Description : LOGO

N° 888

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2023.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’interdiction de toute forme de publicité numérique
et lumineuse dans l’espace public,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Delphine BATHO, Lisa BELLUCO, Christine ARRIGHI, Julien BAYOU, Cyrielle CHATELAIN, Charles FOURNIER, MarieCharlotte GARIN, Jérémie IORDANOFF, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Julie LAERNOES, Benjamin LUCAS, Francesca PASQUINI, Sébastien PEYTAVIE, Marie POCHON, JeanClaude RAUX, Sandra REGOL, Sandrine ROUSSEAU, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Aurélien TACHÉ, Sophie TAILLÉPOLIAN, Nicolas THIERRY,

député.e.s.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La « chasse au gaspi » et la lutte contre les consommations d’énergie inutiles doivent être au premier plan des priorités nationales. Le choc énergétique actuel et l’inflation l’imposent. À l’heure où les citoyennes et les citoyens sont appelés à la « sobriété », force est de constater que les mesures d’économies d’énergie les plus simples et les plus évidentes ne sont toujours pas décidées.

Quoi de plus inutile qu’un panneau publicitaire numérique ou lumineux ? Depuis plusieurs années, les écrans publicitaires numériques se déploient massivement dans l’espace public et dans notre espace visuel. Ils constituent une nouvelle étape de l’invasion publicitaire, qui s’ajoute aux publicités lumineuses dont les installations dans l’espace public sont plus anciennes. Ce développement de la publicité numérique et lumineuse et la société d’hyperconsommation qu’ils promeuvent ne sont pas compatibles avec les impératifs liés à la sobriété énergétique, à l’urgence écologique, à la protection de la santé publique et à la qualité des paysages urbains.

Selon une étude publiée par l’ADEME, le nombre de panneaux publicitaires digitaux était de 55 000 en 2019, en hausse de 40 % en deux ans. Ces déploiements se sont poursuivis depuis. À Paris, déjà près de 1000 écrans numériques ont été installés dans les stations de métro et 3000 dans les rues. À Lyon, Rennes, Nantes, Lille, Nice, Mulhouse, comme dans toutes les villes, grandes ou moyennes, les écrans publicitaires numériques se déploient dans les gares et métros, sur les abribus, dans les rues, mais aussi dans les vitrines des commerces. Comble du comble, les panneaux lumineux ou numériques font même parfois de la publicité pour inciter les citoyennes et citoyens aux gestes d’économies d’énergie, comme éteindre la lumière ou réduire la température du chauffage !

La présence dans l’espace public des écrans de publicités numériques et lumineux doit impérativement être remise en cause. Au bien‑fondé de la proposition de loi n° 2677 du 11 février 2020 proposant de les interdire, s’ajoutent les circonstances du nouveau régime énergétique, lié d’une part au choc subi par la France et l’Europe avec la hausse des prix des énergies fossiles depuis l’automne 2021, aggravée par la guerre en Ukraine, et d’autre part à la crise électrique, résultant de la mise à l’arrêt d’une partie du parc nucléaire français, pour raison de maintenance ou de sûreté. Alors que le gouvernement a été conduit à préparer un plan de délestage pour prévenir tout risque de black‑out, le « plan de sobriété énergétique » est notoirement insuffisant et exclut curieusement les panneaux publicitaires numériques et lumineux qui sont pourtant devenus le symbole du gaspillage inutile de l’énergie.

À l’origine d’une importante consommation d’énergie, les écrans publicitaires numériques sont la source d’un gaspillage énergétique évitable. Un panneau numérique de deux mètres carrés consomme 7 000 kilowattheures (kWh) par an, ce qui équivaut à la consommation annuelle d’un foyer avec un enfant. À titre de comparaison, un panneau avec une face numérique consomme sept fois plus que les panneaux d’affichage non numériques. Le Réseau de transport d’électricité (RTE), dans son bilan électrique annuel prévisionnel pour 2019 avait qualifié de superflue la consommation d’énergie qu’ils génèrent et préconisait de les supprimer, ce qui représenterait un gain journalier de 0,1 GW d’énergie sur le territoire.

Les publicités numériques et les publicités éclairées sont également à l’origine d’une importante pollution lumineuse. La lumière artificielle qu’elles produisent perturbe l’alternance du jour et de la nuit dans les écosystèmes. Les conséquences sont néfastes pour la biodiversité : diminution et fragmentation des habitats naturels, perturbation de l’horloge biologique des espèces, etc. La pollution lumineuse impacte aussi la santé humaine qui subit les effets à court et long terme d’un usage excessif de la lumière artificielle et perturbe les rythmes circadiens des humains.

À la dépense énergétique inutile de ces écrans, s’ajoute le coût environnemental de leur production. La fabrication des écrans numériques participe aux destructions écologiques par la surconsommation des ressources, notamment celle des terres rares qui sont nécessaires à leur fabrication.

De plus, l’implantation croissante des écrans publicitaires numériques et lumineux comporte des conséquences préoccupantes pour la santé publique, en particulier celle des enfants. En effet, les risques pour la santé, physique et psychologique, liés à l’abus d’écrans sont connus. L’implantation massive d’écrans numériques dans l’espace public contribue à cette surexposition aux écrans. Surcharge cognitive, troubles de l’attention, stress induit par le caractère répétitif et invasif de la publicité, les conséquences néfastes pour la santé sont nombreuses, et dans le cas des écrans publicitaires numériques elles sont subies par tout un chacun, car nul ne peut les éviter lors de ses déplacements quotidiens.

L’impact de la publicité est amplifié au moyen de ces écrans, alors qu’une personne reçoit déjà en moyenne entre 1 200 et 2 200 messages publicitaires par jour. Les écrans publicitaires numériques offrent la possibilité de présenter des images en mouvement qui, même à la périphérie du champ visuel, captent automatiquement l’attention. Cette réaction automatique s’accompagne d’une augmentation du niveau d’alerte et de stress qui favorise la mémorisation du message. La publicité numérique, qui poursuit un but d’efficacité dans l’appel au consumérisme, est donc à l’origine d’une augmentation de la fatigue psychique induite par la publicité, avec des effets délétères et un conditionnement mental des individus.

Ces conséquences sont d’autant plus graves chez les enfants puisqu’elles impactent leur développement psychomoteur. L’Organisation mondiale de la santé, dans des lignes directrices publiées en avril 2019, tout comme le Défenseur des droits, dans un rapport publié en 2018, ont alerté sur les effets nocifs de l’utilisation de toutes formes d’écrans pour les enfants de moins de six ans et recommandent d’en proscrire l’usage. Les écrans entravent le développement des capacités sensorielles des enfants et freinent l’apprentissage des fonctions sociales et relationnelles nécessaires à leur épanouissement. Dans son numéro du 14 janvier 2020, le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, édité par Santé publique France, a également publié une nouvelle étude démontrant que les enfants exposés à un écran dès le matin ont trois fois plus de risques de développer des troubles du langage.

Les pouvoirs publics ne peuvent laisser plus longtemps s’installer une contradiction manifeste entre les recommandations de santé publique faites aux parents afin de ne pas exposer leurs enfants aux écrans et la présence toujours plus grande d’écrans publicitaires numériques dans l’espace public. Celle‑ci participe à leur banalisation et soumet les enfants aux pressions commerciales dès leur plus jeune âge.

S’ajoute à ces impacts des conséquences en matière de sécurité routière. En effet, l’omniprésence des écrans publicitaires numériques dans les villes constitue un danger pour la circulation. De nombreux écrans sont implantés aux intersections, dans les zones d’attente des circulations piétonnes et routières, afin d’attirer l’attention du plus grand nombre de personnes qui passent à proximité. Ces implantations augmentent les risques d’accidents. Si aucune étude n’a encore été publiée en France sur l’incidence de ces écrans sur la sécurité routière, une étude américaine a montré des taux d’accidents significativement plus élevés (une augmentation de 25 % et 29 %) aux emplacements des écrans publicitaires numériques en bord de route.

Enfin, le déploiement des écrans publicitaires numériques et de la publicité lumineuse porte préjudice à l’esthétique urbaine. Il affecte la beauté de l’espace public, contribue à son enlaidissement et perturbe la tranquillité à laquelle ont droit les promeneurs. Il organise l’uniformisation et la standardisation des espaces publics, transformés en centres commerciaux à ciel ouvert.

La législation actuelle ne permet pas aux pouvoirs publics de mettre un coup d’arrêt au déploiement de l’installation d’écrans publicitaires numériques ou lumineux pour des raisons d’intérêt général liées à la santé publique, à la nécessité de réduire la consommation d’énergie et de protéger l’esthétique de l’espace public.

En effet, en dehors des agglomérations, la publicité lumineuse et numérique relève du cadre général applicable à la publicité aux termes de l’article L. 581‑7 du code de l’environnement. Ces dispositions autorisent son déploiement à l’intérieur de l’emprise des aéroports, des gares ferroviaires et routières et des grands équipements sportifs.

Dans les agglomérations, la publicité lumineuse est autorisée dans les conditions prévues à l’article L. 581‑9 du code de l’environnement et doit respecter des critères déterminés par décret concernant les emplacements, la surface et la hauteur des panneaux, ainsi que des prescriptions sur les économies d’énergie et la prévention des nuisances lumineuses. Ces prescriptions sont relatives aux dispositifs utilisés et à l’importance des agglomérations concernées. Le troisième alinéa de l’article L. 581‑9 dispose que « L’installation des dispositifs de publicité lumineuse autres que ceux qui supportent des affiches éclairées par projection ou par transparence est soumise à l’autorisation de l’autorité compétente ». De ce fait, ce sont les règlements locaux de publicité édictés par les collectivités territoriales qui décident de l’implantation de la publicité lumineuse et numérique sur le territoire des communes concernées. L’article R. 581‑41 du même code énonce les dispositions particulières applicables à la publicité numérique en fonction de la consommation électrique du dispositif ou de son emplacement.

Le Règlement local de publicité prévu à l’article L. 581‑14 du code de l’environnement peut prévoir des règles spécifiques en la matière et décider l’interdiction de la publicité lumineuse et numérique sur le territoire de la commune concernée. Les gares, stations et arrêts de transports en commun de personnes sont cependant exclus du champ d’application de ce règlement. De plus, s’il donne la possibilité d’interdire la publicité lumineuse et numérique, la procédure d’adoption des règlements locaux de publicité reste longue et leur contenu dépend de la volonté des élus locaux.

Afin de remédier, au moins partiellement, aux insuffisances de la législation, l’Assemblée nationale avait adopté en décembre 2019 un amendement au projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, donnant pouvoir aux maires d’interdire toute forme de publicité numérique sur le territoire de leur commune et dans les gares, stations et arrêts de transports en commun. Cette disposition avait cependant été supprimée par la Commission mixte paritaire.

Par la suite, la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, par son article 18, s’est contentée d’autoriser le règlement local de publicité à prévoir un encadrement des horaires d’extinction, de la surface, et de la consommation énergétique des publicités lumineuses et les enseignes lumineuses situées à l’intérieur des vitrines ou des baies d’un local à usage commercial.

D’autre part, à l’initiative du groupe écologiste du Sénat, la loi n° 2022‑1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a, par son article 31, inscrit dans le code de l’énergie la possibilité pour la ministre chargée de l’énergie, en cas de menace pour la sécurité d’approvisionnement en électricité, d’interdire la publicité lumineuse ou numérique. Cette faculté n’a pas été mise en œuvre à ce jour.

Enfin, le décret n° 2022‑1294 du 5 octobre 2022 portant modification de certaines dispositions du code de l’environnement relatives aux règles d’extinction des publicités lumineuses et aux enseignes lumineuses, harmonise les règles d’extinction des publicités lumineuses, que la commune soit couverte ou non par un règlement local de publicité et quelle que soit la taille de l’unité urbaine à laquelle elle appartient : les publicités lumineuses doivent être éteintes la nuit, entre une heure et six heures du matin. Ces dispositions ne concernent pas les publicités dans les aéroports, gares et services de transport.

Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que la législation actuelle est insuffisante. C’est pourquoi la présente proposition de loi modifie le code de l’environnement afin d’instaurer une interdiction générale de la publicité numérique et des publicités éclairées pour protéger le cadre de vie de tous les citoyens.

L’article unique énonce l’interdiction de toute publicité numérique, éclairée ou lumineuse sur les voies de circulation publique, dans les aéroports, gares, stations et arrêts de transports en commun de personnes. Cette interdiction s’applique également aux publicités situées à l’intérieur d’un local lorsqu’elles sont visibles depuis la voie publique, mais ne s’applique pas aux panneaux d’information publique non commerciale et indispensable à l’intérêt général. Elle est inscrite au sein des dispositions générales de la section 2 du chapitre Ier du titre VIII portant protection du cadre de vie, du code de l’environnement.

 


proposition de loi

Article unique

Après le I de l’article L. 581‑4 du code de l’environnement, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. – Toute publicité lumineuse, ou supportant des affiches éclairées par projection ou transparence, ou numérique est interdite en agglomération et hors agglomération, sur les voies ouvertes à la circulation publique, ainsi que dans les aéroports, gares ferroviaires et routières, stations et arrêts de transports en commun de personnes.

« Par dérogation aux dispositions de l’article L. 581‑2, cette disposition s’applique également aux publicités situées à l’intérieur d’un local lorsque leur emplacement les rend visibles depuis la voie publique.

« Cette interdiction ne s’applique pas aux dispositifs destinés exclusivement aux informations d’intérêt général à caractère national ou local dont la liste est définie par décret, sous réserve du respect des dispositions du présent article et de l’article L. 581‑8. »