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N° 1205

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à préserver le jury populaire de cour d’assises,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Francesca PASQUINI, Christine ARRIGHI, Julien BAYOU, Lisa BELLUCO, Cyrielle CHATELAIN, Charles FOURNIER, MarieCharlotte GARIN, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Julie LAERNOES, Benjamin LUCAS, Sébastien PEYTAVIE, Marie POCHON, JeanClaude RAUX, Sandra REGOL, Sandrine ROUSSEAU, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Aurélien TACHÉ, Sophie TAILLÉPOLIAN, Nicolas THIERRY, Soumya BOUROUAHA, André CHASSAIGNE, Elsa FAUCILLON, Stéphane PEU, Davy RIMANE, Ségolène AMIOT, Rodrigo ARENAS, Carlos Martens BILONGO, Florian CHAUCHE, Hadrien CLOUET, JeanFrançois COULOMME, Sébastien DELOGU, Emmanuel FERNANDES, Charlotte LEDUC, Manon MEUNIER, François PIQUEMAL, Aurélien SAINTOUL, Sébastien ROME, Matthias TAVEL, Mickaël BOULOUX, Arthur DELAPORTE, Inaki ECHANIZ, Fatiha KELOUA HACHI, Christine PIRES BEAUNE, Claudia ROUAUX, Bertrand PANCHER, Paul CHRISTOPHE, Christian BAPTISTE,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Héritage de la Révolution de 1789, le jury populaire de cour d’assises, symbole éclatant de la démocratie en matière judiciaire, doit être défendu et préservé. Il est pourtant menacé par la généralisation des cours criminelles départementales (CCD) intervenue au 1er janvier 2023, puisque ces nouvelles juridictions, exclusivement composées de magistrats professionnels (cinq au total), remplaceront le jury populaire dans 57 % des affaires qui lui revenaient jusqu’alors. La participation citoyenne à la justice criminelle deviendra ainsi minoritaire, ce qui constitue un recul démocratique sans précédent pour notre pays.

Plusieurs raisons essentielles justifient la préservation du jury populaire. Tout d’abord, le jury est un outil politique au service de la liberté du peuple, car dans l’hypothèse où la justice deviendrait inique, il permettrait aux citoyens d’endiguer les excès judiciaires.

Ensuite, le jury est un vecteur d’humanité, puisque sa participation repose sur le principe d’oralité des débats, qui oblige les acteurs du procès à faire montre de pédagogie pour expliquer aux jurés les circonstances de l’espèce et ses implications juridiques, ce qui génère un effet cathartique dont les bienfaits dépassent les enjeux strictement juridiques du procès et participent à la reconstruction du lien social.

Enfin, le jury représente est un instrument au service de la citoyenneté. Comme l’écrivait Alexis de Tocqueville dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique », le jury « sert à donner à l’esprit de tous les citoyens une partie des habitudes de l’esprit des juges ; et ces habitudes sont précisément celles qui préparent le mieux le peuple à être libre ». De ce point de vue, la participation des jurés à la justice criminelle constitue une expérience démocratique qui modifie leur place en tant que citoyen. À l’heure où le rapport conclusif des États généraux de la justice plaide pour un rapprochement des citoyens et de leur justice, réduire l’un des derniers espaces de démocratie participative en matière judiciaire semble particulièrement malvenu.

En outre, même en quittant le terrain des principes, les premiers retours d’expériences des cours criminelles départementales sont accablants. En effet, les promoteurs des CCD visaient trois objectifs : dé‑correctionnaliser (notamment en évitant que des viols soient requalifiés en agressions sexuelles), gagner du temps et faire des économies. Or le rapport du comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementales, daté d’octobre 2022, révèle qu’aucune de ces promesses n’est tenue.

Premièrement, aucune dé‑correctionnalisation n’a pu être mesurée. Il s’agissait pourtant du principal pilier de la réforme.

Deuxièmement, le délai d’audiencement de 6 mois fixé par la loi devant les CCD départementales est intenable – même au prix d’un surinvestissement supplémentaire des magistrats et des greffiers, dont la surcharge actuelle de travail est déjà connu –, ce qui amène le comité à suggérer le rehaussement de ce délai à 9 mois. Cela le rapprocherait du délai d’audiencement prévu aux assises, questionnant subséquemment l’utilité des CCD. En outre, le comité constate que le taux d’appel des arrêts des CCD (21 %) est plus important que celui des arrêts d’assises pour les mêmes affaires (15 %). Ce taux d’appel supérieur, qui révèle une insatisfaction quant au déroulement des audiences, est coûteux en termes financiers et provoque un allongement des délais préjudiciable aussi bien aux accusés qu’aux parties civiles.

Troisièmement, le comité n’a pas été en mesure de vérifier les éventuelles économies engendrées par les CCD, celles‑ci produisant de nombreuses externalités négatives sur le plan financier (augmentation du taux d’appel ; mobilisation magistrats assesseurs supplémentaires qui perdront du temps sur leurs fonctions principales civiles ou pénales ; nécessité impérieuse de renforcer les effectifs de magistrats et de greffiers, tout en réalisant des investissements immobiliers pour que le fonctionnement pratique des CCD soit viable, etc.). Le rapport indique même que le renforcement des moyens humains dans les juridictions est « indispensable » à la généralisation des CCD.

En plus de constituer un scandale sur le plan démocratique, la généralisation des CCD et l’effacement du jury populaire sont donc une aberration sur le plan pratique.

Il convient donc de préserver le jury populaire en supprimant les dispositions législatives prévoyant la compétence des CCD.

 

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l’article 186, la référence : « 181‑1 » est supprimée ;

2° À la fin du premier alinéa de l’article 186‑3, sont supprimés les mots : « ou devant la cour criminelle départementale » ;

3° L’article 214 est ainsi modifiée :

a) À la fin du premier alinéa, sont supprimés les mots : « ou devant la cour criminelle départementale » ;

b) Au second alinéa, les mots : « la juridiction criminelle compétente » sont remplacés par les mots : « cette juridiction » ;

4° Dans l’intitulé du titre Ier du livre II, sont supprimés les mots : « et de la cour criminelle départementale » ;

5° Au début du même titre Ier, est supprimé le sous‑titre Ier intitulé « De la cour d’assises » ;

6° Au début du premier alinéa de l’article 231, sont supprimés les mots : « Sous réserve des dispositions de l’article 380‑16 » ;

7° Le sous‑titre II du titre Ier du livre II est supprimé ;

8° L’article 888‑1 du code de procédure pénale est supprimé.

II. – Les personnes ayant fait l’objet d’une mise en accusation devant la cour criminelle départementale avant l’entrée en vigueur de la présente loi, sans avoir été jugées à cette date, sont renvoyées devant la cour d’assises sur décision du premier président de la cour d’appel.

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.