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N° 887

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers
causés par le retraitgonflement de l’argile,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sandrine ROUSSEAU, Christine ARRIGHI, Delphine BATHO, Julien BAYOU, Lisa BELLUCO, Cyrielle CHATELAIN, Charles FOURNIER, Marie-Charlotte GARIN, Jérémie IORDANOFF, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Julie LAERNOES, Benjamin LUCAS, Francesca PASQUINI, Sébastien PEYTAVIE, Marie POCHON, Jean-Claude RAUX, Sandra REGOL, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Aurélien TACHÉ, Sophie TAILLÉPOLIAN, Nicolas THIERRY,

Député-e-s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui, en France, les conséquences du changement climatique sont tangibles, concrètes et parfois, déjà, dramatiques. Incendies, sécheresses ou tempêtes, peu importe la forme, chacune et chacun voit le monde changer, voire s’effondrer.

2022 a été l’année de tous les records en France. Des chaleurs encore jamais enregistrées jusqu’alors, d’intenses et nombreux incendies ont entraîné la perte de plus de 65 000 hectares, et surtout un assèchement de la ressource en eau dans les sols, aboutissant, dans de nombreuses villes, à des restrictions d’usage. Les prévisions des scientifiques sont formelles : ce n’est que le début. La France sera exposée à des sécheresses et des inondations d’ampleur grandissante et de plus en plus fréquentes.

Pour de nombreux Français et Françaises, les impacts sont perceptibles car ils affectent immédiatement leur environnement, leurs conditions de vie, mais aussi leur lieu d’habitation.

C’est le cas en particulier des propriétaires de maisons fissurées sous l’effet du phénomène de retrait et gonflement des argiles (RGA). Ce phénomène, dont les conséquences désastreuses ont été mises en lumière par l’émission Cash Investigation, se caractérise par des mouvements alternatifs des sols argileux selon la variation de la teneur en eaux dans les sols : tantôt les argiles se rétractent et se fracturent en cas de sécheresse, tantôt elles se gonflent sous l’effet de l’accumulation en eau en cas de forte pluviométrie. Ces retraits et gonflements peuvent faire varier l’amplitude de l’ordre de ‑ 10 % à + 10 % du volume des argiles et si ce phénomène est bien documenté depuis de nombreuses années, le changement climatique en accentue considérablement l’ampleur. Ces mouvements répétés et successifs entraînent des dégâts majeurs et visibles sur de nombreuses habitations. La structure des maisons se fragilise, des fissures apparaissent, et dans certains cas cela aboutit à une menace d’inhabitabilité ou même d’effondrement de la construction.

Ce phénomène nous interroge sur les moyens que nous sommes capables de mobiliser pour protéger les personnes les plus exposées et vulnérables au réchauffement climatique.

En 2022, le CEREMA alertait sur l’ampleur de ce phénomène : compte tenu de la géologie du territoire français, près de 50 % des sols du pays sont concernés par des retraits et des gonflements d’intensité moyenne et forte, et dix millions de maisons individuelles sont très exposées. Dans 75 % des communes françaises, c’est plus de la moitié de leurs habitations qui sont exposées au risque de retrait et de gonflement des argiles.

Les dégâts sont en premier lieu matériels mais les RGA ont aussi des conséquences sociologiques et psychologiques. Les particuliers propriétaires sont démunis face à l’ampleur des coûts de réparation, les aides sont méconnues, les dispositifs de reconnaissance de catastrophe naturelle se révèlent souvent inefficaces, les indemnisations in fine sont très rares. La détresse est grande pour de nombreux propriétaires. Les sentiments d’impuissance et d’injustice sont fréquents et alimentent l’idée omniprésente chez les victimes de RGA d’être abandonnées par la puissance publique.

Ce type de sinistres est en effet aujourd’hui pris en charge par la garantie catastrophe naturelle. Mais encore faut‑il qu’un arrêté interministériel de catastrophe naturelle soit rendu sur la commune concernée, et qu’il soit prouvé que le retrait et gonflement des argiles soit reconnu comme la cause déterminante du dommage. Deux conditions trop rarement réunies. Les propriétaires sans recours se multiplient. Certains ont perdu le fruit de leurs économies dans un bien qu’ils ne peuvent plus habiter ni revendre. Le RGA est aussi le seul phénomène de catastrophe naturelle dont les effets apparaissent de manière différée, postérieurement aux épisodes de sécheresses. Ceci rend la causalité plus complexe à établir et, a fortiori, l’indemnisation de ce dommage plus aléatoire.

Ce mécanisme d’indemnisation par son inefficacité fait peser sur les propriétaires les conséquences du réchauffement climatique. Le gouvernement, via la garantie catastrophe naturelle, doit prendre ses responsabilités et prévoir une meilleure procédure d’indemnisation en cas de sécheresse et de phénomène de retrait‑gonflement des argiles.

L’objectif de la présente proposition de loi est donc de faciliter l’indemnisation des victimes du retrait gonflement des argiles.

L’article 1er vise à modifier les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe pour augmenter le nombre de communes reconnues en état de catastrophe naturelle au titre du phénomène de retrait‑gonflement des argiles. Pour cela il est proposé de s’appuyer également sur des mesures d’humidité des sols, indispensables pour appréhender la partie « gonflement » des sols qui n’est actuellement pas prise en compte dans les mesures de Météo France. Il est également proposé de comparer les épisodes de sécheresse à l’échelle d’une année, avec l’historique des années précédentes, et non plus mois à mois, pour mieux prendre en considération la longueur qui peut caractériser les épisodes de sécheresse et tenir compte de l’effet différé de la survenance des dommages causés par le retrait‑gonflement des argiles. Le présent article introduit par ailleurs une disposition permettant de considérer que si une année fait partie des dix plus sèches des cinquante dernières années, celle‑ci fait automatiquement l’objet d’une déclaration de catastrophe naturelle de sécheresse.

L’article 2 a pour objet de rendre la procédure d’expertise plus efficace et impartiale et de rééquilibrer les rapports entre l’assurance et l’assuré. En premier lieu, il est prévu une présomption selon laquelle lorsqu’un état de catastrophe naturelle sécheresse est déclaré alors il est présumé que la cause déterminante du dommage est le retrait‑gonflement de l’argile. Cette disposition permet de faciliter la reconnaissance du lien de causalité permettant d’obtenir une indemnisation au titre d’une catastrophe naturelle de sécheresse. Cette disposition prévoit par ailleurs que lorsqu’il cherche à déterminer les causes des dommages, l’assureur doit désormais obligatoirement mener une analyse des sols qui prend spécifiquement en compte le risque de retrait‑gonflement des argiles. Et enfin, cet article permet de considérer que l’aggravation d’une fissure d’une construction constitue un élément nouveau de dégât pouvant ainsi entrer dans les préjudices indemnisés en cas de catastrophe naturelle de sécheresse.

 


proposition de loi

Article 1er

Après le quatrième alinéa de l’article L. 125‑1 du code des assurances, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« L’arrêté interministériel mentionné au quatrième alinéa du présent article est pris notamment sur le fondement de mesures des variations d’humidité du sol prises sur le terrain, pour caractériser le cycle de retrait‑gonflement des argiles sur les zones concernées.

« La caractérisation de l’état de catastrophe naturelle de sécheresse se fait, selon une méthodologie dont les modalités sont définies par décret, par comparaison entre l’année considérée et les cinquante années qui la précèdent. Lorsque l’année considérée se classe entre le premier rang et le dixième rang des valeurs les plus basses de l’indicateur d’humidité des sols superficiels, l’état de catastrophe naturelle de sécheresse est constaté.

« Lorsque la zone géographique à laquelle s’applique l’arrêté interministériel présente un risque de phénomènes de retrait‑gonflement des argiles, postérieurs à l’épisode de sécheresse, la durée d’application de l’arrêté ne peut être inférieure à un an. »

Article 2

Après l’article L. 125‑2 du code des assurances, il est inséré un article L. 125‑2‑1 ainsi rédigé :

« Art. L.12521.  Lorsqu’une décision administrative constatant l’état de catastrophe naturelle de sécheresse est prise, les dispositions suivantes s’appliquent cumulativement :

« 1° Tout dommage, tel que défini au troisième alinéa de l’article L. 125‑1, fait l’objet d’une présomption réfragable selon laquelle ledit dommage a pour cause déterminante des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, caractérisant le phénomène de retrait‑gonflement des argiles ;

« 2° Afin de déterminer la cause des dommages, l’assureur est tenu de faire réaliser une expertise, dans des conditions définies par arrêté ministériel, sur la base d’une étude de sols visant spécifiquement à déterminer les sinistres liés à la sècheresse qui permette d’établir si la nature du sol et les variations d’humidité constituent le facteur déclenchant du sinistre constaté.

« L’aggravation d’une fissure est considérée comme un événement nouveau, nonobstant l’apparition antérieure de microfissures, ouvrant droit à indemnisation si l’aggravation de la fissure est apparue pendant la période de reconnaissance de l’arrêté catastrophe naturelle de sécheresse. »

Article 3

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.