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N° 1204

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2023.

PROPOSITION DE LOI

instaurant un inventaire national du patrimoine religieux et visant à mettre en place un plan stratégique de préservation et de protection du patrimoine religieux national,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

M. Sébastien CHENU, Franck ALLISIO, Bénédicte AUZANOT, Philippe BALLARD, Christophe BARTHÈS, Romain BAUBRY, José BEAURAIN, Christophe BENTZ, Pierrick BERTELOOT, Bruno BILDE, Emmanuel BLAIRY, Sophie BLANC, Frédéric BOCCALETTI, Pascale BORDES, Jorys BOVET, Jérôme BUISSON, Frédéric CABROLIER, Victor CATTEAU, Sébastien CHENU, Roger CHUDEAU, Caroline COLOMBIER, Annick COUSIN, Nathalie Da CONCEICAO CARVALHO, Grégoire de FOURNAS, Hervé de LÉPINAU, Jocelyn DESSIGNY, Edwige DIAZ, Sandrine DOGOR-SUCH, Nicolas DRAGON, Christine ENGRAND, Frédéric FALCON, Thibaut FRANÇOIS, Thierry FRAPPÉ, Stéphanie GALZY, Frank GILETTI, Yoann GILLET, Christian GIRARD, José GONZALEZ, Florence GOULET, Géraldine GRANGIER, Daniel GRENON, Michel GUINIOT, Jordan GUITTON, Marine HAMELET, Joris HÉBRARD, Timothée HOUSSIN, Laurent JACOBELLI, Alexis JOLLY, Hélène LAPORTE, Laure LAVALETTE, Marine LE PEN, Julie LECHANTEUX, Gisèle LELOUIS, Katiana LEVAVASSEUR, Christine LOIR, Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Marie-France LORHO, Philippe LOTTIAUX, Alexandre LOUBET, Matthieu MARCHIO, Michèle MARTINEZ, Alexandra MASSON, Bryan MASSON, Kévin MAUVIEUX, Nicolas MEIZONNET, Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Thomas MÉNAGÉ, Pierre MEURIN, Serge MULLER, Julien ODOUL, Mathilde PARIS, Caroline PARMENTIER, Kévin PFEFFER, Lisette POLLET, Stéphane RAMBAUD, Angélique RANC, Julien RANCOULE, Laurence ROBERT-DEHAULT, Béatrice ROULLAUD, Anaïs SABATINI, Alexandre SABATOU, Emeric SALMON, Philippe SCHRECK, Emmanuel TACHÉ de la PAGERIE, Jean-Philippe TANGUY, Michaël TAVERNE, Lionel TIVOLI, Antoine VILLEDIEU,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un acte symbolique ne vaudra jamais mieux qu’une politique d’ensemble. Dans son allocution du 17 avril 2023, le Président de la République s’est défendu des critiques sur ses positions en brandissant son sentiment réussite dans la reconstruction de la cathédrale Notre‑Dame. Cependant, malgré toute promesse tenue potentiellement d’une rénovation en cinq ans, nous restons dans l’indignation : après Notre‑Dame, qu’aura été mené pour l’ensemble de notre patrimoine religieux ?

Triste reflet d’un parisianisme, le délaissement de notre patrimoine religieux local fait encore l’objet de trop peu de débats dans les institutions publiques.

Pourtant, les chiffres les concernant sont glaçants. Selon la Commission du Sénat en juillet 2022, sur les presque 45 000 édifices religieux encore ouverts au culte, plus de la moitié seraient menacées. 75 % d’entre eux se trouvent dans des communes de moins de 3 000 habitants qui ne possèdent pas les moyens nécessaires à leur entretien, leur préservation ou leur protection. Nous parlons d’abandon, de vente ou de destruction de 2 000 à 5 000 églises avant 2030, en particulier celles bâties au cours du XIXe siècle.

Pourtant, les autorités publiques ne sont pas délestées de toute obligation de préservation et de protection. Et en prévention de toute critique concernant le non‑respect de la laïcité, ce texte propédeutique se doit de rappeler le droit en vigueur.

Si la loi du 9 décembre 1905 pose, en son article 2, le principe de l’interdiction de subventionner les cultes, le législateur a autorisé, dans le texte voté en 1905 puis ultérieurement, des exceptions à cette interdiction. Les articles 13 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 autorisent les collectivités publiques à participer financièrement à certains types de travaux (entretien, conservation et réparation) en fonction de l’appartenance des édifices du culte à une personne publique ou à une association cultuelle. Lorsque les édifices du culte, les objets mobiliers et les orgues sont classés au titre des monuments historiques, tous les travaux et aménagements les concernant sont soumis aux dispositions des articles L. 621‑9 et L. 622‑7 du code du patrimoine.

La loi du 13 avril 1908 a ajouté un dernier alinéa à l’article 13 de la loi du 9 décembre 1905, qui permet à l’État, aux départements ou aux communes d’engager les dépenses nécessaires pour les seuls travaux d’entretien et de conservation des édifices du culte dont la propriété leur a été reconnue par la loi du 9 décembre 1905. Cette possibilité est également offerte aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui ont choisi d’exercer la compétence « Entretien et conservation des édifices du culte ». Réalisés par la personne publique propriétaire, les travaux d’entretien et de conservation des édifices du culte sont soumis aux règles du code des marchés publics.

Lorsque les collectivités publiques refusent d’effectuer des travaux nécessaires sur des édifices leur appartenant ou n’en ont pas les moyens, des offres de concours peuvent être constituées par les fidèles et lesdites collectivités ne peuvent s’y opposer dès lors que les sommes correspondantes ont été réunies. Dans cette hypothèse, les travaux sont entièrement réalisés par la personne publique propriétaire qui en assume la responsabilité compte tenu de leur nature de travaux publics.

Si le régime général établi par l’article 13 de la loi du 9 décembre 1905 dispose que les associations affectataires d’édifices du culte sont « tenues des réparations de toute nature, ainsi que des frais d’assurance et autres charges afférentes aux édifices et aux meubles les garnissant », l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 autorise les collectivités publiques à participer aux frais de « réparation des édifices affectés au culte, classés ou non monuments historiques » appartenant aux associations cultuelles qui assurent elles‑mêmes la maîtrise d’ouvrage des travaux. Cette faculté est cependant limitée, d’une part aux seules « associations cultuelles » se conformant aux dispositions des articles 18 à 21 de la loi du 9 décembre 1905 (dont les associations diocésaines), et d’autre part, aux dépenses de « réparations » qui correspondent aux travaux nécessaires à la conservation de l’édifice.

Par‑dessus tout, la protection de l’État est consacrée par la loi du 1913, assurant que les édifices classés sont protégés en totalité ou partiellement en raison de leur intérêt national, artistique ou historique. Les édifices inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques sont aussi protégés en totalité ou partiellement en raison de leur intérêt national, artistique ou historique. Il en est de même pour les édifices situés dans le périmètre de 500 m de protection d’un monument classé ou inscrits, des édifices situés dans un site classé ou inscrit et des édifices situés dans un secteur sauvegardé ou une ZPPAUP (zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager). Les édifices dont la conservation est mentionnée dans le Plan Local d’Urbanisme (PLU) bénéficient d’une protection municipale.

Outre le constat effroyable des dégradations contre notre patrimoine ou l’impression de dédouanement que l’État s’attribue malgré ses prérogatives, il en va finalement peut‑être de ce nous souhaitons en tant que modèle de société et de patrie que nous nous choisissons. Victor Hugo simplifiait cette pensée dans la maxime suivante : « Il faut des monuments aux cités de l’homme, autrement où serait la différence entre la ville et la fourmilière ? » Un État qui nie dans les faits sa protection du patrimoine quand celui‑ci croule sous les offensives de ceux qui méprisent ou ne veulent pas reconnaître le symbole de la nation derrière le patrimoine. Pour faire société, il est impossible de laisser se dégrader son passé. Aujourd’hui, deux grandes critiques nous bloquent : quand ceux qui par logiques partisanes et électoralisme nient les liens de la culture judéo‑chrétienne avec l’Histoire de France et de son patrimoine, d’autres ne veulent pas s’approcher du sujet au‑delà des cas les plus médiatisés par soucis vénaux et capitalisme. Le patrimoine religieux a fait le cœur de nos sociétés et de ses fondements pendant des siècles, aucune idéologie ne doit de nier l’Histoire. Il s’agit également de permettre aux Françaises et aux Français de profiter de leur Histoire, par crainte de leur ressentiment et de la perte de la légitimité : « Les hommes oublient plus facilement la mort de leur père que la perte de leur patrimoine. », conseillait Machiavel. L’exemple de l’embrasement de Notre‑Dame doit être rappelé ici : non seulement il démontre avec l’ampleur médiatique mondiale que le patrimoine français contribue à notre influence et s’associe inexorablement à notre identité, mais ce spectacle funeste a permis au peuple français dans son émoi de redécouvrir son attachement au patrimoine religieux de son pays.

Le législateur reconnaît les efforts menés par les autorités, les associations et les particuliers, comme le plan de sécurisation des cathédrales, la création du fonds de soutien pour le patrimoine des communes de moins de 2 000 habitants, des restaurations emblématiques, les incitations au mécénat ou au bénévolat, la Mission patrimoine. Mais au vu de ce qui a été développé dans cette exposition des motifs, tant reste à accomplir.

Ce constat général, a priori partagé par le Président lui‑même qui voit en ce patrimoine notre « destin commun », nous amène donc aux solutions suivantes :

L’article 1 vise à lancer une opération nationale d’inventaire du patrimoine religieux, comprenant une cartographie de ce patrimoine et un ensemble de ses perspectives sur l’ensemble du territoire à l’horizon 2030. Comme le préconisait le Sénat dans le rapport susmentionné, « le travail d’identification constitue un préalable à toute politique de protection ». Il est indispensable pour éviter que ne disparaisse progressivement, dans l’indifférence générale, le patrimoine qui n’est pas aujourd’hui protégé. Le dernier bilan du patrimoine religieux, réalisé dans les années 1980 sous l’égide du ministère de la culture, ne constitue pas une base suffisante, dans la mesure où il est manifestement incomplet (seulement 38 000 édifices appartenant aux communes recensés) et que ses auteurs plaidaient pour son actualisation régulière afin d’évaluer correctement les dégradations subies. Même si l’inventaire général du patrimoine culturel a été décentralisé au niveau des régions, l’État conserve la possibilité de réaliser des opérations au plan national. Le recours à cette faculté apparait, dans le cas du patrimoine religieux, pertinent d’un point de vue scientifique pour garantir une photographie complète de ce patrimoine et en tirer des conclusions pertinentes pour l’adaptation éventuelle des politiques publiques.

En parallèle, il convient de proposer un plan stratégique de préservation et de protection du patrimoine religieux national. Ce plan présenté au Parlement sous la forme d’un rapport présentera concrètement les mesures que le gouvernement entend entreprendre à l’horizon (article 2).

La proposition de loi termine avec la compensation financière qui semblera nécessaire (article 3).

 

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

I. – La sous‑section 2 de la section 6 du chapitre 1er du titre II du livre VI du code du patrimoine est complétée par un article L. 621‑38‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 621381. – Un inventaire national du patrimoine religieux sur le territoire français est tenu par les autorités compétentes et mis à jour tous les cinq ans. Il présente l’ensemble des monuments appartement au patrimoine religieux ainsi qu’une cartographie précise et les évènements de nature physique, économique ou sociale qui ont marqué le patrimoine religieux et leur politique de gestion. Enfin, un chapitre sera dédié aux préconisations pour améliorer les politiques de préservation, de protection ou de gestion du patrimoine religieux ».

II. – Les modalités de cet inventaire national du patrimoine religieux sont fixées par décret du Conseil d’État.

Article 2

Six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant un plan stratégique de préservation et de protection du patrimoine religieux national dans lequel il expose sa stratégie de gestion et de protection des monuments et des mobiliers historiques religieux à horizon 2030. Ce plan comprend un ensemble de mesures et d’objectifs que le Gouvernement entend suivre.

Article 3

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.