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N° 732

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer l’accompagnement des victimes par des chiens d’assistance judiciaire du tribunal,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

Mme Huguette TIEGNA,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le II de l’article préliminaire du code de procédure pénale, qui énonce les principes directeurs de la procédure pénale, dispose que : « L’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale. ».

La notion de victime est notamment définie, au niveau européen, par la décision cadre du Conseil de l’Union européenne, en date du 15 mars 2001, comme étant : « La personne physique qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matérielle, directement causé par des actes ou omissions qui enfreignent la législation d’un État membre. »

À titre liminaire, il convient de préciser que la dénomination « victime » employée ci‑après devra s’entendre des personnes se disant victimes d’une infraction pénale.

Cela ne leur confère aucunement la qualité de victime au sens pénal. Cette qualité ne peut leur être reconnue que par une décision de justice définitive.

Depuis 2003, les institutions judiciaires du Canada et des États‑Unis ont développé une assistance aux personnes se disant victimes d’infractions pénales grâce aux chiens de soutien psychologique ou émotionnel.

Depuis plus de dix mille ans, le chien et sa vertu accompagnent l’homme, dont on dit désormais qu’il en est le meilleur ami. De nos jours, en France et dans le monde, ses multiples compétences ont été utilisées de diverses façons : chien de travail, de chasse, de berger, d’intervention, d’assistance, de compagnie…

C’est sur la base de ce remarquable travail, qualifiable de « canino‑thérapie », que cette proposition de loi a été élaborée. Elle a été inspirée en cela par les travaux de la Courthouse Dogs foundation, qui a permis en quinze ans de déployer, aux États‑Unis, dans 34 États près de 200 chiens d’accompagnement jusqu’au tribunal.

Ce modèle a été repris par les Canadiens depuis 2010. Actuellement, 31 chiens, dont cinq pour la seule province du Québec, ont été déployés. Il faut toutefois préciser qu’ils le sont uniquement lors de la phase d’enquête policière.

Une étude américaine démontre ainsi que plus de 80 % des personnes mises en présence d’un chien (18 enfants sur 22, âgés de 2 à 12 ans sur la période 2013‑2014) ont pu verbaliser leur vécu traumatique contre moins de 35 % sans cet accompagnement (33 sur 98 sur la période 2011‑2014).

Le modèle américain a également inspiré l’expérimentation, lancée dans le département du Lot, du protocole CAVE CANEM, avec la signature de la convention relative au chien d’assistance judiciaire auprès du Tribunal de grande instance de CAHORS. C’est la première du genre en Europe.

L’objectif est celui d’accompagner, dans le cadre de la procédure pénale, les victimes d’atteintes à la personne qui peuvent être confrontées à des difficultés à évoquer les faits qu’elles ont subis ou à cautériser leurs souffrances, physiques mais également et surtout psychologiques.

L’exemple le plus régulier concerne les enfants, victimes d’abus sexuels, voire témoins de violences conjugales et enserrés dans un conflit de loyauté, qui n’arrivent pas à verbaliser leur vécu de scènes traumatiques et à les révéler aux enquêteurs.

Ces derniers ont la possibilité, grâce à l’aide des protocoles d’encadrement telle que la procédure dite « Mélanie », de recueillir la parole de l’enfant dans un environnement plus serein et apaisé.

L’expérimentation, d’une durée d’une année, de mars 2019 à mars 2020, a rendu, en septembre 2019, son premier bilan semestriel, puis le bilan définitif en mars 2020, L’expérience du protocole CAVE CANEM, près le Tribunal judiciaire de Cahors, a permis de coordonner les actions des différents acteurs judiciaires, près le Tribunal judiciaire de Cahors : Monsieur le Procureur, avocats, juges, travailleurs sociaux, médecins généralistes et spécialistes, les forces de sécurité du Lot (SDIS 46, les services de la gendarmerie, le Centre national de cynophilie de la gendarmerie de Gramat CNICG), l’ALAVI FG 46, et l’association Handi’chiens.

Les différents acteurs de l’expérimentation dans le Lot ont décidé, en mars 2020, de prolonger ce programme au‑delà de l’expérimentation. Les résultats attestent, après trois années de fonctionnement, de l’accompagnement de plus de 200 victimes, ainsi que d’une prévenue lors du procès médiatisé dit « de Millas », qui s’est tenu du 19 septembre au 5 octobre 2022.

Les conclusions de cette expérience, présentées lors du colloque Chien d’assistance judiciaire du 2 octobre 2020, ont d’ores et déjà permis de déployer ce programme de Chien d’Assistance Judiciaire auprès de 9 tribunaux judiciaires, dès 2021 : Cahors (Lot), Nevers (Nièvre), Strasbourg (Alsace), Orléans (Loiret), Nîmes (Gard), Saint Lô (Manche), Tulle (Corrèze), Vannes (Morbihan), Béziers (Hérault).

Les chiens d’assistance judiciaire labellisés par l’État que nous définirons sous l’acronyme « CAJ » peuvent ainsi être utilisés pour aider les victimes (mais également les prévenus ou accusés) à traverser le procès pénal le moins mal possible et, pour les plaignants, à passer le cap du traumatisme immédiat mais également pour les accompagner tout au long du processus de reconstruction, dans lequel la phase judiciaire est éminemment importante.

Leur fonction sera triple :

1/ pour le bénéficiaire : apaiser, réconforter, sécuriser, contribuer à la création du lien de confiance avec les intervenants judiciaires, faciliter la libération de la parole et la concentration, créer une saine diversion, positive aux sources de stress, améliorer l’intervention judiciaire avec soutien d’un confident qui ne juge pas

2/ pour l’intervenant judiciaire : favoriser la révélation de faits pouvant tendre à la manifestation de la vérité (détails pertinents dans un contexte de meilleure disposition psychologique), faciliter l’interrogatoire, qui est par nature instrusif, tout en maintenant une distance professionnelle indispensable.

3/ pour les tiers (parents, tuteur) : remise du mineur dans un contexte de plus grande confiance, faire diversion positive afin d’entendre l’enfant hors la présence des parents, apaiser et détendre les parents anxieux qui, dans le contexte judiciaire par nature stressant, vont aussi pouvoir caresser le chien d’assistance. Un parent qui sourit et caresse l’animal rassure inconsciemment.

Ces chiens seront accrédités par l’ADI, Assistance dog international après une sélection dès la naissance (dans la mesure où 80 % de la personnalité d’un chien relève de la génétique) et en fonction de caractéristiques précises : affectueux, calme, docile, peu réactif, sans aucune agressivité. Ils suivront une d’éducation spécifique dispensé par l’association Handi’chiens, avec le soutien financier de la fondation Sommer.

Ainsi, ils ne devront pas perturber l’entretien, leur rôle consistant à assurer une présence apaisante. À ce sujet, il est scientifiquement établi qu’une telle compagnie fait baisser le rythme cardiaque de l’humain et diminue sa tension nerveuse, soit en posant leur tête sur la jambe de la victime, soit en se couchant à ses pieds.

Plus précisément, la race Labrador est privilégiée outre‑Atlantique, pour répondre à ces critères.

L’objectif de la présente proposition de loi est donc, conformément au premier alinéa de l’article 10‑5 du code de procédure pénale, qui dispose que :

« Dès que possible, les victimes font l’objet d’une évaluation personnalisée, afin de déterminer si elles ont besoin de mesures spécifiques de protection au cours de la procédure pénale. »

De favoriser une meilleure prise en charge des victimes, de permettre aux personnes se disant victimes de l’une ou de plusieurs des infractions pénales ci‑après spécifiées d’être accompagnées au cours du processus judiciaire, depuis l’enquête et jusqu’à la décision définitive clôturant la procédure

 


proposition de loi

Article unique

Après l’article 10‑5‑1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 10‑5‑2 ainsi rédigé :

« Art. 1052. – La personne qui se dit victime d’une des infractions mentionnées à la section 3 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal lorsque l’infraction en cause est commise sur le conjoint ou le concubin, un ascendant, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, une personne vulnérable ou commise en réunion, d’une des infractions mentionnées aux articles 221‑1, 222‑23 et 1°, 2° et 6° de l’article 222‑8 du même code ou d’une des infractions constituant des actes de terrorisme mentionnées au 1° de l’article 421‑1 du même code peut, à tous les stades de l’enquête ou de l’instruction, être accompagnée d’un chien d’assistance judiciaire labellisé par l’État, sauf décision contraire motivée prise par l’autorité judiciaire compétente.

« La personne qui se dit victime d’une des infractions visées au premier alinéa et qui s’est constituée partie civile peut solliciter auprès du président de la cour d’assises, du président du tribunal correctionnel ou du président de la chambre des appels correctionnels, selon le cas, l’autorisation d’être accompagnée d’un chien d’assistance judiciaire lors de l’audience.

« La décision du président de la juridiction est insusceptible de recours.

« L’accompagnement par un chien d’assistance judiciaire ne peut en aucun cas constituer un mode d’administration de preuve.

« Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret. »