Description : LOGO

N° 1130

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 avril 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer et élargir le droit à l’acompte sur salaire,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marc LE FUR, Xavier BRETON, Vincent DESCOEUR, PierreHenri DUMONT, Nicolas FORISSIER, Michel HERBILLON, Philippe JUVIN, Mansour KAMARDINE, Véronique LOUWAGIE, Alexandra MARTIN, Frédérique MEUNIER, Nicolas RAY, Vincent ROLLAND, Vincent SEITLINGER, Isabelle VALENTIN, Antoine VERMORELMARQUES, Alexandre VINCENDET, Stéphane VIRY,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

De nombreux débats ont mobilisé en 2022 la représentation nationale sur les questions relatives à la protection du pouvoir d’achat de nos concitoyens. Mais au‑delà des aides proposées aux personnes les plus précaires et malgré les efforts consentis par les employeurs (soit +3,1 % d’augmentation moyenne des salaires dans les TPE‑PME françaises au premier semestre 2022), le reste à vivre des salariés est particulièrement menacé par les évolutions brutales de l’inflation, établie à 6,2 % à octobre 2022 sur un an. La hausse des taux d’intérêt et l’envolée des prix de l’énergie, notamment, aggravent les inquiétudes des ménages qui doivent assumer des paiements de factures d’une ampleur imprévue jusqu’alors : carburant, gaz et électricité, abonnements aux transports publics, fournitures de rentrée scolaire, dépenses alimentaires. Ainsi, une proportion croissante de nos concitoyens, pourtant salariés, peine à « boucler les fins de mois » face à ces dépenses nouvelles.

La perte de « reste à vivre » est un cercle vicieux : face aux imprévus de la vie, le défaut provisoire de trésorerie dans le budget des ménages contraint nombre d’entre eux à avoir recours aux découverts bancaires, parfois au‑delà des plafonds autorisés dans les contrats qui les lient aux banques gestionnaires de leurs comptes courants. Ainsi, chaque année, ce sont sept milliards d’euros d’agios qui sont qui sont payés à la suite de découverts bancaires. Une partie importante de ces sept milliards d’euros de frais bancaires est ainsi soustraite au reste à vivre des ménages, sous la forme de coûts financiers additionnels venant s’ajouter aux difficultés liées au contexte inflationniste.

Pour replacer le sujet du reste à vivre de nos concitoyens au cœur des politiques salariales, il est urgent de faciliter la mise à disposition du revenu qui est dû au salarié lorsque ce dernier en fait la demande, en élargissant une mesure introduite par le législateur à l’article L. 3242‑1 du code du travail, précisant que si « le paiement de la rémunération est effectué une fois par mois », « un acompte correspondant, pour une quinzaine, à la moitié de la rémunération mensuelle, est versé au salarié qui en fait la demande ».

Le droit à l’acompte sur salaire a ainsi été consacré par le législateur au chapitre II (Mensualisation), Titre IV (Paiement du salaire) du Livre II (Salaires et avantages divers) du code du travail. Aujourd’hui limité au versement unique de la moitié de la rémunération mensuelle, ce droit doit devenir plus facilement accessible, et être étendu à une fréquence de versement fractionné plus importante, afin d’apporter des réponses au plus près des besoins de trésorerie des salariés. En s’appuyant sur les techniques numériques de gestion salariale, la barrière de l’application pratique de ce droit qui existait au moment du vote de ce progrès social ne constitue plus un frein.

En effet, et à titre d’exemple, de nombreuses entreprises ont déjà mis à la disposition de leurs salariés une application numérique leur permettant de demander leur acompte et de le recevoir en temps réel. Dans ce cas, un organisme tiers effectue le paiement de la part de salaire due, et régularise la situation avec l’employeur en fin de mois. Cette technologie est conforme au cadre juridique du Chapitre II du code du travail (mensualisation du salaire) tout en permettant le versement immédiat de la part du salaire dû, à la demande du salarié.

Dans ces entreprises, l’introduction de ce salaire à la demande constitue un réel progrès social. L’extension et l’élargissement de ce droit s’avère aujourd’hui techniquement possible et socialement souhaitable.

Les enquêtes d’opinion les plus récentes montrent que la possibilité de recourir à l’acompte sur salaire fait l’objet d’une adhésion massive des salariés. Il permet de mieux piloter son budget personnel et familial, de pouvoir amortir ses dépenses imprévues, d’éviter le recours au découvert bancaire et ainsi de préserver son reste à vivre.

Ainsi, selon une enquête du mois de novembre 2022 :

– 60 % des Français ont déjà été à découvert… très souvent (47 %) à cause d’un retard de paiement de salaire, poussant 38 % à renoncer à des courses alimentaires et 33 % à des soins médicaux ;

– 74 % ignorent le montant de leurs agios en cas de découvert bancaire ;

– en cas de dépassement de découvert avec des agios 57 % renonceraient à acheter une baguette, 58 % un plein d’essence et 84 % un abonnement TV ;

– 49 % des salariés français aimeraient recevoir leur salaire à la demande, et même 67 % des moins de 35 ans, et 54 % des personnes dont le foyer vit avec moins de 2 000 € par mois ;

– 53 % des Français affirment même que les entreprises devraient être obligées de proposer à leurs salariés la possibilité de recevoir leur salaire à la demande…

–…et 52 % affirment que l’État devrait avoir la même obligation vis‑à‑vis des fonctionnaires.

Actuellement, l’acompte sur salaire est contraint, voire freiné, par ses conditions d’application juridique. Le code du travail limite son recours à une fois par mois, par quinzaine à partir du 15 du mois. En parallèle, l’employeur n’a pas obligation de faire connaître ce droit à ses salariés. Ainsi, seuls 25 % des salariés français ont déjà effectué une demande d’acompte sur salaire. 37 % des salariés les moins aisés ayant fait une demande d’acompte sur salaire se la sont déjà vu refuser, ce qui est pourtant illégal.

Par ailleurs, ce droit à l’acompte salarial est limité aux entreprises de droit privé. Dans la fonction publique, l’acompte sur salaire ne peut être accordé qu’à la discrétion d’employeur public (État et fonction publique territoriale) et au cas par cas. Contrairement aux salariés de droit privé, la demande d’acompte d’un agent public doit être motivée. Le droit à l’acompte sur salaire devrait être facilité pour les agents de la fonction publique, qu’ils soient titulaires ou contractuels de droit public.

Enfin, alors qu’ils subissent les mêmes conditions inflationnistes que les salariés du secteur privé, de nombreux agents contractuels de la fonction publique perçoivent souvent le versement de leur salaire de façon aléatoire, voire avec plusieurs mois de retard, compte tenu des difficultés administratives de décaissement auxquelles l’État est trop souvent confronté. Le renforcement et l’élargissement du droit à l’acompte salarial pour les agents de droit public constituerait un progrès indéniable pour ces salariés.

Dans le contexte d’inflation et d’incertitude économique qui pèse sur les entreprises et les salariés, et face au risque de réduction du reste à vivre des ménages pour lesquels l’usage du découvert représente une solution coûteuse qui aggrave leur situation, le renforcement et l’élargissement du droit à l’acompte sur salaire représente une réelle solution pour nombre de nos concitoyens.

 


proposition de loi

Article unique

L’article L. 3242‑1 du code du travail est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« La rémunération des salariés est établie par défaut sur une base mensuelle. La base de rémunération peut être établie à l’initiative de l’employeur et sur accord écrit des deux parties, lors de la signature du contrat de travail ou par avenant au contrat, sur une base bimensuelle. L’employeur a obligation d’informer par écrit le salarié, en amont de la signature du contrat de travail, des dispositions légales exposées au présent article. » ;

2° La seconde phrase de l’avant‑dernier alinéa est remplacée par trois phrases ainsi rédigées :

« Un acompte correspondant, pour une semaine, au quart de la rémunération mensuelle, ou pour deux semaines, à la moitié de la rémunération mensuelle, ou pour trois semaines, aux trois‑quarts de la rémunération mensuelle, est versé au salarié qui en fait la demande. Cette demande d’acompte peut être réitérée jusqu’à trois fois dans le mois, équivalent de facto à une rémunération hebdomadaire : le 7 du mois, le 14 du mois, et le 21 du mois. L’employeur n’a pas à être informé de la justification de cette demande. »