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N° 1388

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juin 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à établir une taxe sur l’utilisation des navires de croisière,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Mickaël BOULOUX, Boris VALLAUD, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Marie-Noëlle BATTISTEL, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Iñaki ECHANIZ, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Bertrand PETIT, Anna PIC, Christine PIRES BEAUNE, Dominique POTIER, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Mélanie THOMIN, Cécile UNTERMAIER, Roger VICOT,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 7 jours, un passager d’un bateau de croisière de taille moyenne émettrait 2,8 tonnes de gaz à effet de serre, selon l’ONG Transport & Environment. Une autre estimation, réalisée par le collectif « Stop Croisières », montre qu’un méga‑navire, parmi les 53 plus grands en activités dans le monde mesurant plus de 300 mètres, a une consommation de 64 000 tonnes de carburant en 8 jours ; c’est‑à‑dire, autant que la totalité du carburant consommé par l’ensemble des automobilistes de France cette même semaine. Un passager ou une passagère de ce méga‑navire de croisière émettrait donc pour un séjour de 8 jours 4,4 tonnes de CO2, soit autant qu’un Français ou une Française sur un an.

Pourtant, alors que nous savons aujourd’hui que c’est bel et bien 2 tonnes qu’il conviendra d’émettre par an et par personne en 2050 afin de respecter les trajectoires d’émissions carbones convenues par l’Accord de Paris, l’augmentation du nombre de ces bateaux, toujours plus grands, plus luxueux et plus gourmands en énergies fossiles ces dix dernières années, a échappé à toute réglementation.

À ce jour, alors qu’il existe, dans le règlement européen n° 1177/2010 sur le droit des passagers maritimes et fluviaux, une définition décrivant ce qu’il faut entendre par navire de croisière, aucune définition d’ordre législatif ou réglementaire en droit français n’existe. Il conviendrait par conséquent de transposer la définition en vigueur dans le droit européen sur les navires de croisière qui est ainsi exprimée : « embarcation proposant un service de transport par mer ou par voie de navigation intérieure exploité exclusivement à des fins de plaisance ou de loisirs, complété par un hébergement et d’autres prestations, consistant en plus de deux nuitées à bord ». Le vide juridique en droit français n’offre en effet aucune base légale sur laquelle le législateur peut travailler pour élaborer une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre et sur les entrées dans nos eaux territoriales de ces engins flottants.

Pourtant, ces navires continuent de relâcher des substances toxiques comme le souffre ou le monoxyde d’azote dans des quantités dangereuses pour le vivant et ils n’ont pas été incités à accélérer l’électrification de leurs infrastructures. Certes, la construction du dernier paquebot de MSC Croisières de 333 mètres de long, le « World Europa », est vantée, car ce bateau navigue grâce au gaz naturel liquéfié qui diminue de 20 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport au fioul lourd ; pour autant, c’est oublier que ces nouveaux bateaux viendront seulement s’ajouter à ceux déjà en service et qu’ils contribueront à faire exploser les émissions du secteur.

Cette aberration écologique constitue un anachronisme face à l’accélération du changement climatique et aux efforts d’adaptation qui nous obligent. Si à l’été 2021 la ville de Venise a banni leur entrée du centre historique, c’est aussi parce que leur amarrage a fragilisé la lagune, sans compter que l’arrivée à terre des passagers contribue largement au tourisme de masse que les métropoles du sud de l’Europe – telles Barcelone ou Marseille – peinent à endiguer. Ces bateaux s’arrêtent en effet pour seulement quelques heures, sans participer ni à l’essor de l’économie locale, ni a à la vie culturelle des lieux.

Et pour cause, une journée sur un navire de croisière, tel le plus gros paquebot du monde, le « Wonder of the Seas », peut se résumer en une après‑midi à la patinoire, une soirée dans un de ses 35 restaurants, ou encore une matinée au parc naturel flottant qu’il accueille. Avec ses 333 mètres de long, 47 mètres de large et 68 mètres de haut, le « MSC World Europa » arpente la Méditerranée, sans que ses passagers n’aient besoin d’en descendre pour visiter nos côtes, car pléthore d’activités de loisirs sont présentes à bord.

Pourtant, ces croisières ont un impact considérable sur nos espaces maritimes. En 2018, l’association Atmo Sud, agréée par le ministère de l’Environnement pour la surveillance de la qualité de l’air, a annoncé que les émissions d’oxyde d’azote d’origine maritime dépassaient désormais les émissions routières. Les seuils de concentrations en particules fines dans l’air sont d’ailleurs souvent dépassés dans les grandes villes qui accueillent ces ports de plaisance comme Marseille. Les émissions de gaz à effet de serre des navires de croisière participent de façon disproportionnée au phénomène d’acidification des océans, menaçant ainsi les écosystèmes marins déjà fragilisés par la montée des températures. Cette situation doit nous obliger à trouver une solution désincitative au tourisme de croisières.

Les changements d’usage demandés aux Françaises et aux Français dans leur mobilité du quotidien, au travers de l’implémentation de ZFE, de l’utilisation des transports en commun ou du vélo, risquent également de générer un sentiment d’injustice s’ils sont les seuls à être impactés par les politiques environnementales. L’ensemble du secteur des transports doit être régulé. En ce sens, cette proposition de loi vise à concourir au principe d’égalité devant les charges publiques, par la mise en place d’une taxe sur l’utilisation des bateaux de croisière.

Il est urgent d’encadrer le tourisme de croisière via l’instauration d’une taxation sur leurs émissions de gaz à effet de serre, à partir du moment où ces navires traversent l’espace maritime français, qu’ils s’amarrent ou non dans un de ses ports, qu’ils s’agissent d’un pavillon français ou non ou qu’ils soient immatriculés en France ou non.

Le tarif de cette taxe est calqué sur le tarif de la taxe carbone, et les navires concernés sont ceux dits « de croisière » tels que nouvellement définis par l’article L. 500‐5 du code des transports. Sont exclus du dispositif les navires concourant aux services publics et les bâtiments militaires. Sont également exemptés les navires de transport affrétant des passagers sur des lignes régulières ou irrégulières, sur lesquels les passagers passent moins de 2 nuits à bord.

La mise en place de la présente proposition de loi s’appuie sur des technologies qui existent déjà, notamment pour l’identification et le suivi des navires. Un croisement avec les caractéristiques de motorisation permettra ainsi de calculer les émissions de CO2 et donc la taxe.

Si la taxation de ces navires est avant tout à visée écologique, il s’agit également d’une question de santé publique et de justice fiscale et sociale. Comment faire accepter en effet aux Françaises et aux Français la sobriété nécessaire dans le cadre de la transition énergétique, pendant qu’en parallèle, une vie d’efforts d’un Français moyen peut être effacée par un séjour sur un navire de croisière ?

L’objectif visé par la présente proposition de loi est par ailleurs de renforcer la prise de conscience quant à l’importance pour chacune et chacun de réduire son empreinte carbone, à la nécessaire sortie des énergies fossiles et au recours indispensable à des moyens de transport alternatifs moins polluants. Alors que l’ensemble des Françaises et des Français doit respecter les Zones à Faibles Émissions (ZFE) afin de lutter contre la pollution émise par le trafic routier, il importe que les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre soient également mis à contribution.

L’effort collectif à mettre en place pour respecter nos objectifs de neutralité carbone ne peut plus épargner le monde de la navigation de croisière qui utilise des embarcations de luxe à forte puissance propulsive. Ce dernier doit donc se soumettre aux mêmes exigences que le reste de la population ou a minima contribuer à décarboner le reste du réseau de transports, ce que cette taxe vise à instaurer. En ce sens, cette proposition de loi permet de lever, pour les navires de croisière, le moratoire sur la taxe carbone décidé à la fin de l’année 2018.

L’article 1er de la présente proposition de loi modifie le code des transports à l’article L. 5000‑5 pour y inscrire une définition des navires de croisière sous contrat, effectuant des liaisons irrégulières, reprenant celle issue du règlement européen n° 1177/2010 sur le droit des passagers maritimes et fluviaux.

L’article 2 propose la création d’une taxe sur l’utilisation de ces navires dans nos eaux territoriales, en fonction des émissions de dioxyde de carbone.

L’article 3 interdit l’entrée de ces navires dans nos eaux territoriales françaises en Antarctique afin de les préserver de toute empreinte humaine et d’en faire, conformément au traité de l’Antarctique, des espaces dédiés à la paix et à la science.

L’article 4 prévoit quant à lui l’affectation du produit de cette taxe vers le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres (CELRL). Établissement public d’État placé sous la tutelle du ministère chargé de l’Environnement, le CELRL porte des stratégies foncières pour préserver les espaces naturels littoraux.

 

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 5000‐5 du code des transports est complété par un 3° ainsi rédigé :

« 3° Pour les navires de croisière dont la longueur est supérieure à 150 mètres et d’une puissance propulsive nette maximale supérieure ou égale à 7 350 kilowatts, qui proposent un service de transport par mer ou par voie de navigation intérieure exploité exclusivement à des fins de plaisance ou de loisirs, complété par un hébergement et d’autres prestations, consistant en plus de deux nuitées à bord. »

Article 2

Le paragraphe 2 de la sous‑section 3 de la section 2 du chapitre III du titre II du livre IV du code des impositions sur les biens et services est complété par un article L. 423‑25‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 423251.  Tout navire de croisière défini à l’article L. 5000‑5 du code des transports, entrant dans les eaux territoriales françaises, est soumis à une taxe.

« Le montant de cette taxe est fixé à 100 euros par tonne de dioxyde de carbone émise par le navire.

« Sont exonérés les engins flottants d’État ou militaires, affectés à un service public, ainsi que ceux effectuant une mission de service public, de recherche, de sauvetage, de sécurité civile, de lutte contre les incendies, sanitaire, médicale, d’instruction ou d’essai. »

Article 3

La section 6 du chapitre Ier du titre II du livre III du code de l’environnement est complétée par un article L. 321‑12‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 321121. – Tout navire de croisière défini à l’article L. 5000‑5 du code des transports est interdit dans les eaux territoriales françaises de l’Antarctique telles que définies à l’article L. 711‑1 du présent code. »

Article 4

Après la première ligne du tableau du I de l’article 46 de la loi n° 2011‑1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, est insérée une ligne ainsi rédigée :

  

« 

Article L. 423‑25‑1 du code des impositions sur les biens et services

 Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres (CELRL)

15 000

»