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N° 1143

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 avril 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer la compétitivité des fermes françaises,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Isabelle VALENTIN, Josiane CORNELOUP, Jean-Pierre VIGIER, Véronique LOUWAGIE, JeanYves BONY, Isabelle PÉRIGAULT, Justine GRUET, Jean-Luc BOURGEAUX, Hubert BRIGAND, Vincent SEITLINGER, Christelle D’INTORNI, Yannick NEUDER, Jacqueline MAQUET, Philippe JUVIN, Francis DUBOIS, Thibault BAZIN, Victor HABERT‑DASSAULT, Stéphane VIRY, Emmanuelle ANTHOINE, Michel HERBILLON,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

À l’heure où le commerce international de produits agroalimentaires n’a jamais été aussi dynamique et important, la France est l’une des seules grandes puissances agricoles dont les parts de marché reculent. En effet, entre 2002 et 2023, elle est passée de deuxième à cinquième exportateur mondial. Son dernier excédent commercial positif remonte à 2002. Actuellement, celui‑ci est seulement tiré par l’effet prix des exportations, et non par les volumes. En parallèle de cela, les importations alimentaires en France ne cessent de s’accroître. Aujourd’hui, ces importations représentent plus de la moitié des denrées consommées par les ménages français. Depuis 2015, la France, autrefois qualifiée de « grenier de l’Europe », est déficitaire avec l’Union européenne en matière alimentaire. Hors vins et spiritueux, elle est même déficitaire avec le monde entier. Plus problématique encore, le potentiel productif agricole s’est fortement dégradé ces dernières années. Ce déclin s’explique en partie par la baisse du nombre d’exploitations et par une chute de la surface agricole disponible. En raison d’importants manques d’investissements, la productivité de l’agroalimentaire français continue à poursuivre son déclin. Par conséquent, la principale crainte est que la France soit peu à peu reléguée au rang de puissance agricole moyenne.

Ainsi, la compétitivité des exploitations agricoles françaises s’est réduite au fil des années. Selon un rapport d’information du Sénat intitulé « COMPÉTITIVITÉ : UNE URGENCE POUR REDRESSER LA FERME FRANCE », deux tiers des pertes de marché des fermes proviennent de cette perte de compétitivité. Les raisons de ce décrochage sont multiples. La hausse des charges des producteurs en raison de ses coûts de main‑d’œuvre, le trop grand nombre de transpositions européennes et la lourdeur de la fiscalité participent à la perte de compétitivité des fermes françaises. Le modèle familial de fermes privilégié par la France, qui est en décalage avec les pratiques choisies par ses concurrents européens, est également l’une des raisons du déclin de la compétitivité française en matière agricole.

La stratégie actuelle suivie par le Gouvernement, pour lutter contre cette perte de compétitivité au long cours, s’inscrit dans la lignée des politiques agricoles françaises menées depuis la fin des années 1990. En effet, puisque que les produits français sont de moins en moins compétitifs, il serait préférable qu’ils montent en gamme pour atteindre des marchés plus rémunérateurs. Cela s’est traduit par une politique agricole à deux faces, qui apparaît de plus en plus paradoxale.

D’une part, les récents gouvernements ont fait le choix d’une hausse des charges des agriculteurs, afin de contraindre aux transitions environnementales (surtranspositions, hausse de la fiscalité productive, augmentation du coût des intrants avec la loi Egalim). D’autre part, en parallèle de cette décision, le choix qui a été fait ces dernières années est celui d’une politique législative axée sur le rééquilibrage des relations commerciales avec la grande distribution dans le but de recentrer la production agricole sur le marché intérieur, mieux rémunéré. Autrement dit, nous encourageons une montée en gamme de l’agriculture française et de l’autre, tout en facilitant l’entrée sur notre territoire de produits « cœur de gamme ».

Comme l’explique le même rapport du Sénat, la montée en gamme n’est pas une mauvaise solution pour certaines filières organisées ou certains produits ciblés. Toutefois, prise dans son ensemble et sans être accompagnée d’une politique de compétitivité, elle aboutit à mettre la France agricole dans une impasse. `

Par absence de véritable politique de compétitivité, le monde agricole est aujourd’hui contraint à payer le différentiel de prix en diminuant le revenu des agriculteurs. Faisant peu appel à de la main d’œuvre salariée pour limiter leurs charges, les exploitants agricoles travaillent plus de 60 heures par semaine sans s’octroyer un salaire suffisant. Ainsi, la France fait de la baisse des revenus de ses agriculteurs, la principale source de sa compétitivité quand l’Allemagne le fait par des gains de productivité.

Cette situation présente d’importants risques pour l’agriculture française. Dans un contexte où de nombreux français subissent une perte significative de pouvoir d’achat, la politique visant à monter en gamme les produits français apparaît en décalage avec les attentes du consommateur. En effet, monter en gamme signifie souvent montée des prix. Dès lors, les français les plus modestes se voient privés d’un accès à des produits français de qualité, et par conséquent se résignent à acheter des produits importés, dont la qualité n’est pas toujours garantie. De plus, à l’heure où la guerre russo‑ukrainienne est toujours d’actualité, l’absence de politique agricole visant à améliorer la compétitivité des fermes françaises continue d’alimenter la crise majeure en matière de souveraineté alimentaire.

Enfin, les graves pénuries d’eau, liées à des périodes de sécheresse qui ne cessent de s’accentuer, vont à terme constituer un véritable obstacle à la compétitivité des fermes françaises. En effet, il ne peut y avoir d’agriculture sans eau. Le manque d’eau apparaît aujourd’hui comme l’une des menaces les plus graves qui pèsent sur l’agriculture et l’environnement. Ces dernières années, la situation s’est aggravée en raison de l’augmentation des besoins en eau et la diminution des ressources disponibles (surexploitation, pollution, répartition déséquilibrée, conflits sectoriels entre utilisateurs, mauvaise gestion…).

À ce jour, il est important de souligner que l’agriculture représente à elle seule jusqu’à 80 % de la consommation des ressources en eau et son défi a toujours consisté à produire plus d’aliments pour satisfaire les besoins d’une population en expansion. Les prévisions de croissance démographique impliquent que les besoins alimentaires doubleront dans les trente prochaines années. Ainsi, l’agriculture est non seulement le plus gros consommateur d’eau, mais elle présente également le plus fort potentiel d’amélioration de son efficience.

Avec une ressource moins disponible, le partage de l’eau dans les territoires peut devenir source de conflits. Pour réduire ce risque, différentes mesures en ce sens s’imposent. L’amélioration de l’efficience de l’irrigation, la modification des assolements, des mesures de conservation de l’eau, exploitation des ressources non conventionnelles, ainsi qu’une révision des techniques culturales sont les principales solutions permettant une gestion raisonnée et durable de l’eau.

Afin d’inverser la tendance et d’améliorer sensiblement la compétitivité des fermes françaises, il est aujourd’hui impératif de proposer des solutions concrètes et ambitieuses. Il en va de la survie de nos agriculteurs français.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

L’article 1er vise à faire de la souveraineté alimentaire la « Grande cause nationale 2024 ».

L’article 2 vise à lutter contre les transpositions excessives des normes européennes, par la création d’un haut‑commissaire chargé de les identifier.

L’article 3 vise à aider financièrement les agriculteurs dans l’investissements de structures agricoles, en créant un « Livret Agricole ».

Les articles 4 et 5 visent à réduire le coût de la main d’œuvre en agriculture, sans détériorer l’attractivité salariale de la filière.

L’article 6 déclare d’intérêt général majeur les ouvrages ayant vocation à stocker de l’eau à des fins agricoles, sans prélèvement dans les nappes phréatiques.

L’article 7 organise, dans le cadre des projets territoriaux de gestion de l’eau (PTGE) une concertation large en amont des projets d’envergure ayant vocation à prélever et stocker de l’eau à des fins agricoles, dans le but de faciliter le consensus local.

L’article 8 vise à soumettre à déclaration les retenues collinaires de moins de 150 000 mètres cube d’eau.

L’article 9 confirme la recevabilité financière de la présente Proposition de Loi.

 

 


proposition de loi

Article 1er

La compétitivité des fermes françaises est reconnue : « Grande cause nationale 2024 ».

Article 2

Au début du chapitre Ier du titre Ier du livre VI du code rural et de la pêche maritime, il est ajouté un article L. 611‑1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 6111 A. – Il est institué, auprès du ministre chargé de l’agriculture, un haut‑commissaire à la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires. Sa mission est d’identifier, dans ses avis consultatifs, les surtranspositions de directives européennes, en rendant obligatoire le chiffrage gouvernemental du surcoût induit par celles‑ci. Il assure aussi un suivi régulier de toute difficulté de nature normative en matière de compétitivité et apporte son concours à la définition et à la mise en œuvre des politiques ayant un impact sur la compétitivité de ces filières. »

Article 3

L’article L. 211‑5 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « solidaire », sont insérés les mots : « et du livret Agri » et les mots : « à l’ » sont remplacés par les mots : « au même » ;

2° Après la première phrase du troisième alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elles sont employées, dans le cas du livret Agri, au financement des investissements des structures agricoles et agro‑alimentaires, notamment pour l’amélioration de leur compétitivité, leur mécanisation, la réduction de leur empreinte climatique ou l’atténuation des conséquences du changement climatique. ».

Article 4

Après l’article 39 decies du code général des impôts, il est inséré un article 39 decies‑0 A ainsi rédigé :

« Art. 39 decies0  A. – Les entreprises exerçant une activité agricole et les sociétés coopératives agricoles des secteurs les plus intensifs en main‑d’œuvre peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt d’une somme égale à 40 % de la valeur d’origine des biens hors frais financiers, affectés à leur activité et qu’elles acquièrent ou fabriquent, à compter du 1er avril 2023 et jusqu’au 1er avril 2026, lorsque ces biens peuvent faire l’objet d’un amortissement selon le système prévu à l’article 39 A et qu’ils ont pour finalité la réduction ou la participation à la réduction de leurs coûts de production, l’amélioration de leur compétitivité‑prix ou l’adaptation au changement climatique. »

Article 5

I. – Le I de l’article 73 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le 1 est ainsi modifié :

a) À la fin du a, le montant : « 27 000 € » est remplacé par le montant : « 40 000 € » ;

b) Au b, les deux occurrences du montant : « 27 000 € » sont remplacées par le montant : « 40 000 € », le taux : « 30 % » est remplacé par le taux : « 40 % » et, à la fin, le montant : « 50 000 € » est remplacé par le montant : « 75 000 € » ;

c) Au c, le montant : « 33 900 € » est remplacé par le montant : « 54 000 € », le taux : « 20 % » est remplacé par le taux : « 30 % », les deux occurrences du montant : « 50 000 € » sont remplacées par le montant : « 75 000 € » et, à la fin, le montant : « 75 000 € » est remplacé par le montant : « 100 000 € » ;

d) Au d, le montant : « 38 900 € » est remplacé par le montant : « 61 500 € », le taux : « 10 % » est remplacé par le taux : « 20 % », les deux occurrences du montant : « 75 000 € » sont remplacées par le montant : « 100 000 € » et, à la fin, le montant : « 100 000 € » est remplacé par le montant : « 150 000 € » ;

e) Au e, le montant : « 41 400 € » est remplacé par le montant : « 71 500 € » et, à la fin, le montant : « 100 000 € » est remplacé par le montant : « 150 000 € » ;

2° Aux 1° et 2° du 2, le montant : « 150 000 € » est remplacé par le montant : « 240 000 € ».

II. – Le I ne s’applique qu’aux sommes venant en déduction de l’impôt dû.

Article 6

Le code de l’environnement est ainsi modifié :

1° L’article L. 211‑1 est ainsi modifié :

a) Au 5° bis du I, après la première occurrence des mots : « l’eau », sont insérés les mots : « , qui présente un intérêt général majeur, » ;

b) Au 3° du II, après le mot : « agriculture », sont insérés les mots : « , pour laquelle les ouvrages ayant vocation à stocker l’eau présentent un caractère d’intérêt général majeur, » ;

2° Après le même article L. 211‑1, il est inséré un article L. 211‑1‑1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 21111 A. – Les plans d’eau, permanents ou non, comme les prélèvements nécessaires à leur remplissage, à usage agricole, sont réputés répondre à un intérêt général majeur. Dans le respect d’une gestion équilibrée de la ressource en eau et d’une production agricole suffisante et durable, dès que possible, ces installations et activités tiennent compte d’un usage partagé et raisonné de l’eau à l’échelle des bassins hydrographiques. »

Article 7

Dans le cadre de l’élaboration volontaire d’un projet de territoire pour la gestion de l’eau, sont déterminées avec précision les modalités de concertation locale entre acteurs en vue de la construction d’ouvrages ayant vocation à prélever ou à stocker l’eau à des fins agricoles, sous l’égide du préfet coordinateur de bassin mentionné à l’article L. 213‑7 du code de l’environnement et en lien avec les instances mentionnées aux articles L. 212‑2 et L. 212‑4 du même code.

Article 8

Le premier alinéa du II de l’article L. 214‑3 du code de l’environnement est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sont notamment soumises à déclaration les retenues collinaires de moins de 150 000 mètres cubes d’eau. »

Article 9

I. – La perte de recettes pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.