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N° 921

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mars 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à la création d’un centre hospitalier universitaire en Corse,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

PaulAndré COLOMBANI, Jean-Félix ACQUAVIVA, Xavier ALBERTINI, Christine ARRIGHI, Joël AVIRAGNET, Nathalie BASSIRE, Béatrice BELLAMY, Manuel BOMPARD, Guy BRICOUT, JeanLouis BRICOUT, Moetai BROTHERSON, Agnès CAREL, Steve CHAILLOUX, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, JeanFrançois COULOMME, Hendrik DAVI, Charles de COURSON, Béatrice DESCAMPS, Martine ETIENNE, Olivier FALORNI, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Perceval GAILLARD, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Sébastien JUMEL, Philippe JUVIN, Mansour KAMARDINE, Andy KERBRAT, Brigitte KLINKERT, Mohamed LAQHILA, Élise LEBOUCHER, Jean-Paul LECOQ, Tematai LE GAYIC, Didier LEMAIRE, Stéphane LENORMAND, Frédéric MAILLOT, Laurent MARCANGELI, Élisa MARTIN, Max MATHIASIN, Frédéric MATHIEU, Paul MOLAC, Yannick MONNET, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Christophe NAEGELEN, Hubert OTT, Bertrand PANCHER, Laurent PANIFOUS, Christophe PLASSARD, Philippe PRADAL, Richard RAMOS, JeanHugues RATENON, Nicolas RAY, Davy RIMANE, Fabien ROUSSEL, Benjamin SAINTHUILE, Aurélien SAINTOUL, Isabelle SANTIAGO, Mikaele SEO, Olivier SERVA, Ersilia SOUDAIS, David TAUPIAC, Matthias TAVEL, David VALENCE, Jiovanny WILLIAM, Estelle YOUSSOUFFA,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La santé est un droit fondamental consacré par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Son accès doit être garanti à tous sur l’ensemble du territoire.

Les effets de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid‑19 en Corse, ainsi que la situation déjà largement dégradée du système de santé insulaire, ont pourtant mis en lumière un certain nombre de ses faiblesses structurelles, auxquelles il convient de porter remède tout en contribuant au développement économique, culturel et scientifique de l’île.

La Corse souffre en effet d’un manque manifeste de médecins sur l’ensemble de son territoire, avec une densité médicale de 258,8 médecins en activité régulière pour 100 000 habitants, permettant ainsi de qualifier l’île de désert médical. Il s’agit surtout de la seule région à n’être dotée d’aucun Centre hospitalier régional (CHR), ni d’aucun Centre hospitalier régional universitaire (CHRU).

La création des CHRU a pourtant été consacrée dès le 30 décembre 1958, par voie d’ordonnance. L’article premier de ladite ordonnance dispose à cet effet que « dans les villes sièges de facultés de médecine, de facultés mixtes de médecine et de pharmacie ou d’écoles nationales de médecine et de pharmacie, les facultés ou écoles et les centres hospitaliers organisent conjointement l’ensemble de leurs services en centres de soins, d’enseignement et de recherche, conformément aux dispositions de la présente ordonnance. Ces centres prennent le nom de centres hospitaliers et universitaires ».

Cette ordonnance a impulsé la création de très nombreux CHRU à partir des années 60, partout en France, et cela aussi bien en métropole que dans des territoires ultramarins comme la Guadeloupe et la Martinique. Cependant, il faut attendre les années 2000 afin que cette dynamique touche d’autres territoires ultramarins, à l’image de la Réunion ‒ qui a obtenu un CHRU en 2012 ‒, ou de la Guyane où un projet est actuellement en cours afin d’y implanter un CHRU à horizon 2025.

Aujourd’hui, ce sont donc 33 CHRU qui sont répartis sur l’ensemble du territoire national et implantés dans différents chefs‑lieux de régions ou métropoles dont ils portent le nom : Amiens, Angers, Besançon, Bordeaux, Brest, Caen, Clermont‑Ferrand, Dijon, Fort‑de‑France, Grenoble, La Réunion, Lille, Limoges, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Nîmes, Paris, Pointe‑à‑Pitre, Poitiers, Reims, Rennes, Rouen, Saint‑Etienne, Strasbourg, Toulouse, Tours. Ces hôpitaux sont liés par convention aux universités que compte leur région.

À ce jour, la Corse constitue donc une exception, et la ville d’Ajaccio est le seul chef‑lieu de région dans le pays entier, DOM compris, où il n’existe pas de CHRU.

Cette spécificité sanitaire de la Corse qu’implique une telle exclusion du maillage territorial d’établissements publics de santé de ressort régional est le marqueur d’une véritable rupture du principe d’égalité. Elle constitue un frein indéniable à l’attractivité médicale de l’île, qui risque d’aggraver la dégradation de sa démographie médicale ainsi que de la qualité des soins auxquels ont accès les Corses.

Rappelons qu’actuellement, la Corse compte un total de 1949 « lits » et un ratio de seulement 18 lits de réanimation pour 100 000 habitants, ce qui en fait la région de métropole la moins dotée en lits de réanimation et donc la plus sensible à un risque de saturation de ses capacités de soins. Ce manque de moyens s’est fait fortement ressentir lors de la pandémie, accentuant les failles de notre système de santé à l’échelle nationale, mais surtout à l’échelle locale.

Cela est d’autant plus problématique que, chaque année, l’île est visitée par plus de 3 millions de personnes sur une période concentrée de mai à septembre. Cette fréquentation touristique est vectrice d’agents pathogènes extérieurs et d’une augmentation du nombre d’accidents (de la circulation, liés à la pratique d’activités sportives et aquatiques, etc.). Cette situation induit une augmentation conséquente de la demande de soins globale, conduisant à l’encombrement des services de santé.

L’impact de l’injustice historique que représente l’absence de structures hospitalières adaptées s’accentue à mesure de l’évolution démographique favorable de la Corse (+12 % en 10 ans) et du vieillissement progressif de sa population qui comptera potentiellement 21 000 séniors dépendants à l’horizon de 2030.

Les conséquences d’une telle situation sont lourdes sur le plan humain, social et financier pour la population, trop souvent contrainte de se rendre sur le continent pour bénéficier de soins. 26 000 déplacements sont ainsi enregistrés chaque année entre la Corse et le continent ; chaque famille est concernée mais le financement des transports en avion et bateau représente seulement 18 % des frais de transports remboursés par les Caisses (2 % pour les mineurs).

L’accès à la santé est d’autant plus un enjeu de justice sociale que le taux de pauvreté dans l’île culmine à 16,1 % en Corse du Sud et à 20,6 % en Haute Corse, tandis que celui du renoncement aux soins y est particulièrement préoccupant.

Ces diverses observations amènent à conclure que l’accès à la santé est déficient en Corse.

Au‑delà de la réparation d’une situation d’injustice, la légitimé de la création dans les prochaines années d’un CHRU en Corse repose également sur le fait qu’elle possède une population pondérée de 600 000 habitants par an, ce qui en termes d’échelle la rend éligible à accueillir un CHRU, comparativement aux autres territoires insulaires qui en sont déjà dotés.

Face à ce constat, la création d’un CHRU en Corse est une demande constamment formulée, tant par les acteurs de santé de l’île que par les élus locaux. En témoignent les délibérations, notamment n° 18/280 AC, n° 20/124 AC et N° 21/079 AC, de l’Assemblée de Corse, en date respectivement du 27 juillet 2018, 31 juillet 2020 et 29 avril 2021, qui s’inscrivent dans une trajectoire de création d’un CHR et d’un CHRU multi‑sites en Corse, et ce afin de solutionner les carences récurrentes du système de santé régional en matière d’offre et d’équipements hospitaliers, qu’elle dénonce depuis des années.

Les deux objectifs fondamentaux qui sous‑tendent cette demande sont, d’une part, une amélioration de l’accès aux soins pour la majorité des services de médecine et de spécialités, conformément au principe d’égal accès aux soins pour tous, non‑appliqué aujourd’hui, et, d’autre part, l’essor croissant de l’enseignement et de la recherche, à travers le développement de services hospitalo‑universitaires.

Les particularités de la Corse conduisent à se prononcer en faveur d’un portage juridique innovant, où une seule entité́, dotée d’une personnalité́ juridique, fédèrera l’ensemble des établissements hospitaliers en y associant le secteur privé qui représente plus de 50 % de l’activité́ hospitalière insulaire, dans la mesure où celui‑ci participe largement à la masse hospitalière significative qui légitime pour partie la création d’un CHRU.

Il est indéniable que la création d’un CHRU en Corse permettrait dès lors de fédérer et de conforter ses moyens hospitaliers. Par la nature de ses missions, un CHRU améliore l’offre de soins sur le territoire où il est implanté́ grâce, notamment, à un plateau technique performant et au fait qu’il concentre autour du soin, de l’enseignement et de la recherche, des praticiens de haut niveau dans une unité́ de lieu, de temps et d’action. Renforcer et structurer les dispositifs d’accès et de recours aux soins hospitaliers, c’est aussi renforcer l’accès de proximité à un système de santé gradué et de qualité.

Le CHRU est également un atout d’attractivité pour les personnels de santé, puisque les plans de carrière y sont plus avantageux. Il permettrait d’offrir à la jeunesse insulaire des formations complètes et des perspectives d’emploi dans le domaine de la santé, tout en développant au sein de l’Università di Corsica Pasquale Paoli, l’institut universitaire de santé en un nouveau pôle d’enseignement et de recherche fondé sur les spécificités et potentialités insulaires.

Cette implantation permettrait assurément de lutter plus efficacement contre la désertification médicale, puisque 60 % des internes exerçant en milieu libéral décident de s’installer là où ils ont été formés. La formation de nouveaux professionnels de santé sur le territoire augmentera donc mécaniquement le nombre de professionnels qui exercent dans l’île, tout comme le développement de pôles d’excellence sera un atout majeur pour faciliter le retour de Corses de la diaspora qui exercent actuellement dans d’autres territoires, faute d’existence de filières leur offrant l’opportunité de pratiquer leur spécialité.

Au demeurant, c’est également un outil vertueux au plan budgétaire, puisqu’il limiterait le recours à l’embauche d’intérimaires, procédé particulièrement coûteux qui nuit fortement à l’équilibre budgétaire des hôpitaux insulaires existants.

Un autre aspect important à souligner est l’intérêt de la création future de filières adaptées aux besoins de santé de la population, comme par exemple une filière cancérologie dans un territoire fortement touché par cette pathologique, qui pourra s’accompagner d’une mise en œuvre plus efficace de campagnes de prévention ‑notamment de détection de cancer chez la femme‑, et plus généralement de politiques de santé publique.

Ainsi, la création d’un CHRU en Corse, apparaît comme une réponse pertinente et efficiente aux difficultés d’accès aux soins que connaît actuellement la Corse, réponse qui impulsera une nouvelle dynamique économique dans la région, avec la création de nombreux emplois qui sont une perspective d’avenir pour la jeunesse corse.

Créer un CHRU en Corse, c’est corriger une inégalité flagrante d’accès à un droit ; c’est aussi garantir à la population l’accès à un bien fondamental : la santé.

L’article 1er vise à consacrer une obligation légale de faire de chaque chef‑lieu de région le siège d’au moins un Centre Hospitalier Régional Universitaire.

En effet, les articles L. 6141‑1 et suivants du code de la santé publique ne posent aucune obligation légale d’implanter un Centre Hospitalier Régional dans chaque région, ces établissements étant créés par décret lorsque leur ressort est national, interrégional ou régional (art. L. 6141‑1 alinéa 2).

La création d’un CHR est l’étape indispensable à la création d’un CHRU, étant donné que ces derniers sont des CHR ayant passé une convention au titre du chapitre II du titre IV du code de la santé public avec une université comportant une ou plusieurs unités de formation et de recherche médicales, pharmaceutiques ou odontologiques, comme le dispose l’article L. 6141‑2 du même code.

De cette absence d’obligation découle une inégalité de fait : il existe au moins un CHR dans toutes les régions de France, à l’exception de la Corse qui n’en compte aucun, et il existe au moins un CHRU au sein de chaque chef‑lieu de région, à l’exception d’Ajaccio qui n’en compte aucun.

Afin de corriger cette situation défavorable à une partie de la population, cet article propose donc de se conformer au principe d’égalité d’accès aux soins en corrigeant cette situation sanitaire d’exception que connaît la Corse, à travers la création d’un CHR, puis d’un CHRU.

L’article 2 quant à lui vise à établir un objectif dans le temps, à travers un calendrier encadrant la mise en place progressive d’un CHR puis d’un CHRU au sein du chef‑lieu de la Collectivité de Corse, de par la conclusion d’une convention avec Università di Corsica Pasquale Paoli, dans les termes de l’article L. 6141‑2 alinéa 2 du code de la santé publique.

Dans ce sens, les autorités universitaires de Corte ont donné leur plein accord, le 31 juillet 2020, à l’Assemblée de Corse, pour créer un premier cycle complet d’études de médecine, création pour laquelle aucun obstacle majeur n’existe, d’ordre juridique ou d’ordre institutionnel.

Aussi, cet article fixe la date de création de cette entité à l’horizon du 1er janvier 2027, prévoyant ainsi une échéance cohérente qui permettra de préparer la définition d’une feuille de route visant à concrétiser dans des délais raisonnables l’ambition de porter au plus haut niveau possible l’offre de soins hospitaliers à laquelle la population insulaire a droit.

 

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 6141‑2 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Chaque chef‑lieu de région est le siège d’un centre hospitalier universitaire. »

Article 2

I. – L’article premier entre en application à compter du 1er janvier 2027.

II. – Un décret détermine les modalités d’application de la présente proposition de loi. Il établit le calendrier de la mise en place progressive d’un centre hospitalier régional puis d’un centre hospitalier universitaire au sein du chef‑lieu de la Collectivité de Corse.

Article 3

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.