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N° 790

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 janvier 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les arnaques et les dérives
des influenceurs sur les réseaux sociaux,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

MM. Arthur DELAPORTE et Stéphane VOJETTA,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi que nous présentons est inédite à plusieurs titres. Tout d’abord, ce texte vient encadrer un phénomène bien connu de millions de Françaises et de Français mais pourtant inexistant dans notre droit : l’influence sur les réseaux sociaux, et le statut des personnalités qui exercent cette influence, et des agences qui l’organisent. 

De nombreuses initiatives parlementaires touchant le milieu de l’influence ont émergé ces derniers mois, preuves de l’intérêt du législateur pour une problématique qui touche de plus en plus de consommateurs. Un intérêt qui reflète notamment l’écoute apportée aux lanceurs d’alerte et aux citoyens, victimes de ces pratiques. 

Ce texte vise donc à répondre à une série d’enjeux liés au secteur de l’influence en ciblant ces multiples acteurs : les influenceurs, les agents d’influenceurs et les plateformes qui hébergent leurs contenus.

Enfin, cette proposition de loi est issue d’un travail politique commun des deux auteurs. Afin d’aboutir à une démarche consensuelle dans le seul intérêt général et parce qu’il existe un consensus à l’encadrement et à la régulation des influenceurs, cette proposition est aussi un appel à l’ensemble des groupes politiques républicains, de la majorité comme de l’opposition, à participer aux travaux qui aboutiront à une modification de notre cadre juridique, et à soutenir ce texte lors de son examen. 

La proposition de loi que nous vous présentons vise donc à mettre fin aux arnaques et autres dérives de certains influenceurs sur les réseaux sociaux. Son contenu consolide les propositions déjà formulées séparément par les deux auteurs. 

En effet, la multiplication des influenceurs sur les réseaux sociaux a conduit à une série de dérives dans la promotion d’objets, de fournitures ou de services. 

Parmi ces dérives, les exemples s’accumulent dangereusement. Promotion de « médicaments » contre le cancer ; produits cosmétiques provoquant des pertes de cheveux ou plaques rouges sur le corps ; promotion de produits vendus plusieurs dizaines d’euros que l’on retrouve pour quelques centimes sur des sites bien connus (arnaque qui abuse de la technique de vente directe mieux connue sous le nom de « dropshipping ») ; inscription à des formations médicales ou esthétiques au Mexique ; abus du compte personnel de formation (CPF) ; abonnements à des pronostics sportifs bidons ; produits achetés et payés mais qui ne sont jamais livrés… 

Il devient primordial de lutter contre la propagation des pratiques commerciales trompeuses ou frauduleuses sur internet. 

L’influence de ces personnalités, les influenceurs, suivies parfois par plusieurs millions de personnes sur les plateformes telles qu’Instagram, Tiktok ou Snapchat, et notamment par les jeunes, souvent mineurs, repose sur la proximité ressentie entre eux et leur public. Ainsi, la relation faussement intimiste développée par ces influenceurs rassure ceux qui les suivent grâce au ressenti parfois trompeur de transparence, d’honnêteté, de proximité et de bienveillance à leur égard, et les place ainsi dans la situation de voir leurs décisions d’achat déterminées par les indications des influenceurs. Le concept d’ » influence » ne doit cependant pas être limité à des personnalités connues au niveau national, mais aussi étendu aux « micro‑influenceurs » qui ont peu d’abonnés mais dont les publications problématiques peuvent tout aussi bien faire des victimes. 

L’objectif de cette présente proposition de loi consiste à créer et renforcer un appareil juridique qui pourra à la fois responsabiliser et sanctionner le cas échéant tous les influenceurs, leurs agences, les annonceurs ainsi que les plateformes de diffusion, afin de renforcer la protection des utilisateurs des réseaux sociaux et des consommateurs.

Conscients que de nombreux influenceurs ont choisi de s’installer en dehors de France à dessein afin d’y exercer leur activité, nous avons également ajouté un bornage contraignant l’influenceur à désigner un représentant légal en France. Cette disposition vise notamment à répondre aux craintes exprimées par de nombreux acteurs et consommateurs quant au sentiment d’impunité de certains influenceurs opérant depuis l’étranger.

Le monde de l’influence ne doit pas être une zone de nondroit et doit répondre à des règles de protection des consommateurs suffisamment étoffées pour mettre fin aux dérives constatées. 

Nous savons néanmoins que l’instauration d’un seul cadre juridique ne suffira pas à mettre un terme définitif aux abus de certains influenceurs. Nous saluons, à ce titre, les travaux menés par le ministère de l’économie à ce sujet et sa prise en compte par le Gouvernement qui sont autant de signes positifs pour que le Gouvernement renforce les moyens à disposition de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. 

Ensemble, nous avançons vers une meilleure protection des consommateurs, des utilisateurs des réseaux sociaux et in fine des influenceurs, qui pourront exercer leur activité de manière mieux encadrée. 

L’article 1 crée une nouvelle sous‑section au sein du code de la consommation. Celle‑ci propose un statut d’influenceur pour un cadre juridique de la vente issue de contenus sponsorisés sur les réseaux sociaux. Elle encadre les ventes par promotion des influenceurs en interdisant certains placements de produits sur les réseaux sociaux, compte tenu des intérêts de santé et d’ordre publics et sanctionne la violation de ces interdictions des mêmes peines que celles applicables à l’escroquerie dans le code pénal.

L’article 2 définit le statut d’agent d’influenceur et rend obligatoire, le cas échéant, l’établissement d’un contrat écrit entre l’influenceur et son agence. Cet article vise également à ce que les influenceurs basés hors de France désignent un représentant légal sur le territoire national.

L’article 3 vise à ce que les plateformes en ligne mettent à disposition de leurs utilisateurs un mécanisme permettant de signaler des publications illicites. À compter d’un certain volume de signalements dont le seuil est défini par décret, les plateformes en ligne devront contrôler les publications signalées avant un éventuel retrait. Cet article prévoit également que les plateformes en ligne publient un rapport annuel faisant état de leur activité de modération.

L’article 4 exige des plateformes une coopération avec les autorités compétentes afin de bloquer les contenus publicitaires définis comme mensongers d’après l’article L. 121‑1 du code de la consommation. Les plateformes mettent en œuvre avec diligence leurs moyens de blocage pour stopper les publicités mensongères sur demande de l’autorité administrative compétente. L’administration leur fournit la liste des sites internet faisant la promotion illicite de produits ou services.

L’article 5 intègre la notion de sensibilisation contre les risques d’escroquerie en ligne dans la formation aux risques numériques dispensée dans les établissements scolaires.


proposition de loi

Article 1er

La section 3 du chapitre II du titre II du livre Ier du code de la consommation est complétée par une sous‑section 9 ainsi rédigée : 

« Sous‑section 9

« Promotion de produits, actes ou prestations réalisée par les influenceurs

« Art. L. 12226. – Est considéré comme influenceur toute personne physique ou morale, qui, à titre onéreux ou en échange d’un avantage en nature, produit et diffuse par un moyen de communication électronique des contenus qui visent, à l’occasion de l’expression de sa personnalité, à promouvoir des biens, services, ou une cause quelconque.

« Art. L. 12227. – I. – Sont interdits, pour les personnes mentionnées à l’article L. 122‑26, la promotion sur les réseaux sociaux des produits, prestations et actes suivants :

« 1° Les produits pharmaceutiques, les dispositifs médicaux et les actes de chirurgie, à l’exception du relai des campagnes de santé publique du Gouvernement ; 

« 2° Les placements ou investissements financiers et actifs numériques entraînant des risques de perte pour le consommateur.

« II.  Sont également interdits, sauf lorsque le public est explicitement informé par un bandeau visible sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion que ceuxci sont réservés aux personnes majeures, la promotion :

« 1° D’abonnements à des pronostics sportifs ;

« 2° D’inscriptions à des formations professionnelles ;

« 3° Des jeux d’argent et de hasard.

« III. – La violation des dispositions du présent article est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

« Art. L. 12228. – I. – La promotion de produits, actes ou prestations réalisée par les personnes mentionnées à l’article L. 122‑26 doit être indiquée par un bandeau visible sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion. 

« II. – Lorsque la promotion porte sur la vente d’un produit ou d’un service dont l’influenceur n’est que l’intermédiaire du fournisseur effectif, l’influenceur informe l’acheteur potentiel de l’identité du fournisseur. Les personnes mentionnées à l’article L. 122‑26 doivent s’assurer de l’absence de fictivité du produit, ainsi que du respect par le vendeur initial des conditions générales de vente. 

« Art. L. 12229.  Les dispositions de la présente sous‑section sont précisées par décret en Conseil d’État. »

Article 2

Le titre II du livre Ier de la septième partie du code du travail est complété par un chapitre V ainsi rédigé :

« Chapitre V 

« Agents d’influenceurs

« Section 1

« Définitions

« Art. L. 71251. – Est considéré comme agent d’influenceur, toute personne physique ou morale dont l’activité consiste, à titre onéreux, à représenter ou mettre en relation les personnes physiques ou morales exerçant l’activité d’influenceur définie à l’article 1er, avec des personnes physiques ou morales sollicitant leur service, dans le but de promouvoir, par un moyen de communication électronique, des biens, des services, ou une cause quelconque.

« Section 2

« Contractualisation

« Art. L. 71252.  Un contrat entre un influenceur tel que défini à l’article 1er et un agent d’influenceur doit être rédigé par écrit sous la forme d’un contrat d’agence au sens des articles L. 1341 à L. 13417 du code de commerce

« Le contrat mentionne :

« 1° L’absence de conflits d’intérêts entre les parties ;

« 2° Le montant versé par l’annonceur pour la prestation d’influence commerciale par moyen de communication électronique qu’il sollicite et le montant perçu au titre du mandat.

« Section 3 

« Représentation légale

« Art. L. 71253. – S’il n’est pas établi sur le territoire français, l’influenceur désigne un représentant légal, personne physique ou morale établie en France, qui le représente. S’il a conclu un contrat avec une agence établie en France, celle‑ci est désignée comme personne morale pour le représenter en France. Le représentant légal est soumis au droit français pour tout ce qui relève des activités en ligne de l’influenceur à destination de la population française.

« Les dispositions de la présente section sont définies par décret en Conseil d’État. »

Article 3

Après l’article 64 de la loi n° 2004575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est inséré un article 641 ainsi rédigé :

« Art. L. 641. – Les opérateurs de plateformes en ligne établissent des mécanismes permettant à tout individu ou à toute entité de leur signaler la présence au sein de leur service d’un contenu manifestement illicite. Ces mécanismes permettent la soumission de notifications exclusivement par voie électronique.

« Le fournisseur de contenus notifie dans les meilleurs délais à cet individu ou cette entité sa décision concernant les informations auxquelles la notification se rapporte. Il fournit toute information utile relative aux voies de recours ouvertes à l’égard de cette décision.

« À partir d’un certain nombre de signalements défini par décret et relatif à la fréquentation du réseau social, les opérateurs de plateforme en ligne sont tenus de contrôler la publication signalée.

« Les opérateurs de plateformes en ligne publient, au moins une fois par an, un rapport sur les activités de modération de contenu auxquelles ils se sont livrés au cours de la période concernée. Ce rapport comprend, les éléments suivants : 

« 1° Le nombre d’injonctions reçues des autorités, classées par type de contenus illicites concernés au regard du code de la consommation.

« 2° Le nombre de réclamations reçues par l’intermédiaire du système interne de traitement des réclamations, le fondement de ces réclamations, les décisions prises eu égard à ces réclamations, le délai moyen nécessaire à la prise de ces décisions et le nombre de cas dans lesquels ces décisions ont été infirmées.

«  Les mesures prises pour atténuer les risques qui découlent de l’utilisation de leurs services : diffusion de publicités mensongères, d’arnaques d’influenceurs et leurs effets négatifs sur la vie privée et familiale

« Les conditions d’application du présent article sont définies par décret. »

Article 4

Après l’article 65 de la loi n° 2004575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est inséré un article 651 ainsi rédigé :

« Art. L. 651. – Les opérateurs de plateforme en ligne fournissent à l’autorité administrative compétente toutes informations utiles pour concourir à la lutte contre la diffusion publique de contenus publicitaires considérés comme mensongers au sens de l’article L. 121‑1 du code de la consommation. À la suite d’une demande de retrait de contenu de la part de l’autorité administrative, ils mettent en œuvre les moyens nécessaires pour procéder dans un prompt délai au retrait desdits contenus.

« L’administration compétente fournit auxdits opérateurs de plateforme en ligne la liste des sites internet faisant la promotion illicite de produits ou services.

« Les conditions d’application du présent article sont définies par décret. »

Article 5

À la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 312‑9 du code de l’éducation, après le mot : « ligne », sont insérés les mots : « , à la sensibilisation contre la manipulation et les risques d’escroquerie en ligne ».