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N° 1044
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 avril 2023.
PROPOSITION DE LOI
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Sébastien ROME, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean‑Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Jean‑Hugues RATENON, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le droit constitutionnel de faire grève est garanti par le septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Ce droit est proclamé par le Conseil d’État comme « un principe fondamental de notre temps ».
Au moment où notre pays traverse l’une des plus importantes mobilisations sociales de ces dernières décennies, la réaffirmation du droit de grève en tant que pierre angulaire de notre démocratie sociale doit être remise à l’ordre du jour.
Aussi, à l’heure où certains veulent le limiter, l’encadrer voire le supprimer, nous entendons affirmer par cette proposition de loi que le droit de grève doit demeurer plein et entier, sans aucune restriction.
Arraché par des grèves illégales et parfois violentes au XIXe siècle, il demeure l’outil de pression ultime dont disposent les travailleuses et travailleurs pour revendiquer des droits sociaux ou préserver des conquis sociaux.
Si son caractère fondamental ne saurait être dénié, son exercice dans notre droit positif n’est pas absolu.
Ainsi, c’est au nom du « principe de continuité du service public » que la loi n° 2008‑790 du 20 août 2008 crée un droit d’accueil au profit des élèves des écoles maternelles et élémentaires qui, en cas de grève, implique l’obligation pour les grévistes de notifier leur intention de participer à la grève 48 heures à l’avance.
Quinze ans après sa mise en place, nous possédons suffisamment de retours d’expérience pour juger de l’efficacité du dispositif, dont l’objectif est de faciliter l’organisation parentale en cas d’absence des enseignants. Cependant, très peu de rapports ont été publiés sur ce sujet. Le rapport n° 12‑115 / 12‑086 / 01 remis au ministère de l’Intérieur à de l’Éducation nationale sur la mise en place du service minimum d’accueil révèle que les constats faits en 2012 sont aujourd’hui plus criants encore, et soulignent de nombreuses difficultés pratiques qui dégradent fortement le dialogue entre les écoles, les municipalités et les parents d’élèves. Ainsi, le rapport pointe que « l’insatisfaction qu’elle génère à la fois en administration centrale et dans les organisations syndicales doit être interprétée comme un signal d’alerte. »
Onze ans après nous proposons d’enfin à répondre à cette alerte.
Nous constatons tout d’abord une très grande disparité d’application sur le territoire, tant dans la procédure de déclaration d’intention de grève que dans l’accueil des enfants ou l’information des parents.
« Si un nombre élevé de communes met donc en place un dispositif d’accueil, les modalités pratiques sont extrêmement différentes sur l’ensemble du territoire, en termes notamment de lieu d’accueil, de qualification des encadrants, de taux d’encadrement et d’activités proposées. Cette disparité des situations reflète l’hétérogénéité à la fois de la demande sociale et du volontarisme des municipalités » indique le rapport de 2012.
Cette disparité n’a jamais fait l’objet de réponses de la part de l’État à la hauteur des besoins. Ainsi, de nombreuses communes ou établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), notamment ruraux, ne mettent pas en œuvre le service minimum, ou le mettent en œuvre avec des dispositions discriminatoires variant d’une commune à l’autre (deux parents travaillant, types d’emplois, personnes au chômage…). Les raisons sont parfois d’ordre budgétaire, parfois d’ordre organisationnel (pas de personnel qualifié), parfois pour des raisons politiques (désaccord du maire avec la mise en place d’un outil destiné à « casser » la grève).
Plus grave, la mise en place dans l’urgence du service minimum d’accueil (SMA) se fait parfois sans aucune vérification du fichier FIJAIS, par exemple lorsque des vacataires ou des élus assurent eux‑mêmes le service minimum d’accueil. Pourtant la loi précise que « le maire établit une liste des personnes susceptibles d’assurer le service d’accueil prévu à l’article L. 133‑4 en veillant à ce qu’elles possèdent les qualités nécessaires pour accueillir et encadrer des enfants. ». Plus fréquemment, « les mairies préfèrent souvent fermer des écoles plutôt que de prendre le risque de confier les enfants à n’importe qui » explique Marie Mennella, secrétaire nationale d’Interco‑CFDT dans un article paru dans la Gazette des Communes le 8 mars 2022.
C’est notamment manifeste lors des grèves interprofessionnelles telles que nous les connaissons actuellement contre la réforme des retraites, ou celles passées afin de défendre le pouvoir d’achat, où le personnel municipal est lui‑même en grève. Le maire est dans ce cas dans l’incapacité de mettre en place un accueil.
Tous les efforts fournis par l’ensemble des services de l’Éducation nationale et des collectivités voient le résultat de leur travail se résumer à l’accueil de cinq ou six enfants, parfois un seul, ce qui pose là encore des questions de responsabilité.
Du côté enseignant, la disparité est là aussi très grande dans l’application des déclarations d’intention de grève. Dans le Gard, une plateforme numérique a été mise en place alors que dans les Pyrénées‑Orientales, un simple mail de déclaration suffit. En revanche, dans l’Hérault, un formulaire à imprimer, à remplir et à signer est nécessaire
Dans ces trois départements d’une même académie, trois procédures qui n’impliquent pas le même accès au droit de grève et contribuent à des charges administratives différentes pour les enseignants, les directrices et les directeurs d’école, les inspections de l’Éducation nationale, les mairies. Le délai de 48 heures est lui‑même source de nombreuses confusions : envoyé un lundi soir à 23h59, une déclaration d’intention de grève doit être traitée le mardi, ce qui implique souvent une information auprès de la commune qui ne permet pas une correcte information des parents d’élèves, d’autant plus quand le mercredi n’est plus travaillé par les élèves. La commune découvre le jeudi matin si les enseignants sont grévistes ou pas (la déclaration d’intention n’implique pas la grève et le retrait de salaire, une autre déclaration devant être faite) et combien d’enfants sont présents.
À ces différences territoriales, s’ajoutent les différences de traitement entre professeurs du premier degré et du second degré. Ces derniers ne sont pas soumis à la déclaration d’intention, ce qui permet tout autant de garantir le droit de grève et l’information des familles. Alors même que les inégalités salariales persistent entre ces professeurs ayant un même statut, il est urgent de rétablir l’égalité en alignant le premier degré sur le second degré.
Notons qu’avant 2008, de nombreuses communes avaient mis en place un service d’accueil sans avoir besoin des déclarations des enseignants. Les communes étaient alors souvent informées, bien avant 48 heures, des intentions de faire grève. Encore aujourd’hui, dans le département du Tarn‑et‑Garonne où très peu de déclarations d’intention de grève sont envoyées, ou au contraire dans les Alpes‑de‑Haute‑Provence où elles sont envoyées massivement conformément aux consignes syndicales, le SMA est pourtant organisé par les collectivités.
Le système actuel très lourd, très centralisé, a cassé la tradition de confiance qui existait jusqu’en 2008 entre école, parents et municipalité. Les enseignants remplissant leur obligation légale de déclaration d’intention, ne sont pas tenus d’informer les parents ni la municipalité qu’ils seront grévistes. Le dialogue est rompu, les incompréhensions montent. Les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale font pression sur les inspections pour avoir au plus vite les taux de grévistes ; les parents demandent un accueil de qualité et à être informés au plus vite ; les enseignants souhaitent être respectés dans leur choix d’être gréviste. Cette simplification administrative redonnera donc plus de liberté et d’efficacité aux acteurs en se fondant sur les principes d’une école de la confiance, afin de s’adapter au mieux aux besoins de chaque territoire.
Bien que le SMA ne soit pas seul en cause, ce système contribue aussi à dégrader le moral des directrices et des directeurs d’école qui assument cette interface entre tous les interlocuteurs. Dans l’Hérault, des parents n’ont pas hésité à porter plainte contre un directeur d’école arguant d’une mauvaise organisation de la continuité du service d’éducation alors même que ce dernier n’avait aucun levier pour y répondre. L’étude Le moral des directeurs d’école en 2018 de Georges Fotinos indique que 66 % de ces personnels déclarent un moral moyen ou mauvais, 88 % un manque de reconnaissance sociale, 56 % l’augmentation des différends avec les parents, 52 % le manque d’autonomie, 52 % ont été insultés dans l’année (78 % par les parents), 23 % une présomption de burnout clinique…
Notre pays ne peut tolérer que sur le territoire des différences de traitement puissent exister entre enseignants dans leur droit d’accès à la grève, tout comme les parents d’élèves dans l’accès à la continuité du service public.
La présente loi se propose donc d’améliorer le dialogue dans la communauté éducative, avec comme fondement la confiance et les mesures incitatives, concourant à la liberté de choix de chaque partie prenante.
L’article 1er supprime toutes les dispositions impliquant une déclaration d’intention de grève par les enseignants du premier degré, 48 heures à l’avance, pour l’organisation du service minimum, afin de permettre aux enseignants de restaurer un dialogue de confiance avec les parents et les communes.
L’article 2 adapte le service minimum d’accueil en précisant qu’il peut être mis en place par les communes ou les établissements public de coopération intercommunale dès qu’un enseignant est absent, ce qui permet de lever tout risque juridique pour les communes.
L’article 3 gage la proposition de loi.
proposition de loi
La section 1 du chapitre III du titre III du livre Ier de la première partie du code de l’éducation est ainsi modifiée :
1° Les trois premiers alinéas de l’article L. 133‑4 sont supprimés ;
2° L’article L. 133‑5 est abrogé.
La section 1 du chapitre III du titre III du livre Ier de la première partie du code de l’éducation est ainsi modifiée :
1° L’article L. 133‑3 est ainsi modifié :
a) Le mot « bénéficient » est remplacé par les mots : « peuvent bénéficier » ;
b) Les mots « du quatrième alinéa » sont supprimés.
2° Le quatrième alinéa de l’article L. 133‑4, est ainsi rédigé :
« La commune peut mettre en place le service d’accueil à destination des élèves d’une école maternelle ou élémentaire publique située sur son territoire. »
3° À l’article L. 133‑6, les mots : « au quatrième alinéa de » sont remplacés par le mot « à ».
4° À l’article L. 133‑8, les mots : « au quatrième alinéa de » sont remplacés par le mot « à ».
5° Au dernier alinéa de l’article L. 133‑10, les mots : « du quatrième alinéa » sont supprimés.