Description : LOGO

N° 1214

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à établir une taxe sur l’utilisation des jets privés,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mickaël BOULOUX, Boris VALLAUD, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Marie‑Noëlle BATTISTEL, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Iñaki ECHANIZ, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Bertrand PETIT, Anna PIC, Dominique POTIER, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Mélanie THOMIN, Cécile UNTERMAIER, Roger VICOT,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Incendies, canicules, sécheresses, inondations, fonte des glaces, disparitions d’espèces animales et végétales : les conséquences du dérèglement climatique s’accélèrent et, paradoxalement, alors que la population est incitée à réduire son empreinte carbone, le recours aux jets privés, particulièrement polluants pour l’environnement, ne cesse de se développer.

Entre 2020 et 2022, les émissions de carbone de l’aviation privée en France sont passées de 47 502 tonnes de CO2 à 383 061 tonnes par an, selon le dernier rapport du cabinet Cedelft de mars 2023. Des émissions multipliées par 8 en moins de 2 ans, et qui correspondent à des vols, pour plus de 50 % d’entre eux, qui parcourent des distances de moins de 500 km. Des trajets bien identifiés qui s’effectuent pour une très grande majorité d’entre eux sur les voies aériennes Paris‑Genève, Nice‑Genève ou encore Paris‑Londres, où des alternatives bas carbone, telles que le train à grande vitesse, existent déjà.

D’après un article du magazine « Géo » du 4 juillet 2022, « un avion sur dix qui part de France est un jet privé. Un constat d’autant plus alarmant qu’un jet émet jusqu’à 20 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre au kilomètre qu’un avion de ligne classique ». Citant un rapport de l’ONG « Transport & Environment » en date de mai 2022, le magazine relève en outre que les émissions de CO2 des jets privés en Europe ont augmenté de 31 % entre 2005 et 2019. Le bilan carbone des jets privés est d’autant plus catastrophique qu’un jet privé dispose, en général, d’une dizaine de places contre 75 à plus de 800 pour les avions de ligne classiques.

En conséquence, il importe de désinciter à l’usage des jets privés via l’instauration d’une taxation pour tout jet privé qui traverse l’espace aérien français en fonction de ses émissions de gaz à effet de serre, qu’il soit immatriculé en France ou non, qu’il se pose en France ou non. Le tarif initial de la taxe inscrit dans la présente proposition de loi prend en considération le montant de la taxe carbone et a vocation à évoluer en fonction des objectifs climatiques et des trajectoires de réduction d’émissions de CO2 de la France prévues par l’Accord de Paris.

La mise en place du dispositif de la présente proposition de loi s’appuie sur des technologies qui existent déjà depuis des années, notamment pour l’identification et le suivi des trajectoires des appareils qui survolent notre espace aérien. L’identification, notamment, permet de déterminer en temps réel le type d’avion dont il est question, ses caractéristiques quant à sa capacité, sa motorisation, sa source d’énergie et sa puissance, ainsi que son immatriculation et donc son propriétaire. Tous ces éléments rendent possible et aisé le calcul de la taxe basée sur ses émissions et le recouvrement de la taxe.

Sont exclus du dispositif de la présente proposition de loi : les avions de ligne, les avions de plaisance individuels de type monoplaces ou biplaces et les avions concourant aux services publics.

Si la taxation des jets privés est avant tout à visée écologique, il s’agit également d’une question de justice fiscale et sociale. Comment faire accepter en effet aux Françaises et aux Français la sobriété nécessaire dans le cadre de la transition énergétique, pendant qu’en parallèle, une vie d’efforts d’un Français moyen peut être effacée par un trajet en jet privé d’un multimilliardaire ? Cette préoccupation de justice sociale a été en particulier soulevée par l’OCDE dans deux recommandations (les n° 2 et 3) qu’elle a soumises aux États pour réussir à rendre acceptables les politiques écologiques : https ://www.oecd.org/climate‑change/international‑attitudes‑toward‑climate‑policies/

L’instauration d’une taxation sur l’utilisation des jets privés permettra à la France d’investir dans le verdissement de notre économie et dans la recherche pour permettre d’accélérer la nécessaire sortie des énergies fossiles. En outre, cette taxe incitera à l’innovation aéronautique.

Enfin, l’objectif visé par la présente proposition de loi est de renforcer la prise de conscience de la nécessité pour chacune et chacun de réduire son empreinte carbone. Alors que l’ensemble des Françaises et des Français doit respecter les Zones à Faibles Émissions (ZFE) afin de lutter contre la pollution émise par le trafic routier, il importe que les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre soient également mis à contribution.

De même, alors que les exploitants d’avions commerciaux sont appelés à diminuer la fréquence de leurs vols, que le président directeur général des aéroports de Paris, déclare, lui‑même, que les Françaises et les Français seront appelés à moins prendre l’avion, l’effort collectif à mettre en place pour respecter nos objectifs de neutralité carbone ne peut plus épargner le monde de l’aviation privée. Celui‑ci doit donc se soumettre aux mêmes exigences que le reste de la population ou a minima contribuer à décarboner le reste du réseau de transports, ce que cette taxe vise à instaurer. En ce sens, cette proposition de loi permet de lever, pour les jets privés, le moratoire sur la taxe carbone décidé à la fin de l’année 2018.

L’article 1er instaure ainsi une taxe sur l’utilisation des jets privés en fonction des émissions de dioxyde de carbone.

L’article 2 prévoit l’affectation du produit de cette taxe vers trois organismes publics, à savoir : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France) et IFP Énergies nouvelles (IFPEN).

De fait, en tant qu’établissement public à caractère industriel et commercial (ÉPIC) placé sous la tutelle des ministères de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et de la Transition écologique et solidaire, l’ADEME participe à la mise en œuvre des politiques publiques en matière d’énergie et de protection de l’environnement. À ce titre, l’ADEME intervient notamment dans les domaines des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique et de la prévention et de la lutte contre la pollution de l’air.

Concernant l’AFIT France, il s’agit d’un établissement public administratif national (ÉPAN) chargé de coordonner le financement de grands projets d’infrastructures de transport et dont la tutelle de l’État est exercée par la direction générale des Infrastructures, des Transports et des Mobilités du ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. À ce titre, l’AFIT France est tout indiquée pour le développement des solutions alternatives moins carbonées en matière de transport.

Enfin, l’activité de l’ÉPIC qu’est l’IFP Énergies nouvelles est consacrée à la recherche, à l’innovation et à la formation dans les domaines de l’énergie, du transport et de l’environnement. À ce titre, les équipes de chercheurs de l’IFP Énergies nouvelles travaillent sur l’un ou plusieurs de trois objectifs complémentaires : d’une part le développement des transports économes et à faible impact environnemental, d’autre part la production de carburants, d’intermédiaires chimiques et d’énergie à partir de sources renouvelables, et enfin la production, à partir de ressources fossiles, de carburants et intermédiaires chimiques à faible impact environnemental.

Alors que, d’après Greenpeace, les près de 85 000 vols en jets privés en France ont émis 383 100 tonnes de CO2, cela permet d’estimer un rendement annuel initial pour la taxe aux alentours de 40 millions d’euros. Il est donc proposé à l’article 2 de fixer un plafond d’affectation de 50 millions d’euros réparti entre l’ADEME, l’AFIT France et l’IFP Énergies nouvelles


proposition de loi

Article 1er

Le paragraphe 1 de la sous‑section 3 de la section 2 du chapitre II du titre II du livre IV du code des impositions sur les biens et services est ainsi modifié :

1° L’article L. 422‑20 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 5° Le tarif de la taxe sur les jets privés déterminé dans les conditions prévues à l’article L. 422‑24‑1 » ;

2° Il est ajouté un article L. 422‑24‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 422241.  La circulation d’aéronefs privés pouvant transporter moins de vingt‑cinq passagers et dont le poids à vide est inférieur à trente tonnes, à l’exception des aéronefs individuels de plaisance avec un poids maximum au décollage inférieur à deux tonnes, est soumise à une taxe assise sur le volume d’émissions de dioxyde de carbone lors du survol de l’espace aérien national et des espaces aériens placés sous juridiction française. Le tarif de la taxe est initialement fixé à 100 euros par tonne émise. Il est révisé annuellement par décret en fonction de la variation de l’indice moyen annuel des prix à la consommation hors tabac et des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique.

« Sont exonérés les vols exécutés par des aéronefs d’État et militaires, affectés à un service public, ainsi que ceux effectués par des aéronefs affectés à une mission de service public, de recherche, de sauvetage, de sécurité civile, de lutte contre les incendies, sanitaire, médicale, d’instruction, d’essai ou effectués par des aéronefs individuels de plaisance ayant un poids maximum au décollage de deux tonnes dans le cadre des activités d’un aéroclub. »

Article 2

Le tableau à l’alinéa 2 de l’article 46 de la loi n° 2011‑1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 est ainsi modifié :

Après la première ligne, sont insérées trois lignes ainsi rédigées :

  

« 

Article L. 422‑24‑1

Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)

20 000

 

 

Article L. 422‑24‑1

Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France)

20 000

 

 

Article L. 422‑24‑1

IFP Énergies nouvelles (IFPEN)

10 000

 »