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N° 825

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 février 2023.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à protéger et à garantir la force de dissuasion nucléaire,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Caroline COLOMBIER, Franck ALLISIO, Bénédicte AUZANOT, Philippe BALLARD, Christophe BARTHÈS, Romain BAUBRY, José BEAURAIN, Christophe BENTZ, Pierrick BERTELOOT, Bruno BILDE, Emmanuel BLAIRY, Sophie BLANC, Frédéric BOCCALETTI, Pascale BORDES, Jorys BOVET, Jérôme BUISSON, Frédéric CABROLIER, Victor CATTEAU, Sébastien CHENU, Roger CHUDEAU, Annick COUSIN, Nathalie Da CONCEICAO CARVALHO, Grégoire de FOURNAS, Hervé de LÉPINAU, Jocelyn DESSIGNY, Edwige DIAZ, Sandrine DOGOR‑SUCH, Nicolas DRAGON, Christine ENGRAND, Frédéric FALCON, Thibaut FRANÇOIS, Thierry FRAPPÉ, Stéphanie GALZY, Frank GILETTI, Yoann GILLET, Christian GIRARD, José GONZALEZ, Florence GOULET, Géraldine GRANGIER, Daniel GRENON, Michel GUINIOT, Jordan GUITTON, Marine HAMELET, Joris HÉBRARD, Timothée HOUSSIN, Laurent JACOBELLI, Alexis JOLLY, Hélène LAPORTE, Laure LAVALETTE, Marine LE PEN, Julie LECHANTEUX, Gisèle LELOUIS, Katiana LEVAVASSEUR, Christine LOIR, Aurélien LOPEZ‑LIGUORI, Marie‑France LORHO, Philippe LOTTIAUX, Alexandre LOUBET, Matthieu MARCHIO, Michèle MARTINEZ, Alexandra MASSON, Bryan MASSON, Kévin MAUVIEUX, Nicolas MEIZONNET, Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Thomas MÉNAGÉ, Pierre MEURIN, Serge MULLER, Julien ODOUL, Mathilde PARIS, Caroline PARMENTIER, Kévin PFEFFER, Lisette POLLET, Stéphane RAMBAUD, Angélique RANC, Julien RANCOULE, Laurence ROBERT‑DEHAULT, Béatrice ROULLAUD, Anaïs SABATINI, Alexandre SABATOU, Emeric SALMON, Philippe SCHRECK, Emmanuel TACHÉ de la PAGERIE, Jean‑Philippe TANGUY, Michaël TAVERNE, Lionel TIVOLI, Antoine VILLEDIEU,

députés.

 

 

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 9 novembre 2022, sur la base navale de Toulon, le Président de la République dévoilait à nos armées la Revue nationale stratégique 2022 (RNS 2022). Ce document cadre, attendu depuis longtemps au regard de l’évolution du cadre sécuritaire national et international, dresse un panorama de notre environnement de défense et de sécurité, aussi bien national qu’international, puis identifie les enjeux stratégiques, opérationnels et capacitaires auxquels la France sera confrontée dans les prochaines années. Au regard de cet état des lieux, la RNS 2022 présente ainsi dix objectifs stratégiques (OS) que la France se fixe pour assurer son rôle de puissance d’équilibre et garantir la sécurité de ses intérêts au regard des menaces potentielles qui pèsent sur elle. Au rang de ces objectifs, la RNS 2022 a intitulé son OS n° 1 « Une dissuasion nucléaire robuste et crédible », érigeant incontestablement cette dernière comme la « dorsale de notre sécurité ».

Le Président de la République justifie ce choix arguant que : « L’efficacité́ de la politique de dissuasion française repose sur sa crédibilité́ politique, opérationnelle et technique. Cela se traduit notamment par une posture exigeante et des engagements capacitaires s’inscrivant dans le temps long, mais également par l’aptitude, largement démontrée depuis ses débuts, à adapter tant la doctrine que les moyens au contexte stratégique et à ses évolutions potentielles. »

Il est rassurant de voir persister la conscience du rôle fondamental joué par la dissuasion, à côté des forces conventionnelles, dans la protection du pays. En effet, cette capacité est devenue avec le temps l’outil indispensable pour « peser » et porter avec crédibilité la voix et l’influence de la France sur la scène internationale. En conséquence, notre Nation appartient au club restreint des pays détenteurs du « feu » nucléaire, lui garantissant ainsi les moyens de ses ambitions tout en envoyant un signal fort de fiabilité et de puissance, tant à ses alliés qu’à ses compétiteurs.

Fruit de la volonté du Général de Gaulle de construire et de consolider l’indépendance et la souveraineté de la France au lendemain de la Première Guerre mondiale, la dissuasion nucléaire constitue la clé de voûte de notre défense nationale. Avec la mise en place d’une double composante, aérienne avec les Forces aériennes stratégiques (FAS) depuis 1964, et navale avec la Force océanique stratégique (FOST) depuis 1972 (mise à flot en du premier sous‑marin nucléaire Lanceur d’engin – SNLE – Le Redoutable le 28 janvier 1972, début de la « permanence à la mer »), la France a fait le choix de la puissance nucléaire pour protéger ses intérêts vitaux, susceptibles d’être remis en cause dans le contexte tendu de la Guerre froide (1947‑1991). Après le traumatisme de la défaite de 1940, cette politique marque le retour de la fierté et de la puissance du pays.

Le colonel Lionel Catar résumera ainsi l’esprit de de la dissuasion française : « elle est le symbole d’un redressement et d’une indépendance nationale aboutie., (…) en faisant montre d’une dynamique d’adaptation conceptuelle face aux évolutions du monde. Ce sont autant de points d’ancrage solides pour affronter les défis contemporains : nouveaux champs de conflictualités, variété des pratiques dissuasives et contestation sociétale du nucléaire. » ([1])

Toutefois, cet outil indispensable à la protection collective des Français et longuement édifié par le travail collectif de nos dirigeants, de nos armées et de nos industriels, fait l’objet de remises en cause et de contestations depuis de nombreuses années :

Elle est tout d’abord contestée par quelques responsables politiques qui ne voient plus l’intérêt d’entretenir un outil qui leur semble coûteux, voire désuet. C’est oublier que la paix relative que connaît l’Europe depuis plus de 70 ans est avant tout le fruit de la dissuasion que la France met au service de ses alliés dans le cadre des accords qui la lie à eux. C’est ensuite oublier que le propre de l’arme nucléaire est de gagner suffisamment en crédibilité pour ne pas être utilisé à l’encontre d’adversaires potentiels.

Par ailleurs, notre dissuasion est également remise en cause par la récurrence du fantasme politico‑militaire d’Europe de la défense dont l’une des résultantes se manifesterait dans un possible partage de cette capacité avec nos voisins européens. Bien que cette option ait été rapidement contestée, démentie voire désavouée, le risque de la voir réapparaître prochainement dans les sphères du pouvoir politique et diplomatique n’est pas à exclure. Elle est surtout commandée par l’idée d’Europe de la défense, dogmatiquement érigée par les dirigeants du continent qui se complaisent dans l’illusion d’une totale et cohérente uniformité stratégico‑militaire entre pays européens.

De plus, après la contestation politique, après l’illusion de l’Europe de la défense au détriment de la défense de l’Europe, un troisième danger guette notre dissuasion : celui de l’idéologie écologiste. Depuis un certain nombre d’années, la puissance des lobbies et des associations militantes écologistes de gauche sont entrés dans une spirale croissante de violence à l’égard de ce qui compromettrait, selon eux, la sauvegarde du climat et de la planète. Dans leur ligne de mire se situent évidemment le nucléaire civil, mais aussi le nucléaire militaire. Les gouvernements français successifs, par idéologie, ont sacrifié la politique énergétique du pays en même temps que ses centrales et les réacteurs, faisant payer aux Français les résultats de leur inconséquence par les pénuries et les coupures d’énergies que ces derniers ont dû subir en 2022 et 2023. Le nucléaire militaire n’est pas non plus à l’abri de telles attaques car l’écologie radicale et punitive, portée par les mouvances précédemment citées, utilise les leviers de la peur et de l’action violente pour impressionner et influencer l’opinion et les décideurs publics. Ce risque existe bel et bien car nous l’avons vu s’installer chez certains de nos alliés, notamment nos partenaires australiens et néo‑zélandais, contraint des renoncer, sous la pression de fronts antinucléaires puissants et au détriment de leur Sécurité nationale, au choix du nucléaire modèle, tant civil que militaire. Sans tirer de conclusion hâtive sur la part de cet antinucléarisme dans la rupture en septembre 2021 du « contrat du siècle » (qui devait voir la livraison à l’Australie de 12 sous‑marins nucléaires d’attaque de classe Barracuda par le français Naval Group), nous ne pouvons que relever que l’accostage et l’accueil des bâtiments de la Marine nationale dans les eaux territoriales de ces pays est déjà de plus en plus difficile pour ces raisons‑là. Ces difficultés interviennent alors que l’Indo‑Pacifique constitue une zone d’intérêts vitaux et d’influence pour la France, et peut devenir demain un théâtre majeur de conflictualité avec l’inquiétante remontée en puissance du géant chinois qui ne cache plus ses prétentions ni ses ambitions.

Enfin, la guerre en Ukraine, déclarée par la Russie au début de l’année 2022, nous alerte sur l’urgence de conforter et de consolider notre outil de Défense et notre modèle d’armée complet avec, à son sommet, la dissuasion nucléaire. Le retour des conflits symétriques de haute‑intensité à l’Est de l’Europe nous fait renouer avec la violence et la guerre. La revue Stratégique 2022 précédemment citée l’admet même dans son point n° 105 : « Le conflit en Ukraine constitue un révélateur du rôle essentiel que jouent nos forces nucléaires dans la sécurité́ de l’espace euroatlantique. Il démontre la nécessité de conserver une dissuasion nucléaire, robuste et crédible pour prévenir une guerre majeure, garantir la liberté́ d’action de la France et préserver ses intérêts vitaux, qui ont une dimension européenne. » Il est donc indispensable de renforcer une telle capacité, en la maintenant crédible, efficace et indépendante. Même si ces objectifs seront remplis par l’investissement constant de nos industriels et de nos forces armées, par l’effort budgétaire consenti et par l’appropriation la plus large des enjeux de dissuasion et de la culture stratégique, il convient d’aller au‑delà pour éviter une potentielle remise en cause de l’intérêt d’une telle force.

Aussi, au regard de ces éléments, de ces risques ainsi que du contexte international actuel, il convient de protéger et de sanctuariser ce qui constitue le fleuron de notre Défense nationale. Inscrire dans le marbre de la Constitution du 4 octobre 1958 la force de dissuasion nucléaire serait un moyen pertinent de la consacrer et de le protéger juridiquement en empêchant toute entrave à sa détention, à son entretien et à sa mise en œuvre. Enfin, c’est aussi affirmer auprès de nos alliés et de nos adversaires que, oui, dans le « concert des Nations », la France compte et comptera encore et toujours. Tel est l’objet de l’article unique de la présente proposition de loi constitutionnelle.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Le second alinéa de l’article 5 de la Constitution du 4 octobre 1958 est complété par une phrase ainsi rédigée : « À ce titre, est placée sous son autorité la force de dissuasion nucléaire dont l’organisation, la gestion et la mise en condition d’emploi ne peuvent faire l’objet d’aucun abandon, d’aucune cession ni d’aucun partage. »


([1])  La dissuasion, libres réflexions sur la grammaire stratégique française, Lionel Catar, Stratégique 2019/4 (N° 124), pages 187 à 204.