Description : LOGO

N° 1219

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2023.

PROPOSITION DE LOI

relative à la prise en compte de la santé menstruelle,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mickaël BOULOUX, Fatiha KELOUA HACHI, Boris VALLAUD, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Marie‑Noëlle BATTISTEL, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Iñaki ECHANIZ, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Bertrand PETIT, Anna PIC, Christine PIRES BEAUNE, Dominique POTIER, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Mélanie THOMIN, Cécile UNTERMAIER, Roger VICOT,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La notion de santé au travail est ancienne. Ainsi, dans l’Antiquité déjà, 2 500 ans avant notre ère, les historiens ont pu établir qu’un médecin Égyptien était chargé de veiller sur l’état de santé des ouvriers et des esclaves sur le chantier des pyramides. Plus proche de nous, le recours à des médecins d’entreprise et à des visites d’embauche est apparu en 1810 pour les travailleurs des mines et des carrières et un premier décret est pris pour imposer au patronat de payer les frais médicaux des ouvriers blessés lors des accidents du travail. Formellement, l’inspection du travail est créée en 1874 et la loi sur les accidents du travail qui instaure une réparation forfaitaire en fonction de la perte de salaire est promulguée en 1898. Le code du travail, quant à lui, naît en 1910 et la loi qui fonde sur le plan légal la médecine du travail date du 28 juillet 1946. Enfin, le 23 décembre 1982, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de santé au travail pour les entreprises de plus de 50 salariés sont mis en place.

Alors que le cadre existe aujourd’hui dans notre pays pour permettre que le travail s’exerce dans des conditions satisfaisantes sur le plan sanitaire, la santé menstruelle au travail reste encore non traitée sur le plan législatif, plaçant les femmes dans une situation de fragilité en raison de leurs règles.

Alors, que l’Espagne a adopté le 16 février 2023 un projet de loi pour créer un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses, devenant le premier pays européen à légiférer en ce sens, il importe que la France lui emboîte le pas.

La loi espagnole permet dorénavant un « arrêt de travail d’une femme en cas de règles incapacitantes » liées, par exemple, « à des pathologies comme l’endométriose ». Cet arrêt sera « reconnu comme une situation spéciale d’incapacité temporaire » de travail. Le texte précise par ailleurs que l’enjeu est d’ » accorder à cette situation pathologique une réponse adaptée afin d’éliminer tout biais négatif [pour les femmes] dans le monde du travail ». Enfin, l’arrêt de travail, qui devra être accordé par un médecin et qui sera financé par la Sécurité sociale, n’a pas de limitation dans sa durée.

D’autres pays avant l’Espagne ont déjà ouvert la voie à une législation permettant aux femmes de s’absenter de leur travail en raison de leurs règles. C’est ainsi le cas du Japon et de la Corée du Sud, où ce congé est très majoritairement sans solde, ou encore de l’Indonésie, de Taïwan et de la Zambie, qui prévoient pour leur part le paiement des congés menstruels.

La présente proposition de loi vise à faire entrer le congé menstruel dans notre code du travail et à lever le tabou autour des cycles menstruels et de leurs conséquences physiques et mentales. Les effets indésirables des règles douloureuses (dysménorrhée) sont bien connus et particulièrement handicapants : douleurs abdominopelviennes, crampes, spasmes, fatigue, diarrhées, maux de tête, vertiges, nausées et vomissements notamment.

Pour certaines femmes, touchées par des pathologies liées aux cycles menstruels telles que l’endométriose, ces symptômes peuvent être aggravés et ainsi devenir d’autant plus handicapants dans leur vie professionnelle. Selon le ministère de la Santé, 2,5 millions de femmes seraient touchées par l’endométriose soit 10 % des femmes menstruées.

En plus du congé menstruel et pour tenter d’appréhender plus largement le sujet des tabous autour de la santé des femmes dans le monde de l’entreprise, cette proposition de loi vise à ouvrir aux femmes qui subissent une interruption involontaire de grossesse (fausse couche) le droit à des jours de congés supplémentaires. Il est essentiel qu’elles puissent en effet bénéficier d’un congé payé ainsi que leur conjoint ou conjointe. Ces drames malheureux, qui surviennent dans 15 % des cas et qui touchent en moyenne une femme sur dix, restent tabous, au même titre que les menstruations douloureuses. Il est donc essentiel et vital de réserver à ces personnes un droit de repos et de deuil sans qu’elles soient contraintes par une activité professionnelle, ni privées d’une partie de leur salaire. Si toutes les personnes concernées ne ressentiront pas le besoin de prendre ces jours de congés, cette proposition de loi vise cependant à leur en donner la possibilité, si elles en ressentent le besoin.

L’inscription d’un congé menstruel et d’un congé consécutif à une interruption involontaire de grossesse dans le code du travail s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation, dont la chambre sociale a reconnu, dans un arrêt du 12 juillet 2017, qu’un accord collectif peut bénéficier aux seules salariées de sexe féminin, dès lors que cette mesure vise à établir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes.

L’article 1er prévoit la possibilité, pour un médecin ou une sage‑femme, de prescrire un arrêt maladie de treize jours maximum valable un an, pour une durée ne pouvant pas excéder deux jours par mois, pour les personnes souffrant de menstruations incapacitantes. Cet article prévoit par ailleurs que les personnes arrêtées en raison de leurs dysménorrhées seront indemnisées dès leur premier jour d’absence, sans délai de carence. Enfin, cet article a pour objectif de proposer un parcours de soin autour la question de la santé menstruelle en établissant une consultation annuelle remboursée par la sécurité sociale et sans avance de frais.

L’article 2 fixe les conditions d’une prise en charge, par l’assurance maladie, du congé maladie en cas de dysménorrhée incapacitante, sans jour de carence.

L’article 3 inscrit dans le code du travail les mesures liées à l’instauration d’un congé menstruel en cas de dysménorrhée sur justificatif médical mais sans préavis. Il laisse la possibilité aux entreprises d’accorder une meilleure prise en charge via une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche.

L’article 4 prévoit que les agents publics bénéficient d’autorisations spéciales d’absence liées au congé menstruel sans que ces absences soient considérées comme des congés annuels et dans les conditions médicales prévues à l’article 1er de la présente proposition de loi. Cet article 4 prévoit enfin que l’agent public n’aura pas de jour de carence lorsqu’il s’absentera en cas de dysménorrhée incapacitante.

L’article 5 prévoit que les entreprises inscrivent dans leur règlement intérieur les mesures matérielles leur permettant de prendre en compte la santé menstruelle des salariées comme, par exemple, l’installation de sanitaires avec point d’eau ou encore la mise à disposition de protection hygiéniques. Des dispositions sur l’aménagement des sanitaires sont d’ailleurs présentes dans le code du travail au sein de sa partie réglementaire (article R. 4228‑10) et peuvent servir de base à l’établissement de telles mesures.

L’article 6 permet aux salariés et agents publics souffrant de dysménorrhée de demander à être en télétravail. Cette possibilité ne pourra pas supplanter le droit au congé menstruel.

L’article 7 octroie aux salariés et aux agents de la fonction publique des jours de congé en cas d’interruption spontanée de grossesse, autrement dit de « fausse couche » sans jour de carence.

L’article 8, enfin, gage la proposition de loi.


proposition de loi

Article 1er

I. – Après l’article L. 162‑4‑1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 162‑4‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 162411. – Le médecin ou la sage‑femme qui constate qu’une assurée souffre de dysménorrhée peut établir une prescription d’arrêt de travail de treize jours, valable pendant un an, autorisant l’assurée à interrompre le travail pour une durée ne pouvant excéder deux jours par mois. »

II. – Le titre VI du livre I du même code est ainsi complété :

1° L’article L. 160‑8 est complété par un 9° ainsi rédigé :

« 9° La couverture des frais relatifs à un examen annuel de prévention de santé menstruelle. »

2° Après le 28° de l’article L. 160‑14, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 29° Pour les frais liés à l’examen de prévention de santé menstruelle mentionné au 9° de l’article L. 160‑8 ou relevant des soins mentionnés au 1° de l’article L. 160‑9‑1. »

3° Le chapitre II est complété par un article L. 162‑1‑25 ainsi rédigé :

« Art. L. 162125. – Une consultation annuelle de prévention de santé menstruelle, réalisée par un médecin généraliste ou spécialiste, est prise en charge en totalité par les régimes obligatoires de l’assurance maladie et maternité, et les bénéficiaires de ces actes sont dispensés de l’avance des frais. »

Article 2

I. – Le titre II du livre III du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° L’article L. 321‑1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’assurance maladie assure également le versement d’indemnités journalières lorsque l’assuré interrompt le travail après y avoir été autorisé dans les conditions fixées à l’article L. 162‑4‑1‑1. »

2° Après l’article L. 323‑1‑1, il est inséré un article L. 323‑1‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 32312. – Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 323‑1, en cas d’incapacité de travail résultant de dysménorrhée, l’indemnité journalière est accordée sans délai. »

3° Après l’article L. 323‑4, il est inséré un article L. 323‑4‑1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 32341 A. – Par dérogation à l’article L. 323‑4, l’indemnité journalière versée dans le cas visé à l’article L. 323‑1‑2 est égale à la totalité des revenus d’activité antérieurs soumis à cotisations à la date de l’interruption du travail, retenus dans la limite d’un plafond et ramenés à une valeur journalière. »

II. – Après le 1° du II de l’article 115 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 1° bis Lorsque le congé de maladie résulte de dysménorrhée » ;

Article 3

La section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail est complétée par une sous‑section 5 ainsi rédigée :

« Sous‑section 5

« Congé menstruel

« Paragraphe 1

« Ordre public

« Article L. 3142351. – La salariée a droit, sur justification mais sans préavis, à un congé menstruel dans les conditions fixées à l’article L. 162‑4‑1‑1 du code de la sécurité sociale. La durée de ce congé ne peut être imputée sur celle du congé payé annuel.

« Article L. 3142352. – En cas de différend, le refus de l’employeur peut être directement contesté par le salarié, visé à l’article L. 3142‑35‑1, devant le conseil de prud’hommes, statuant selon la procédure accélérée au fond, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

« Paragraphe 2

« Champ de la négociation collective

« Article L. 3142353. – Pour mettre en œuvre le droit à congé du salarié mentionné à l’article L. 3142‑35‑1, une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche déterminent une durée de ce congé supérieure à celle prévue à l’article L. 162‑4‑1‑1 du code de la sécurité sociale. »

Article 4

I. – À la première phrase de l’article L. 622‑1 du code général de la fonction publique, après le mot « parentalité » sont insérés les mots : « , au congé menstruel dans les conditions fixées à l’article L. 162‑4‑1‑1 du code de la sécurité sociale »

II. – Le II de l’article 115 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° Au congé accordé dans le cadre de l’article L. 162‑4‑1‑1 du code de la sécurité sociale. »

Article 5

I. – L’article L. 1321‑2 du code du travail est complété par un 3° ainsi rédigé :

« 3° Le règlement intérieur rappelle l’égalité entre les sexes prévue par le présent code et établit les dispositions nécessaires à la prise en considération matérielle de la santé menstruelle dans l’entreprise. »

Article 6

I. – Le II de l’article L. 1222‑9 du code du travail est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° Les modalités d’accès des salariées souffrant de règles douloureuses et invalidantes à une organisation en télétravail. »

II. – Le premier alinéa de l’article L. 430‑1 du code de la fonction publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le télétravail est accordé à la demande de l’agent public souffrant de règles douloureuses et invalidantes. »

Article 7

I. – La sous‑section 1 de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail est ainsi modifié :

1° L’article L. 3142‑1 est complété par un 6° ainsi rédigé :

« 6° Le salarié et son conjoint, concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité ont droit chacun à un congé en cas de survenue d’une interruption spontanée de grossesse ».

2° L’article L. 3142‑4 est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° Cinq jours pour la survenue d’une interruption spontanée de grossesse ».

II. – Après l’article L. 622‑2, il est inséré dans le code général de la fonction publique un article L. 622‑2‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 62221. – Les agents publics, ainsi que leur conjoint, concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité, bénéficient, de droit, d’une autorisation spéciale d’absence de cinq jours ouvrables en cas de survenue d’une interruption spontanée de grossesse. »

III. – Le 6° du II de l’article 115 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, est complété par les mots : « ou consécutivement à la survenue d’une interruption spontanée de grossesse ».

Article 8

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.