa MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Thomas PORTES, Sébastien ROME, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

Député.es.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’avènement des congés payés marque une nouvelle étape de la civilisation humaine. Préalablement, seuls les écoliers connaissaient un droit institué à une période de repos, tandis que le reliquat de vacationem tempore répondait aux variations climatiques, à la poursuite d’activités saisonnières ou aux rites religieux à date fixe. En France, le Second Empire voit la naissance des premiers congés payés, à destination exclusive des fonctionnaires. Mais c’est le Front populaire qui reconnaît deux semaines hors‑travail en 1936 et engage ainsi une révolution : le congé n’est plus la conséquence d’un engagement auprès de l’État ou d’une situation de minorité, mais la contrepartie d’un travail salarié accompli.

Ce faisant, les gouvernants n’inventent pas de toutes pièces une nouvelle manière de vivre. Ils s’appuient sur les conquêtes syndicales et les stratégies d’employeurs progressistes, qui avaient d’ores et déjà reconnu à la main‑d’œuvre le droit de partir en congés plusieurs jours ou semaines par an. Les luttes ouvrières de la régie Renault l’illustrent. Elles aboutissent en septembre 1962 à une quatrième semaine de congés payés au sein de l’entreprise, généralisée en 1963 et garantie par la loi en 1969. Nous sommes à une étape semblable de notre histoire. Des centaines d’entreprises font la preuve au quotidien de la faisabilité, de l’utilité sociale et des bénéfices de congés payés accrus. Du port de Dunkerque à Augelec, d’Aquarelle à Itesa, des petits restaurants aux cabinets d’huissiers, nombre d’accords d’entreprises instaurent la sixième semaine de congés payés. Aucun établissement ne le regrette ; tous pointent des bénéfices insoupçonnés.

Le débat est donc plutôt moral. Stigmatisé par une partie de la bourgeoisie moralisatrice, le droit au repos est une conquête. L’otium romain, déjà combattu par la philosophie de Sénèque, est pourchassé par l’Église catholique qui invite au XIVe siècle à produire, étudier, s’investir dans la chose publique et peupler les interstices de liberté avec la prière. La Révolution française réhabilite le principe d’utilité du repos pour libérer l’esprit des préoccupations qui l’embrument à l’heure de la dispute démocratique, entraînant ensuite dans son sillage les organisations religieuses qui défendront avec force la banalisation hebdomadaire d’une ou plusieurs journées dédiées aux activités familiales.

Ainsi, la mise de la force de travail à disposition du capital connaît dorénavant une césure nette, reconductible et récurrente : une période durant laquelle les salariés vivent de leur travail mais sans produire, sans se rendre dans l’établissement ni recevoir de consignes. C’est là que s’efface une partie – toujours excessive – de l’épuisement, des maux, des douleurs, des souffrances, des tristesses et des humiliations qui peuvent se succéder sur un poste de travail. C’est là que se reconstitue la capacité à penser, inventer, bouger, délibérer ou reproduire un geste – bref, à demeurer sur son poste de travail. Seule l’absence organisée évite l’absentéisme. Les congés payés représentent donc un socle de l’ordre social, sur lequel tiennent indissociablement unis le travail et le repos, chacun étant la formule d’émancipation de l’autre. Cela signe la fin du congé « à la cloche de bois », justifié par un malheur ou un bonheur ponctuel, comme un décès ou une naissance.

Le temps devient collectif et indépendant, démocratiquement élaboré plutôt qu’individuellement sollicité. Les congés payés constituent la grande horloge par laquelle on fait Nation. Ainsi, les vacances d’hiver, les vacances de printemps et les vacances de la Toussaint rassemblent plus de 10 % de salariés en congés. La proportion de congés atteint même la moitié des salariés du pays lors de la mi‑août ou de fin décembre. À ces moments‑là, les villes se mélangent, les familles se rencontrent, les cultures s’échangent pour renouveler le contrat social de notre pays.

Cette proposition de loi représente aussi un rattrapage urgent. L’accès facilité, accru et universel aux congés payés s’impose au vu de l’accroissement de la durée hebdomadaire de labeur en France depuis 2002. On travaille de plus en plus longtemps : il est temps de rattraper cet excédent dont aucun salarié n’a vu la contrepartie. La situation est si inquiétante que d’après l’Organisation internationale du travail, le temps passé sur le poste de travail en France excède celui des travailleurs d’Allemagne, d’Argentine, d’Australie, d’Autriche, de Belgique, de Biélorussie, du Canada, du Chili, du Danemark, d’Italie, de Norvège, des Pays‑Bas, de Suède ou encore de Suisse. Notre patrie n’est plus le modèle social qu’elle incarnait pour le monde entier il y a encore quelques décennies : reprenons cette place en première ligne de l’humanité.

D’autant que, loin de n’exprimer qu’une résistance à l’exploitation, les congés payés représentent aussi la condition de soutenabilité de l’organisation économique, comme l’identifient les premiers rapports sur la condition ouvrière du XIXe siècle. L’industrialisation brise les corps et la santé ; seul un repos institué garantit la continuité de la production et l’accès d’individus sains à un poste de travail. Le corps médical plaide d’ailleurs avec vigueur pour préserver l’individu des effets biologiques de son emploi en l’en extrayant régulièrement : prévenir plutôt que guérir, reposer plutôt que réparer.

Voir ses proches, voyager, lire, écrire, jouer, faire du sport, permet d’acquérir des compétences. À ce titre, les congés forment l’humanité productive. C’est durant les congés que les enfants regardent le ciel et s’imaginent astronautes ; qu’ils regardent la mer et se rêvent marins ; qu’ils découvrent de nouvelles saveurs et se projettent restaurateurs. Le « grand tour » aristocratique est désormais accessible en petites séquences à nos enfants. L’hors‑emploi est en réalité un espace où l’on active différemment son corps, où l’on ouvre l’esprit et où l’on pense librement. Autant de qualités réintroduites lors du retour en poste.

De manière indirecte, les congés sont une source d’emplois. Tourisme, hôtellerie, restauration, loisirs, transports, artisanat, constituent quelques exemples de secteurs tributaires des congés payés pour générer des revenus et embaucher des milliers de personnes. Si les congés payés font vivre leurs bénéficiaires en tant qu’ils améliorent leurs conditions d’existence et prolongent leur espérance de vie, ils font vivre également des professionnels auxquels ils ouvrent un champ d’investissement professionnel et d’accumulation économique. Toute extension du domaine du congé est une subvention directe aux professionnels du secteur, dont l’activité est non‑délocalisable en plus d’être socialement utile. Tout allongement des jours accordés aux salariés représente un étalement de l’activité économique dédiée, sécurisant ainsi les parcours professionnels des salariés qui exercent dans les branches concernées et améliorant la continuité de leurs contrats.

À l’exception des États‑Unis, la quasi‑totalité des pays industriels accorde des congés payés aux salariés qui y travaillent. Mais la France ne participe pas des plus avancés, alors que nous en avons les capacités et que les salariés, en l’occurrence, appartiennent aux plus productifs du monde. Il est donc tout à fait possible de disposer de plus de 25 jours de congés payés par an, en témoignent les pays qui ont franchi le pas. Algérie, Brésil, Estonie, Koweït, Luxembourg, Malte, Panama, représentent quelques États où les travailleurs, à conditions égales, disposent d’un nombre de congés payés supérieur à la France. Ils pavent la voie des libertés hors de l’emploi. Certains reconnaissent même une liberté spécifique aux femmes, les congés dits menstruels, au titre de certaines douleurs ou gênes.

Pourtant, aujourd’hui encore, le droit aux congés demeure une fiction juridique pour des millions de nos compatriotes. Nombre d’entre eux travaillent très durement sans jamais, ou si peu, bénéficier d’un temps de repos avec leurs proches. Ainsi, 5 % des salariés français ne déclarent aucun congé annuel. Et cette prévalence est largement concentrée dans quelques secteurs : plus d’un quart des travailleurs du commerce, de la réparation, de la restauration ou de la sylviculture.

Pourquoi ? Notamment en raison de l’emploi discontinu, temporaire, précaire, qui vient raboter l’ancienneté des salariés en poste. Car le nombre de jours de congés payés dépend du nombre de semaines passées en contrat chez un même employeur. Lorsque l’on change d’employeur tous les mois, impossibles d’accumuler un droit aux congés suffisant pour passer une semaine avec son compagnon, sa compagne, ses enfants ou ses amis. Cette règle connaît toutefois des exceptions, comme dans le secteur du Bâtiment. Là, dès 1937, par hostilité aux congés payés, le patronat sectoriel a établi des caisses de contrôle des cotisations où il les fait fructifier avec un an de décalage sur le versement. En échange de cette cagnotte, il reconnaît aux salariés le droit de poser des congés payés légaux sans condition d’ancienneté, dans une logique de péréquation des temps de travail à l’échelle de la branche. Certains contrats se terminent sans prise de congés payés, avec la possibilité de les reporter sur un futur contrat, d’une manière qui s’équilibre entre employeurs, tantôt bénéficiaires, tantôt créditeurs de jours de repos.

Dans la perspective d’accorder un véritable droit au repos à toutes celles et tous ceux qui travaillent, tout en s’inspirant des dispositifs déjà existants à cette fin, la présente proposition de loi comporte six articles. Ceux‑ci mutualisent les congés payés, accroissent et sanctuarisent leur nombre – notamment pour les plus jeunes, démocratisent leur prise et clarifient leur base de calcul.

L’article 1er socialise les congés payés au sein de chaque branche professionnelle. Les congés sont bien désormais la contrepartie du travail accompli, quel que soit l’employeur chez lequel est effectué ce travail. Le droit aux congés payés est affirmé, même pour les salariés précaires, et mutualisé entre les employeurs.

L’article 2 protège le droit au repos et relance la marche vers le progrès, en reconnaissant une 6e semaine de congés payés.

L’article 3 reconnaît un droit supplémentaire aux jeunes salariés de moins de 21 ans, afin d’organiser leur entrée dans le monde du travail et l’acquisition progressive de leur autonomie. En outre, il lève toute discrimination d’âge sur les congés accordés en raison d’un enfant à charge.

L’article 4 unifie le droit aux congés payés par‑delà des calendriers annuels et hebdomadaires. Il précise que 150 heures de travail valent accumulation de congés payés, au même titre que quatre semaines ou vingt‑quatre jours de travail effectif.

L’article 5 accorde aux salariés le droit de poser unilatéralement une fraction de leurs jours de congés payés, sans négociation collective ou accord patronal.

L’article 6 met fin à la monétisation des congés, supprimant tout élément de pression ou de chantage sur les salariés acculés à abandonner leur repos, au profit d’employeurs qui s’évitent ainsi toute augmentation de salaire.


proposition de loi

TITRE Ier

Mutualisation et élargissement des congés

Article 1er

Au premier alinéa de l’article L. 3141‑3 du code du travail, les mots : « le même employeur » sont remplacés par les mots : « chez un employeur entrant dans le champ d’application de la même convention collective nationale que son employeur actuel ».

Article 2

Au premier alinéa de l’article L. 3141‑3 du code du travail, les mots : « deux jours et demi » sont remplacés par le mot : « trois jours ».

Article 3

L’article L. 3141‑8 du code du travail est ainsi modifié :

1° Au début, il est ajouté l’alinéa suivant :

« Les salariés de moins de vingt et un ans au 30 avril de l’année précédente bénéficient de deux jours de congé supplémentaire. »

2° Au deuxième alinéa, les mots : « âgés de vingt et un ans au moins à la date précitée » sont supprimés.

TITRE II

Modalités de prise de congés

Article 4

Au premier alinéa de l’article L. 3141‑4 du code du travail, après le mot : « jours » sont insérés les mots : « ou 150 heures ».

Article 5

Après l’article L. 3141‑13 du code du travail, il est inséré un article L. 3141‑13 bis ainsi rédigé :

« Art. L. 314113 bis. – Les salariés disposent unilatéralement chaque année d’un jour de congés payés sur trois auxquels ils ont droit ».

Article 6

L’article 5 de la loi n° 2022‑1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 est abrogé.