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N° 1417

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juin 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre possible la contestation des arrêtés pris par les autorités de police administrative concernant les libertés fondamentales devant
le juge des référés,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Emmanuel FERNANDES, Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER, Francesca PASQUINI, Sandra REGOL, Elsa FAUCILLON, Roger VICOT,

Député.es.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« L’État peut être légal mais il n’est légitime que lorsque,
à la tête de la nation, il reste l’arbitre qui garantit la justice et ajuste l’intérêt général aux libertés particulières. »

Albert Camus, L’affaire Jean de Maisonseul (1956)

Le gouvernement a fait le choix de la fuite en avant autoritaire de l’État, en réponse au plus grand mouvement populaire de l’histoire contemporaine de notre pays, inédite depuis la guerre d’Algérie, au mépris de tous les principes de la République et de la démocratie.

Depuis plusieurs mois, la charge du contrôle des atteintes aux libertés fondamentales pour préserver l’ordre public glisse du contrôle a priori, en amont de l’édiction des mesures par l’administration, vers le contrôle a posteriori en renvoyant la responsabilité du contrôle de légalité des actes administratifs aux juges dans les rares cas où ils sont saisis. Cette inversion de la responsabilité de la légalité des actes est illustrée le 9 mai à l’Assemblée nationale par les propos de Gérald Darmanin : « J’ai donné pour instruction que toutes les manifestations du type que vous décrivez, […] à Paris, comme partout sur le territoire national, fassent l’objet d’un arrêté d’interdiction du préfet. Nous laisserons donc les tribunaux juger, à la lumière de la jurisprudence, de la légalité de ces manifestations ». De la même manière, le Conseil d’État, en refusant d’annuler l’exécution du décret n° 2023‑283 du 19 avril 2023 relatif à la mise en œuvre des traitements d’images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative, renvoie également la responsabilité à la société civile de saisir le juge des référés systématiquement pour attaquer les arrêtés préfectoraux afin de s’assurer de leur légalité. Le décret litigieux n’encadre pas suffisamment l’utilisation des drones notamment pour ce qui concerne la gestion des informations personnelles recueillies. Pour le ministère de l’Intérieur et le Conseil d’État, l’encadrement doit donc se faire via les arrêtés préfectoraux dans chaque département, au cas par cas, pour instaurer le cadre permettant l’utilisation des drones de vidéo surveillance.

Ce glissement est déjà en soi attentatoire aux libertés publiques : dans un État de droit, c’est la liberté qui est le principe et la restriction l’exception. Les arrêtés publiés par les autorités de police administrative sont trop prolifiques pour que tous les arrêtés présentant un doute sérieux quant à leur légalité fassent l’objet d’un recours devant le juge administratif. Et même si c’était possible, encore faudrait‑il que les éventuels requérants aient la possibilité de prendre connaissance de l’existence des arrêtés suffisamment tôt. Or, l’administration, avec ses mesures de police administrative, se livre depuis plusieurs années et a fortiori depuis l’accélération du mouvement social à une stratégie d’évitement du contrôle du juge en se soustrayant à l’État de droit, condition de la démocratie.

Ainsi, les arrêtés sont publiés en catimini dans le relevé des actes administratifs de chaque préfecture. Cette section ne bénéficie pas de la publicité nécessaire à l’importance des arrêtés qu’elle contient. De plus, la publicité sur les réseaux sociaux des mesures de police administrative bénéficie d’une communication toute aléatoire : les mesures portant atteinte aux libertés fondamentales sont très souvent tues.

Si les possibles requérants arrivent malgré tout à prendre connaissance d’éventuels arrêtés présentant un doute sérieux quant à leur légalité, encore faudrait‑il que ceux‑ci soient publiés suffisamment tôt pour que le juge des référés puisse organiser une audience avant la fin des effets des arrêtés litigieux. Or, de nombreux arrêtés préfectoraux sont publiés trop tardivement, de sorte que le juge administratif, saisi en urgence, n’a pas le temps de statuer et doit rendre, contraint et forcé, des ordonnances de non‑lieux à statuer.

Si le pouvoir exécutif décide de systématiquement déroger aux libertés fondamentales en faisant porter la responsabilité de la légalité de ses actes au pouvoir judiciaire, alors le juge doit pouvoir bénéficier de toutes les conditions matérielles pour qu’il puisse statuer dans les temps pour qu’une mesure administrative illégale ne prenne effet. Les publications tardives – voire rétroactives au début des effets d’un arrêté – ont été intentionnellement orchestrées, à partir du 17 mars, pour organiser l’incontestabilité des arrêtés préfectoraux dont l’illégalité est manifeste pour tous.

Par exemple, par des arrêtés en date des 17 mars, 18 mars, 20 mars, 21 mars, 22 mars, 23 mars, 24 mars, 25 mars, 26 mars, 27 mars, 28 mars et 30 mars 2023, le préfet de police a interdit, chaque soir, toute manifestation à Paris. Aucun de ces arrêtés n’a été publié avant 17h, soit à l’heure même de leur application effective, pire, certains arrêtés ont été publiés postérieurement à la fin de l’interdiction édictée. Le préfet du Nord a également pris plusieurs arrêtés trop tardifs ou rétroactifs, celui du 12 mai 2023 pour l’utilisation de drones à Dunkerque ou celui mis en ligne le 24 mai 2023 à 18h33 pour un début de ses effets le 25 mai 2023 à 10h pour un déplacement du président de la République. Le 19 et 20 avril 2023, les préfectures du Bas‑Rhin et de l’Hérault ont pris des arrêtés détournant les périmètres de protections antiterroristes de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT). De l’aveu même du ministère de l’Intérieur, ils étaient illégaux, à tel point que les arrêtés similaires, publiés dans les temps, ont été suspendus ou retirés. Pourtant, malgré leur illégalité manifeste, la publication volontairement tardive voir rétroactive des arrêtés du 19 et 20 avril 2023 a rendu impossible la saisine du juge des référés.

En aucun cas, une publication tardive ne peut avoir pour seules motivations l’impunité des préfets quand ceux‑ci violent sciemment le droit à des fins de répression policière du mouvement social en dehors de tout contrôle du juge, dont l’impuissance est alors organisée. Ces stratégies d’évitement ne sont pas tolérables dans un État de droit : si des arrêtés préfectoraux sont illégaux, il est impératif qu’ils soient annulés par le juge administratif, c’est son premier rôle et il n’est pas négociable. Ces attaques à l’encontre de l’État de droit s’inscrivent dans un environnement plus large où l’impuissance de la Justice est également organisée par un manque de moyens structurel. Même en assurant seulement un jugement résiduel des conflits, les juridictions administratives sont au bord de l’embolie : les délais de jugement se comptent en années. Un poison se répand alors au sein de notre démocratie : l’apathie. Ce renoncement à l’indignation entérine toujours plus loin le recul de nos droits sur l’exorbitance d’un État devenant autoritaire. Nous supportons une situation qui a cessé de nous être intolérable tant elle nous est devenue coutumière.

Pourtant l’absence de possibilité d’exercer un recours juridictionnel dans le cadre d’une procédure d’urgence relève de l’inconventionnalité. L’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dispose que « toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale ». Si l’article est combiné à un autre droit garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), en l’espèce l’article 11 garantissant la « liberté de réunion pacifique », alors le droit au recours effectif est applicable aux procédures d’urgence devant le juge administratif. (En ce sens : v. Cour EDH, 13 décembre 2012, De Souza Ribeiro c. France, n° 22689/07, not. § 94.)

Le juge administratif n’a eu de cesse de rappeler à l’ordre l’administration pour publier dans un délai utile à leur contestation les arrêtés, sans que cela ne produise, pour l’heure, d’effet notable. Ainsi le tribunal administratif de Paris le 4 avril 2023, estime que « sauf motif impératif d’urgence lié au maintien et la sauvegarde de la sécurité publique dans une situation grave, une mesure de police restreignant les libertés publiques doit être publiée dans un délai permettant un accès utile au juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 5212 du code de justice administrative. » Le Conseil d’État, dans son ordonnance du 24 mai 2023, réaffirme à son tour cette première décision : « le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale. Ainsi, sauf motif impératif d’urgence lié au maintien et la sauvegarde de la sécurité publique dans une situation grave, une mesure de police affectant les libertés publiques doit être publiée dans un délai permettant un accès utile au juge, et notamment au juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 5212 du code de justice administrative. »

La mobilisation de l’État, disproportionnée et attentatoire à nos libertés publiques, pour réprimer un mouvement social et protéger l’image du président de la République dans ses opérations de communication, fissure la cohésion nationale. La sauvegarde de l’ordre public se base sur la garantie de la paix civile par la démonstration incontestable que n’importe quel différend peut se traiter devant la justice de notre pays. Entraver notre Justice, c’est organiser sciemment la sédition.

Cette présente proposition de loi vise donc à renforcer l’effectivité du droit au recours devant le juge des référés conformément aux principes de la République et de la démocratie.

Son premier et deuxième article obligent la publication des arrêtés préfectoraux et municipaux dans un délai raisonnable permettant de prendre en compte la prise de connaissance de l’arrêté par les requérants, la formation du recours et la convocation d’une audience du juge des référés avant le début des effets de l’arrêté litigieux.

Le dernier article vise à compenser la publication tardive d’un arrêté affectant les libertés publiques par une communication supplémentaire via les moyens traditionnels que les autorités de police administrative emploient pour communiquer régulièrement avec leurs administrés. Parmi les différents moyens de communication supplémentaires, les réseaux sociaux des préfectures ou des mairies et l’affichage sur les voies publiques concernées sont nécessaires à la connaissance des éventuels requérants pour qu’ils puissent former un recours dans le cadre d’une procédure d’urgence.


proposition de loi

Article 1er

Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l’article L. 211‑4 est complété par les mots : « qu’elle publie, dans un temps utile à sa contestation dans le cadre d’une procédure d’urgence, au sens de l’article L. 521‑2 du code de justice administrative. » ;

2° L’article L. 211‑7 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’interdiction est publiée dans un temps utile à sa contestation dans le cadre d’une procédure d’urgence, au sens de l’article L. 521‑2 du code de justice administrative. » ;

3° Le deuxième alinéa de l’article L. 226‑1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est rendu public, dans un temps utile à sa contestation dans le cadre d’une procédure d’urgence, au sens de l’article L. 521‑2 du code de justice administrative. » ;

4° Le dixième alinéa de l’article L. 242‑5 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle est publiée dans un temps utile à sa contestation dans le cadre d’une procédure d’urgence, au sens de l’article L. 521‑2 du code de justice administrative. ».

Article 2

L’article L. 221‑2 du code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La publicité de l’acte réglementaire s’effectue dans un temps utile à sa contestation dans le cadre d’une procédure d’urgence, au sens de l’article L. 521‑2 du code de justice administrative ; » ;

2° À la première phrase du second alinéa, les mots : « au premier alinéa » sont remplacés par les mots : « aux deux premiers alinéas ».

Article 3

Les arrêtés pris par les autorités de police administrative, notamment au sens des articles L. 211‑4, L. 242‑5, L. 226‑1 et L. 211‑7 du code de la sécurité intérieure, qui sont publiés au plus tôt quarante‑huit heures avant le début de leurs effets doivent prévoir des conditions de publication supplémentaires pour faire connaître l’existence et l’étendue de leurs effets. Les différents moyens de communication, avec notamment, l’inscription physique dans les mairies concernées, l’affichage sur les voies publiques concernées, les sites internet des autorités de police administrative concernées et leurs réseaux sociaux sont fixés par décret.