Description : LOGO

N° 991

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mars 2023.

PROPOSITION DE LOI

portant abrogation de l’obligation vaccinale contre la covid19
dans les secteurs médicaux, paramédicaux et d’aide à la personne
et visant à la réintégration des professionnels et étudiants suspendus,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanVictor CASTOR, Davy RIMANE, Christian BAPTISTE, Moetai BROTHERSON, Elie CALIFER, Steve CHAILLOUX, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Elsa FAUCILLON, Caroline FIAT, Sébastien JUMEL, Emeline K/BIDI, Karine LEBON, JeanPaul LECOQ, Tematai LE GAYIC, Frédéric MAILLOT, Yannick MONNET, Marcellin NADEAU, Philippe NAILLET, JeanPhilippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Nicolas SANSU, Olivier SERVA, Jiovanny WILLIAM, JeanHugues RATENON, Max MATHIASIN,

Député‑e‑s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis le 15 septembre 2021, les professionnels des secteurs médicaux, paramédicaux et d’aide à la personne, qui ne souhaitaient pas se faire vacciner contre la covid‑19, sont suspendus de leurs fonctions sur le fondement de la loi n° 2021‑1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

Plus de deux ans après le début de cette mesure, une certaine opacité demeure autour du nombre réel de personnes concernées ([1]). En effet, si le gouvernement avance que « seuls » 0,6 % des soignants seraient suspendus, une juste appréciation des effets de la loi du 5 août 2021 nécessite de comptabiliser toutes les catégories de professionnels concernés.

Or, les chiffres communiqués par le gouvernement ne prennent pas en compte :

– les professionnels libéraux ;

– les professions paramédicales ;

– les étudiants ;

– les agents administratifs et techniques pas forcément au contact des patients, mais suspendus car personnels d’établissements de santé ;

– les professionnels en arrêts maladie ;

– les professionnels exilés partis exercer dans d’autres pays ;

– les professionnels partis en retraites anticipées ;

– les professionnels ayant opté pour la démission ou une reconversion.

Si donc les conséquences des suspensions induites par la loi du 5 août 2021 ne peuvent être résumées en chiffres ou en pourcentages précis, elles doivent être évaluées sur leurs effets concrets dans la société.

Ainsi, dans un système de santé français vacillant, où chaque force vive est indispensable et difficilement remplaçable, combien de fermetures de lits, de services, de déprogrammations d’interventions, d’annulations de consultations sont la conséquence directe de ces suspensions ? Combien de professionnels en souffrance, exténués suppliant pour des renforts pourtant existants mais interdits d’exercer ? La suspension de professionnels de tous âges, de toutes catégories sociales a fracturé durablement la société française.

En Guadeloupe, Martinique et Guyane, les effets sont encore plus dévastateurs. Dans ces territoires où tout manque, où le système de santé n’est plus seulement vacillant, mais totalement défaillant, où le lien de confiance avec les pouvoirs publics est plus que ténu, l’application implacable de l’obligation vaccinale, au mépris des réalités de ces territoires augmente chaque jour un peu plus le ressentiment des populations ([2]).

En outre‑mer comme partout en France, la suspension des professionnels est une mesure de plus en plus insoutenable sur le plan sanitaire et social, génératrice de nombreuses incohérences (I). Ces dernières sont d’autant plus flagrantes que le maintien de l’obligation vaccinale pour les soignants n’est plus scientifiquement justifiable (II), comme en témoigne le Projet de recommandation de la Haute Autorité de Santé (HAS) quant aux Obligations et recommandations vaccinales des professionnels en date du 16 février 2023 qui dispose : « Dans le contexte actuel, l’obligation vaccinale contre la covid19 pourrait être levée pour tous les professionnels visés par la loi du 5 août 2021. »

Face à une loi à l’application désormais incohérente et injuste, il en est de la responsabilité politique de la représentation nationale de faire preuve de pragmatisme et dans l’intérêt général d’abroger le dispositif (III).

I.  La suspension des professionnels est une mesure à l’application incohérente, insoutenable sur le plan sanitaire et social

Dans le difficile mais néanmoins nécessaire équilibre entre l’intérêt général et les libertés individuelles, l’obligation vaccinale s’est imposée au droit à un consentement libre et éclairé ([3]) exprimé par certains professionnels de santé. Pour autant, la mesure de suspension sine die sans salaire ou indemnité versé aux travailleurs est une situation juridique inédite qui va à l’encontre des règles fondamentales du droit social français.

Outre la condamnation sans procès à une inexorable mort sociale imposée à des milliers de Français, les dispositions de la loi du 5 août 2021 mettent en péril un système de santé déjà fragile.

Ainsi, plusieurs services d’urgences ont été fermés faute de personnels ([4])et la pénurie touche tous les secteurs de la santé. À l’AP‑HP, près de 2 000 postes d’infirmières sont vacants et 20 à 30 % des blocs opératoires sont fermés faute de personnel. Au Nouvel Hôpital Civil (NHC) de Strasbourg, environ 300 lits seraient ainsi fermés pour manque de soignants, dont la moitié des lits d’hospitalisation d’urgence.

Dans le secteur médico‑social, qui ne comprend pas que les activités de nursing (soins corporels) et de soins médicaux, mais qui inclut également la prise en charge relationnelle du patient et du résidant, le manque d’effectif aggravé par l’absence du personnel suspendu, vient mettre à mal un système d’ores et déjà précaire dont les usagers font directement les frais.

En outre‑mer où la pénurie de professionnels médicaux est chronique, la suspension de médecins, infirmiers, sages‑femmes, kinésithérapeutes, orthophonistes, orthoptistes, psychologues… a pour conséquence directe une rupture de soins pour des populations déjà frappées par une surmortalité adulte et néonatale ([5]). Pour ces territoires qui cumulent les situations sanitaires exceptionnelles et désastreuses, les pompiers et les soignants sont les derniers remparts à un effondrement sanitaire qui conduira indubitablement à une crise économique et sociétale grave ([6]).

Dans ce contexte, est‑ce réellement opportun de continuer à se priver d’un vivier de professionnels formés et immédiatement disponibles ? D’autant que la profonde désorganisation des services médicaux et para‑médicaux créée par l’éviction de ces professionnels a abouti à bon nombre d’incohérences où certains, vaccinés mais contaminés par la covid, sont maintenus en fonction alors que d’autres non malades et prêts à travailler demeurent suspendus.

Incohérence toujours quand, pour faire face à la pénurie, des professionnels étrangers non soumis à l’obligation vaccinale (et donc parfois non vaccinés) sont appelés en renfort pour remplacer des professionnels de santé français suspendus pour cause de non‑vaccination.

Incohérence encore quand en outre‑mer, plus vastes déserts médicaux de France, la réponse proposée aux personnels suspendus est un « plan de départ exceptionnel », où à défaut d’une gestion pragmatique de la situation, l’État préfère aggraver le marasme sanitaire de territoires déjà exsangues ([7]).

Incohérence enfin quand, en dépit de l’interdiction, des établissements de santé tolèrent des personnels non vaccinés ou au schéma vaccinal incomplet ([8]). Des embauches illégales certes mais pas illégitimes et pour cause, comment peut‑il en être autrement quand il manque du personnel et que les professionnels sont à bout de souffle ?

Malheureusement, les effets de l’obligation vaccinale s’annoncent également dévastateurs sur le long terme puisque si l’embrassement des professions de soin est généralement le fruit de véritables vocations personnelles, de nombreux jeunes qui se destinaient à ces carrières n’ont pu poursuivre leurs cursus de formation. La France s’est ainsi privée de professionnels en devenir dans des secteurs déjà dépourvus de ressources humaines.

Déjà, dans le secteur médico‑social, le manque de personnel conduit les directions d’établissements privés à se tourner vers des salariés moins diplômés et de fait, moins formés afin d’assurer la continuité de la prise en soins :

– Des auxiliaires de vie pour remplacer des aides médico‑psychologiques,

– Des agents de soin pour remplacer des aides‑soignants,

– Des étudiants en soins infirmiers pour remplacer les aides‑soignants et pour accomplir certaines fonctions d’infirmier.

En Guyane les formations de puéricultures sont vidées de leurs candidats depuis deux ans du fait de l’obligation vaccinale. Dans un territoire à la croissance démographique exponentielle, la baisse drastique des taux de remplissage des formations de santé a déjà un effet dramatique.

En définitive, le maintien de la suspension de professionnels du soin dans le contexte sanitaire que connaît la France, est constitutif d’une double mise en danger puisqu’elle concerne tant les patients, privés de soin faute de ressource humaine, que les professionnels surchargés.

Le système de santé français ne peut se permettre de se passer indéfiniment de milliers de professionnels formés, compétents et immédiatement mobilisables, et ce d’autant plus que si au plus fort de la pandémie l’intérêt général pouvait pencher vers une application stricte de l’obligation vaccinale, ce n’est clairement plus le cas.

II.  L’obligation vaccinale pour les soignants n’est plus scientifiquement justifiée

Aujourd’hui, si la situation épidémique demeure sous la vigilance des autorités sanitaires, elle s’est significativement améliorée. La fin du passe vaccinal et du port obligatoire du masque dans les transports publics en sont la preuve. Dans ce contexte « l’obligation vaccinale contre la covid19 pourrait être levée pour tous les professionnels visés par la loi du 5 août 2021. » ([9])

Ainsi, dans ses recommandations sur la stratégie de vaccination contre la covid‑19 en date du 23 février 2023 la HAS indique encore que :

– La protection contre l’infection et/ou les formes symptomatiques s’érode significativement au bout de quelques semaines, quel que soit l’âge des personnes ;

– La protection contre les formes graves se maintient à un niveau élevé pendant au moins trois mois et diminue de façon progressive ensuite, sans qu’il ne soit possible sur la base des données actuellement disponibles, d’estimer la protection résiduelle audelà de 6 mois (la durée de suivi des études étant limitée).

En d’autres termes au‑delà de 6 mois après la vaccination, la protection immunitaire entre un soignant vacciné et un soignant suspendu car non vacciné serait infime voire inexistante (a fortiori si le soignant non vacciné a été préalablement contaminé, comme ce fut le cas pour la majorité des Français).

Enfin, la faible couverture vaccinale relative aux doses de rappels confère encore davantage d’incohérences au système puisque des professionnels au schéma vaccinal désormais incomplet sont tout de même (et fort heureusement) autorisés d’exercer, ce qui constitue néanmoins une rupture d’égalité patente entre des professionnels de santé aux profils immunitaires in fine similaires.

Dès lors si en l’état des connaissances actuelles, l’obligation vaccinale n’est plus scientifiquement justifiée, la question de la réintégration des professionnels suspendus ne peut être qu’éminemment politique.

III.  De la responsabilité d’une décision politique

Le maintien de la suspension de professionnels soignants est un choix politique qui n’est ni pragmatique, ni responsable.

Compte tenu des pénuries préoccupantes touchant les personnels des professions du soin d’une part et de l’avancée des études scientifiques sur l’immunité conférée par la vaccination contre la covid‑19 d’autre part, la réintégration de ce personnel est désormais d’intérêt général. L’accès aux soins est une priorité de santé publique que les responsables politiques doivent aborder avec lucidité et pragmatisme.

Dans cette optique la présente proposition de loi entend, en son article 1er, abroger les dispositions de la loi n° 2021‑1040 du 5 août 2021 relatives à l’obligation vaccinale et ainsi permettre aux professionnels et étudiants suspendus car non vaccinés de reprendre leur activité.

L’article 2 permet aux personnels des établissements publics suspendus de conserver l’état d’avancement qui était le leur au moment de leur suspension.

L’article 3 permet de gager les dépenses qui découlent des articles 1 et 2, gage que nous appelons le gouvernement à lever.


proposition de loi

Article 1er

Le chapitre II de la loi n° 2021‑1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire est abrogé.

Article 2

Les agents du service public mentionnés au I de l’article 12 de la loi n° 2021‑1040 du 5 août 2021 précitée conservent l’état d’avancement qu’ils possédaient avant leur suspension.

Article 3

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


([1]) Voir en ce sens la question écrite n° 02933 de la sénatrice Sylviane Noël au Ministère de la santé et de la prévention, restée sans réponse

https://www.senat.fr/basile/visio.do?id=qSEQ220902933&idtable

([2]) Le rapport réalisé par l’IGAS en février 2021 sur le renforcement de l’offre de soins en Guyane relève : « Le territoire est caractérisé par un état de précarité marqué d’une grande partie de la population » et dans ce contexte « Une offre de soins insuffisante et fragile ».

([3]) Code de la Santé Publique article R. 4127-35 et L. 1111-4 et Loi Kouchner 2002-303 du 4 mars 2002.

([4]) Le syndicat Samu – Urgences de France décomptait 42 établissements ayant fermé la nuit, et 23 le jour sur la base d’une enquête qui ne ciblait que la moitié des services d’urgence.

([5]) La Guadeloupe est le 2nd territoire le plus touché par les maladies cardiovasculaires. En Guyane, la mortalité infantile est trois fois plus élevée que sur le reste du territoire.

([6]) Selon le guide des situations sanitaires exceptionnelles réédité par le ministère de la santé en 2019, la Guadeloupe répond à plus de la moitié des critères qui déclenchent une situation sanitaire exceptionnelle (incendie, événements climatiques, rupture d’approvisionnement d’eau potable, pénurie de médicaments ou de fluides vitaux, coronavirus, épidémies saisonnières…).

([7]) En Guyane il n’y a que 150 médecins de ville (généralistes) pour 300 000 habitants. La moitié d’entre eux sera à la retraite dans les 5 ans.

([8]) Les travaux du chercheur au CNRS Frédéric Pierru ont montré que des centaines de soignants n’avaient pas de schéma de vaccination à jour dans un hôpital de l’est de la France.

([9]) Projet de recommandation de la Haute Autorité de Santé (HAS) quant aux Obligations et recommandations vaccinales des professionnels en date du 16 février 2023