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N° 903

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 février 2023.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

visant à alléger les limitations de cumul du mandat
de parlementaire,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Pierre MORELÀL’HUISSIER, Bertrand PANCHER, Christophe NAEGELEN, Béatrice DESCAMPS, Stéphane LENORMAND, Guy BRICOUT, Max MATHIASIN, Alexandre VINCENDET, Fabien DI FILIPPO, Émilie BONNIVARD, Bruno BILDE, Didier LEMAIRE, Hubert BRIGAND, Vincent SEITLINGER, MarieFrance LORHO, Hélène LAPORTE, Philippe LOTTIAUX, Alexis JOLLY, Thomas MÉNAGÉ, Hubert OTT, Lionel VUIBERT, Nicolas DUPONTAIGNAN,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le régime du cumul est le fruit dune longue évolution reflétant une certaine réticence au départ au profit dune liberté dans la pratique. La France faisait pendant longtemps office dexception en Europe, où le cumul des mandats est interdit ou très limité.

Afin de protéger les parlementaires contre d’éventuelles pressions du pouvoir exécutif et d’éviter les situations de conflit dintérêts, des lois en 1985, en 2000, puis en 2014, ont limité la pratique du cumul.

La question avancée lors de chaque réforme est celle du caractère national du mandat parlementaire. Le mandat parlementaire est général, indépendant et s’exerce collégialement. Le député comme le sénateur ont pour vocation de représenter lensemble de la nation. Leur statut (inéligibilités, indemnités, incompatibilités…) est destiné à leur permettre d’exercer ce rôle.

Pour autant, cela doit‑il conduire à leur interdire toute participation dans la vie locale ou bien toute fonction ? Les parlementaires doivent‑ils sisoler de la vie active pour la représenter ?

Aussi la présente proposition de loi tend à alléger certaines limitations de cumul posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour certaines fonctions.

En premier lieu, sagissant de la compatibilité du mandat de parlementaire avec la fonction denseignant dans un établissement supérieur, en vertu dune garantie dindépendance constitutionnellement reconnue depuis une décision du Conseil constitutionnel n° 83‑165 DC du 20 janvier 1984, tout enseignant‑chercheur titulaire (quil soit professeur ou maître de conférences) bénéficie de lexception à la règle dincompatibilité énoncée par larticle L.O. 142 du Code électoral (Décision du Conseil constitutionnel n° 2013‑30 I du 19 décembre 2013).

Il en va différemment des professeurs associés en service temporaire, qui sont recrutés, à temps plein ou partiel, dans le cadre de contrats de droit public dune durée minimale de six mois et maximale de trois ans. En effet, le Conseil a estimé que ces professeurs associés ne présentaient pas les mêmes garanties dindépendance à l’égard de lexécutif que celles denseignants‑chercheurs titulaires (décision n° 2008‑24/25/26 I du 14 février 2008).

Toutefois, le Conseil constitutionnel ne sest prononcé que pour le cas des enseignants associés à une université, soit dans le cadre de droit public et non dans le cadre de contrats de droit privé. Par conséquent, un enseignant‑chercheur titulaire ainsi quun enseignant associé à une école de commerce pourraient être député alors quun enseignant associé à une université ne le pourrait pas. Cela semble paradoxal dans la mesure où ces trois exemples exercent des fonctions similaires.

Aussi, larticle 1er propose de ménager la compatibilité du mandat de parlementaire avec des fonctions denseignement au sein d’établissements denseignement supérieur, que ce soit en qualité denseignant‑chercheur titulaire ou denseignant contractuel de droit public.

En second lieu, sagissant de la compatibilité du mandat de parlementaire avec les fonctions au sein dun conseil de surveillance dun centre hospitalier, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est venue encore poser des restrictions.

Larticle L.O. 145 du code électoral pose une incompatibilité entre le mandat de parlementaire et les fonctions de président, de directeur général, de directeur général adjoint ou de membre de conseil dadministration exercées dans les établissements publics nationaux (sauf désignation du député ès qualités en vertu de la loi). De plus, le Conseil constitutionnel a considéré que les établissements publics de santé avaient le caractère d’établissement public national dans la mesure où il sagit d’établissements publics relevant de la tutelle de l’État. Par conséquent, le Conseil a décidé, en 2018, qu’étaient incompatibles avec le mandat de député les fonctions de président ou de vice‑président du conseil de surveillance de centres hospitaliers (en lespèce lAssistance publique – Hôpitaux de Paris ; décision n° 2018‑35 I du 12 avril 2018).

En revanche, les fonctions de membre du conseil de surveillance dun établissement public national n’étant pas visées par lincompatibilité édictée par larticle L.O. 145, le Conseil constitutionnel a admis la compatibilité, avec le mandat parlementaire, des fonctions de membre du conseil de surveillance de centres hospitaliers (en lespèce, le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger et le centre hospitalier de Haute Côte dOr ; décisions n° 2018‑34 I et n° 2018‑36 I du 12 avril 2018).

Ces décisions ont alors conduit des députés à démissionner des fonctions de président ou de vice‑président du conseil de surveillance dun centre hospitalier, tandis que dautres qui occupaient des fonctions de membre du conseil de surveillance dun centre hospitalier ont pu conserver leurs fonctions.

La question de lopportunité dune telle jurisprudence au regard des enjeux dancrage du député dans le territoire où il est élu peut se poser, ce dautant que larticle L.6143‑5 alinéa 7 du code de la santé publique dispose que « peuvent participer aux réunions du conseil de surveillance, avec voix consultative, le député de la circonscription où est situé le siège de l’établissement principal de l’établissement public de santé et un sénateur élu dans le département où est situé le siège de l’établissement principal de l’établissement public de santé, désigné par la commission permanente chargée des affaires sociales du Sénat ».

la loi n° 2009‑879 du 21 juillet 2009 portant réforme de lpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a substitué aux conseils dadministration des établissements publics de santé des conseils de surveillance composés de trois collèges (celui des représentants des collectivités territoriales, de leurs groupements ou de la métropole, désignés en leur sein par les organes délibérants des collectivités territoriales, de leurs groupements ou de la métropole ; celui des représentants du personnel médical et non médical de l’établissement public ; et celui des personnalités qualifiées).

Ainsi, un parlementaire ayant par ailleurs un mandat local (conseiller municipal ou départemental) pourrait donc, en tant que membre du collège des représentants des collectivités territoriales, être élu président (ou vice‑président) du conseil de surveillance dun établissement public de santé. Seule la jurisprudence du Conseil constitutionnel précitée (décision n° 2018‑35 I du 12 avril 2018) sy oppose.

Par conséquent, larticle 2 propose dexclure lapplication de lincompatibilité prévue à larticle L.O. 145 du Code électoral aux fonctions de président, de vice‑président ou de membre du conseil de surveillance dun établissement public de santé.

Enfin, sagissant de la compatibilité du mandat de parlementaire avec des fonctions exécutives au sein dassociations, le Conseil constitutionnel est venu, encore une fois, durcir les règles de cumul.

Les articles L.O. 146 et L.O. 147 du code électoral édictent une incompatibilité entre le mandat de parlementaire et des fonctions exécutives (président de conseil dadministration ou de surveillance, président ou membre de directoire, administrateur délégué, directeur général, directeur général délégué ou gérant) au sein de « sociétés, entreprises, établissements ou organismes » ayant un lien avec l’État ou des collectivités publiques ou exerçant des activités particulières telles que les activités financières ou de promotion immobilière ainsi que la fonction de membre du conseil dadministration ou de surveillance dans ces mêmes structures.

Le Conseil constitutionnel tend à assimiler des associations ayant une activité économique à des entreprises au sens de larticle L.O. 146, même lorsqu’elles sont dépourvues de but lucratif, dès lors quelles :

– facture des prestations réalisées à titre onéreux (décisions n° 88‑7 I du 6 décembre 1988, n° 89‑8 I du 7 novembre 1989, n° 2006‑20/21 I du 20 juillet 2006, n° 2006‑22 I du 26 octobre 2006 et n° 2018‑39 I du 29 juin 2018) ;

– interviennent dans un cadre concurrentiel (décisions n° 2006‑20/21 I du 20 juillet 2006, n° 2006‑22 I du 26 octobre 2006 et n° 2018‑39 I du 29 juin 2018) ;

– sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et/ou à limpôt sur les sociétés (décisions n° 2006‑20/21 I du 20 juillet 2006, n° 2006‑22 I du 26 octobre 2006 et n° 2018- 39 I du 29 juin 2018).

Ainsi le Conseil constitutionnel a considéré qu’étaient incompatibles avec le mandat de parlementaire des fonctions de direction au sein de lAssociation nationale pour la démocratie locale (ANDL) « dont lactivité consiste, au moins pour partie, dans la prestation de services destinés spécifiquement à des collectivités territoriales » (décision n° 2018 39 I du 29 juin 2018).

En revanche, le Conseil a récemment estimé qu’étaient compatibles avec le mandat de parlementaire des fonctions de président dune association assumant les missions dun service de santé au travail (ASTE), intervenant dans un cadre concurrentiel au moyen de prestations de service facturées via des cotisations, assujetties aux impôts commerciaux et bénéficiaires dun agrément du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de lemploi, dans la mesure où les services de lassociation ne sont pas destinés spécifiquement à l’État, à une collectivité publique, à un établissement public, à une entreprise nationale ni à un État étranger et où lagrément de la DIRECCTE nest pas discrétionnaire – tout refus dagrément devant être motivé (décision n° 2021‑42 I du 8 juillet 2021).

Une telle extension de lincompatibilité prévue aux articles L.O. 146 et L.O. 147 du Code électoral aux fonctions au sein dassociations revient à priver les parlementaires de possibilités dengagement associatif pourtant susceptibles denrichir leur mandat et de favoriser leur ancrage territorial.

Il est proposé, à larticle 3, de préciser le champ des associations au sein desquelles lexercice de fonctions de direction échapperait aux incompatibilités des L.O. 146 et L.O. 147 du Code électoral, à savoir :

– des associations reconnues dutilité publique (ce qui suppose un nombre minimal de 200 adhérents, un montant minimal de ressources annuelles de 46 000 € et lobtention dune accréditation auprès du ministère de lIntérieur permettant à lassociation de recevoir non seulement des dons manuels, mais aussi des donations et des legs) ainsi que des associations dont la mission est reconnue dutilité publique (afin de tenir compte du droit applicable en Alsace‑Moselle où la reconnaissance dutilité publique est attribuée non pas aux associations inscrites au registre prévu dans ces territoires, mais aux missions de ces associations) ;

 des associations reconnues dintérêt général (ce qui suppose que lassociation présente un caractère non lucratif, philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique ou à la défense de lenvironnement naturel, quelle ait une gestion désintéressée (direction bénévole) et quelle ne fonctionne pas au profit dun cercle restreint de personnes : cest à ces conditions que ladministration fiscale peut accepter que les dons et les cotisations dadhésion versés par les particuliers à lassociation ouvrent droit à un avantage fiscal sous forme de réduction dimpôt) ;

 des associations reconnues dutilité sociale (ce qui, aux yeux de ladministration fiscale, suppose que lactivité de lassociation tend à satisfaire un besoin qui nest pas du tout ou suffisamment pris en compte par le marché et que les actes payants réalisés par lassociation le soient principalement au profit de personnes justifiant loctroi davantages particuliers au vu de leur situation économique et sociale : chômeurs, personnes en situation de handicap… : cest à ces conditions que ladministration fiscale accepte que, bien quexerçant une activité de prestation de services ou de vente de biens contre rémunération, sans aucune limitation de chiffre daffaires, lassociation conserve un statut dorganisme à but non lucratif lui permettant d’échapper aux impôts commerciaux).

Tel est le sens de cette proposition de loi.

proposition de loi ORGANIQUE

Article 1er

Le troisième alinéa de larticle L.O. 142 du code électoral est ainsi rédigé :

« 1° Les enseignants‑chercheurs appartenant à lenseignement supérieur et les enseignants recrutés dans le cadre de contrats de droit public au sein d’établissements denseignement supérieur ; »

Article 2

Larticle L.O. 145 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« IV – Le I nest pas applicable aux fonctions de président, vice‑président ou membre du conseil de surveillance dun établissement public de santé au sens de larticle L. 6141‑1 du code de la santé publique. »

Article 3

Larticle L.O. 146 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ne constituent pas des sociétés, entreprises, établissements ou organismes au sens du présent article les associations reconnues dutilité publique, dintérêt général ou dutilité sociale ainsi que les associations dont la mission est reconnue dutilité publique. »