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N° 774

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 janvier 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre les détenus redevables à l’égard de la société,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Christelle D’INTORNI, Valérie BAZIN-MALGRAS, Hubert BRIGAND, Justine GRUET, Véronique LOUWAGIE, Yannick NEUDER, Éric PAUGET, Isabelle PÉRIGAULT, Alexandre PORTIER, Nicolas RAY, Jean-Pierre TAITE, Antoine VERMORELMARQUES,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au 1er novembre 2022 la France comptait sur son sol 72 809 détenus, pour 60 698 places de prison, soit un taux d’occupation de 120 %. Cette surpopulation carcérale, chronique dans notre pays, est la conséquence de l’incapacité à construire en nombre suffisant sur les deux derniers quinquennats des places en établissements pénitentiaires.

Cette surpopulation pèse sur nos surveillants de prison, qui font un travail remarquable, mais qui sont obligés de surveiller des détenus dans des locaux inadaptés car surpeuplés. Elle affecte également les détenus, alors que notre pays, condamné en janvier 2020 par la CEDH pour les conditions de détention de ses prisonniers, est censé garantir le principe de l’encellulement individuel depuis une loi de 1875 : 150 ans d’échec !

Le coût de construction et de fonctionnement des places de prison est certes important. Pour 2023 le projet de loi de finances prévoit que la direction de l’administration pénitentiaire bénéficie d’un budget de 3,9 milliards d’euros (hors contribution au CAS pensions), dont 340 millions d’euros de crédits de fonctionnement pour les établissements accueillant des détenus.

Dans un article publié en février 2020 sur son site internet l’Observatoire international des prisons estime par ailleurs que : « Le coût de construction d’une cellule varie entre 150 000 et 190 000 euros. Une journée de détention coûte en moyenne 105 euros. »

Face à ce coût important pour la collectivité, et alors que des droits sont garantis aux détenus en prison (prestations sociales, aide en nature ou aide financière, assurance maladie…), il apparaît normal qu’en face de ces droits, des devoirs soient impartis aux auteurs de dommages à la société.

Parmi ces devoirs, les auteurs de la présente proposition de loi estiment qu’il serait normal, compte tenu du coût important que représentent les prisons pour nos finances publiques, que les condamnés contribuent financièrement à l’entretien et au fonctionnement de nos établissements pénitentiaires. Ceci ne serait que justice : ils se sont rendus coupables d’une infraction vis‑à‑vis de la société, ils doivent en assumer les conséquences y compris financières.

Cette contribution financière, si l’on souhaite qu’elle soit ambitieuse, suppose toutefois que les détenus disposent de ressources saisissables. À ce titre, elle pourrait ainsi reposer sur le produit du travail des détenus. De plus, il existe la possibilité pour des proches des détenus de leur fournir des sommes d’argent par virement bancaire. Dans ce même but de contribution aux frais de fonctionnement des établissements pénitentiaires, un prélèvement pourrait être réalisé sur ces virements.

En ayant violé la loi et commis un dommage à l’égard de la société, les condamnés se sont placés en situation de dette vis‑à‑vis de notre pays. De ce point de vue‑là, il est donc tout à fait normal qu’une partie du financement de l’administration pénitentiaire repose sur eux.

Toutefois, le travail n’est aujourd’hui pas généralisé à l’ensemble des détenus. De ce point de vue‑là, les contributions financières aux frais de fonctionnement des prisons risquent d’être inégales selon que le détenu travaille ou pas.

Par ailleurs, il est nécessaire de rappeler qu’un des outils clés vers la réinsertion pour les condamnés est l’exercice d’une activité de travail durant la détention.

Il est donc nécessaire pour ces deux motifs d’encourager le développement du travail en prison, ce qu’entend également faire cette proposition de loi. La loi de 2021 pour la confiance de l’institution judiciaire a clarifié le droit en la matière en créant les contrats d’emploi pénitentiaires. Ceux‑ci constituent un outil positif qui doit être encouragé et que la présente proposition entend aménager.

C’est donc dans cet esprit global de responsabilisation supplémentaire des détenus que cette proposition de loi est déposée.

Ainsi, l’article premier de cette proposition de loi vise à mettre en place un prélèvement forfaitaire sur le produit du travail des détenus en détention ou à défaut sur d’autres ressources dont ils disposent afin de contribuer aux frais d’entretien en établissement pénitentiaire. Ce prélèvement ne s’appliquera que sur les condamnés majeurs, il exclut donc les mineurs ou les simples prévenus en détention provisoire. Celui‑ci, fixé par décret, devrait être de cinquante‑cinq euros par jour, soit environ 50 % du coût quotidien estimé d’un détenu.

Par ailleurs, dans le même but de contribuer à la prise en charge partielle par les détenus des coûts d’incarcération, l’article 2 de ce texte prévoit un prélèvement forfaitaire de 10 % sur chaque virement financier réalisé au bénéfice d’un détenu.

De plus, afin de développer le travail en prison, tant pour dégager des ressources financières permettant la prise en charge d’une partie du coût de fonctionnement de nos établissements pénitentiaires, que pour favoriser la réinsertion des détenus, l’article 3 prévoit que les détenus qui font la demande d’un classement au travail se la voient accorder de droit, sauf pour des motifs impératifs liés au maintien du bon ordre, à la sécurité de l’établissement ou à la prévention des infractions.

L’article 4 apporte la précision dans le droit actuel que le contrat d’emploi pénitentiaire prend en compte la durée d’incarcération de la personne détenue.

Afin d’inciter les entreprises à avoir plus facilement recours au contrat d’emploi pénitentiaire, l’article 5 prévoit que celui‑ci peut être rompu sans conditions à l’initiative soit du donneur d’ordre, soit du détenu employé. Afin de faciliter la réinsertion du détenu dans la société, cet article prévoit également qu’à l’issue de son incarcération, la personne détenue partie à un contrat d’emploi pénitentiaire voit celui‑ci automatiquement transformé en contrat à durée indéterminée de droit commun.

Par mesure de cohérence avec l’article 5, l’article 6 abroge l’article L. 412‑17 du code pénitentiaire qui prévoyait les cas dans lesquels le donneur d’ordre pouvait rompre le contrat d’emploi pénitentiaire.

Afin de prévoir la perception de ressources au profit de l’administration pénitentiaire et dans le même temps de relever le niveau de rémunération des détenus employés, l’article 7 supprime la disposition empêchant le prélèvement sur le produit du travail des détenus et fixe le revenu minimum du contrat d’emploi pénitentiaire au niveau du SMIC.

De plus, dans le but de favoriser le recours au travail en prison et d’inciter les entreprises à pourvoir à la demande des détenus qui souhaitent travailler, l’article 8 de la présente proposition de loi prévoit d’exonérer de cotisations sociales les contrats d’emploi pénitentiaires créés par la loi n° 2021‑1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Toujours dans la logique de renforcer la dimension de dette qu’on les détenus à l’égard de la société l’article 9 prévoit que la libération sous contrainte, la réduction de peine ou la libération conditionnelle ne pourront être accordées qu’aux détenus ayant occupé en emploi en prison et s’engageant, par le biais d’une reconnaissance de dette, à rembourser à l’État le coût de leur incarcération.

Enfin, l’article 10 gage financièrement la présente proposition de loi.

 


proposition de loi

Article 1er

Le produit du travail des détenus fait l’objet d’un prélèvement forfaitaire pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire.

Ce prélèvement ne s’applique pas aux mineurs, ni aux prévenus.

À défaut et pour les mêmes personnes, ce prélèvement est imputé sur tous types de revenus saisissables perçus par le détenu ou sur le produit de la vente de leur patrimoine préalablement saisi et revendu à cet effet.

Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.

Article 2

Les subsides mentionnés à l’article R. 332‑3 du code pénitentiaire font l’objet d’un prélèvement forfaitaire au taux de 10 %.

Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.

Article 3

L’article L. 412‑5 du code pénitentiaire est ainsi modifié :

1° La première phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « La décision de classement au travail est de droit pour le détenu qui en fait la demande, sauf pour des motifs impératifs liés au maintien du bon ordre, à la sécurité de l’établissement ou à la prévention des infractions. »

2° Les deux dernières phrases du troisième alinéa sont supprimées.

Article 4

La première phrase du premier alinéa de l’article L. 412‑12 du code pénitentiaire est complétée par les mots : « et de la durée d’incarcération du détenu ».

Article 5

L’article L. 412‑16 du code pénitentiaire est ainsi modifié :

1° Le 1° est ainsi rédigé :

« 1° À l’initiative du donneur d’ordre ou à l’initiative de la personne détenue »

2° Le sixième alinéa est ainsi modifié :

a) À la fin de la première phrase, les mots « et en cas de commun accord entre la personne détenue et le donneur d’ordre, la conclusion d’un contrat de travail entre ces deux parties doit être facilitée » sont remplacés par les mots : « le donneur d’ordre doit proposer à la personne détenue la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée selon les dispositions du code du travail » ;

b) La seconde phrase est supprimée.

Article 6

L’article L. 412‑17 du code pénitentiaire est abrogé.

Article 7

L’article L. 412‑20 du code pénitentiaire est ainsi modifié :

1° La deuxième phrase est supprimée.

2° À la troisième phrase, les mots « à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le » sont remplacés par le mot : « au » ;

3° La dernière phrase est supprimée.

Article 8

Les contrats d’emploi pénitentiaire régis par la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre IV du code pénitentiaire sont exonérés de cotisations sociales patronales et salariales.

Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.

Article 9

I. – Le livre V du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Après le cinquième alinéa du I de l’article 720, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« La libération sous contrainte ne peut être accordée qu’aux condamnés ayant à un moment de leur incarcération exercé un emploi dans le cadre d’un contrat d’emploi pénitentiaire. 

Elle ne peut bénéficier qu’aux condamnés s’engageant, par la signature d’une reconnaissance de dette à l’égard de l’État, au remboursement du coût de leur incarcération. »

2° Après le cinquième alinéa de l’article 721, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« La réduction de peine ne peut être accordée qu’aux condamnés ayant à un moment de leur incarcération exercé un emploi dans le cadre d’un contrat d’emploi pénitentiaire. 

Elle ne peut bénéficier qu’aux condamnés s’engageant, par la signature d’une reconnaissance de dette à l’égard de l’État, au remboursement du coût de leur incarcération. »

3° Après le septième alinéa de l’article 729, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« La libération conditionnelle ne peut être accordée qu’aux condamnés ayant à un moment de leur incarcération exercé un emploi dans le cadre d’un contrat d’emploi pénitentiaire.

Elle ne peut bénéficier qu’aux condamnés s’engageant, par la signature d’une reconnaissance de dette à l’égard de l’État, au remboursement du coût de leur incarcération. »

II. – Les modalités de calcul du coût d’incarcération mentionné au présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.

Article 10

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.