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N° 1136

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 avril 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger l’hôpital public de la concurrence déloyale
du secteur privé en matière d’intérim médical,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Matthias TAVEL, Élise LEBOUCHER, Damien MAUDET, Murielle LEPVRAUD, Mathilde HIGNET, Alma DUFOUR, Nadège ABOMANGOLI, Mathilde PANOT, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

Député.es.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Fermetures de lits massives, horaires de gardes à n’en plus finir, perte de sens pour les soignants, manque de valorisation et salaires stagnants : l’hôpital public est proche de l’effondrement. Sous‑financé depuis des années, les conditions de travail ne cessent de s’y dégrader. Plus de 25 % des postes de médecins titulaires dans les hôpitaux publics ne sont pas pourvus et ce chiffre monte à près de 50 % pour les radiologues et les psychiatres. L’accès aux soins s’en trouve menacé.

Le personnel soignant est mis chaque année un peu plus à rude épreuve. Malgré leur amour du métier et de l’institution, nombreux.ses sont celles et ceux qui envisagent de s’en aller ou de faire le choix de l’intérim tant leurs conditions de travail se dégradent. Car les intérimaires sont très souvent des soignants qui ont démissionné de l’hôpital public pour échapper à un système où les conditions d’exercice se détériorent d’année en année sans espoir d’amélioration.

Certains services dépendent de façon quasi permanente de l’intérim pour fonctionner. Faute de personnel suffisant, d’autres ferment, des établissements entiers sont menacés. L’avenir incertain de ces établissements dissuade à son tour ceux qui auraient pu s’y installer : un cercle vicieux de pénurie de personnel est à l’œuvre, risquant d’emporter tout l’hôpital public dans son sillage.

L’explosion du recours à l’intérim n’est donc que le traitement symptomatique des politiques libérales menées contre l’hôpital public, organisant sa casse méthodique. D’après le Conseil national de l’ordre des médecins, les intérimaires étaient 6 000 en 2013, et plus de 12 000 en 2022. Rien que pour la période 2019 – 2022, le recours à l’intérim a augmenté de 69 %. Un traitement qui s’est transformé en addiction, poussant le marché de l’intérim vers des prix exorbitants et inacceptables.

Pour lutter contre l’expansion du modèle de l’intérim, l’amélioration des conditions de travail à l’hôpital est indispensable. Augmentation du nombre de personnels soignants et de leurs rémunérations, titularisations des contractuels, achat du matériel nécessaire à l’exercice de leur métier : autant de demandes bien raisonnables au regard des enjeux de santé publique dont il est question ! Autant d’évidences pourtant toujours ignorées.

La réouverture de postes pour les paramédicaux, les administratifs, le personnel technique, ainsi que la ré‑internalisation des fonctions dans l’hôpital actuellement déléguées à des entreprises privées – pour une qualité de service médiocre – sont également nécessaires. Tout ceci participerait à rendre son attractivité à l’hôpital public, et mettre fin à l’hémorragie en cours vers le modèle intérimaire.

Pourtant, plutôt que de s’attaquer à la cause du problème en traitant ces sujets, la loi Rist, entrée en application le 3 avril 2023, va l’aggraver. Au prétexte d’empêcher l’explosion des dépenses des seuls établissements publics, elle prévoit de plafonner le montant des contrats d’intérim auxquels ils peuvent recourir. Ce faisant, elle pousse les médecins intérimaires vers le privé lucratif qui bénéficie d’un effet d’aubaine, et organise une nouvelle attaque contre l’hôpital public. Selon une consultation du Syndicat des médecins hospitaliers remplaçants, 92 % des intérimaires médicaux n’iront plus exercer dans le secteur public.

Les hôpitaux publics feront face à un manque accéléré de personnels et de nouveaux services et établissements devront fermer : d’après les premières estimations, près de 60 hôpitaux, et des centaines de services sont menacés de fermetures par l’entrée en vigueur de cette réglementation. La loi Rist instaure une concurrence libre et complètement faussée, au détriment de l’accès public aux soins.

Sans prétendre s’attaquer à l’ensemble des urgences dont souffre l’hôpital public, l’ambition de cette proposition de loi est en revanche de rétablir une égalité de traitement entre les établissements privés et les établissements publics. Il convient donc que le plafond réglementaire de rémunération des intérimaires s’applique aussi bien aux deux secteurs.

Ainsi, il s’agit de s’assurer que la mise en œuvre de la loi Rist ne soit pas une opportunité pour fermer des services et des hôpitaux de proximité.

L’article premier prévoit l’application aux intérimaires du secteur privé, du même plafond de rémunération prévu par la loi Rist aux intérimaires du secteur public.

L’article 2 prévoit la mise en œuvre de sanctions en cas de non‑respect du plafond de rémunération prévu au précédent article.

L’article 3 prévoit une période transitoire de trois ans pour offrir la possibilité aux hôpitaux publics de déroger, à titre exceptionnel pour motif impérieux de permanence des soins et afin de prévenir toute fermeture de service, à l’application du plafond de rémunération.

Enfin, l’article 4 demande au gouvernement de remettre un rapport au parlement dressant un état des lieux précis de l’usage des missions de travail temporaire dans les métiers de la santé, à la fois dans le secteur public et dans les établissements privés, les causes de celui‑ci ainsi que les moyens financiers et humains nécessaires à l’arrêt d’un tel recours, sans préjudice de l’accès aux soins ni fermeture de services.


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 6161‑9 du code de la santé publique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le montant journalier des dépenses susceptibles d’être engagées par praticien au titre d’une mission de travail temporaire ne peut excéder le plafond fixé par l’arrêté prévu à l’article R. 6146‑26 du présent code.

« Un décret précise les modalités d’application du présent article. »

Article 2

Après l’article L. 6161‑9 du code de la santé publique, il est ajouté un nouvel article L. 6161‑9‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 616191. – Le fait pour un praticien ou une entreprise de travail temporaire de facturer une rémunération qui excède le plafond réglementaire est puni d’une amende d’un montant égal à trois fois le plafond fixé par l’arrêté prévu à l’article R. 6146‑26. »

Article 3

Une période transitoire de trois ans est prévue, par dérogation à l’arrêté prévu à l’article R. 6146‑26, pour permettre aux établissements publics de santé l’application du plafond de rémunération fixé par le même arrêté, afin de garantir la permanence des soins sans fermeture de services.

Un décret précise les modalités d’application du présent article.

Article 4

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement dressant un état des lieux précis de l’usage des missions de travail temporaire dans les métiers de la santé, à la fois dans le secteur public et dans les établissements privés.

Ce rapport analyse notamment le nombre de personnes travaillant dans le cadre d’une mission de travail temporaire, l’évolution de ce nombre depuis 2010, ainsi qu’un chiffrage du coût représenté pour le secteur public.

Ce rapport étudie aussi des pistes visant à se passer des contrats de mission de travail temporaire dans le secteur public tout en garantissant le maintien des services y faisant actuellement appel.