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N° 1474

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juillet 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à abroger le contrat d’engagement républicain
et l’extension abusive des motifs de dissolution d’associations,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean-François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le contrat d’engagement républicain, prévu par la loi malnommée du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi “Séparatisme”, et dont le décret d’application est entré en vigueur depuis un an et demi, s’applique aux demandes de subventions ou d’agréments d’associations. Cet outil de répression des associations a déjà des conséquences lourdes sur la liberté d’expression et d’action de ces dernières qui subissent des pressions de la part de l’État, des préfectures et des collectivités. A cette disposition s’ajoute l’extension des motifs de dissolution des associations qui menace arbitrairement bon nombre d’associations. Par cette proposition de loi, nous, députés du groupe La France inoumise - NUPES en demandons l’abrogation.

Le contrat d’engagement républicain impose à toute association qui sollicite une subvention publique ou un agrément de l’État de s’engager à respecter “les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République”, “à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République” et “à s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public”. Le décret d’application précise que ces associations et fondations “ne doivent entreprendre ni inciter à aucune sanction manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public”. L’article 12 de la loi prévoit également qu’en cas d’activité incompatible avec le contrat d’engagement républicain, les subventions attribuées peuvent être restituées.

Depuis l’entrée en vigueur de ce dispositif, les exemples locaux en prouvant le vice originel et ses dérives se multiplient : ici à Poitiers où le préfet de la Vienne Jean‑Marie Girier exige de la ville un remboursement de subventions attribuées à l’association écologiste Alternatiba Poitiers pour un événement lors duquel des ateliers de désobéissance civile étaient organisés, là à Lille où la maison régionale de l’environnement et des solidarités est convoquée par la préfecture pour avoir simplement prêté une salle au collectif “Non à l’agrandissement de l’aéroport de Lille Lesquin”, ou encore à Châlons ou le maire a décidé de retirer les subventions au Planning Familial accusé d’atteinte aux principes de laïcité et d’égalité hommes‑femmes du fait de l’apposition d’une affiche sur laquelle figurait une femme voilée, pour organiser un rassemblement sur le droit des femmes. Dans ce dernier cas, le Conseil d’État a finalement donné raison à l’association en annulant le retrait des subventions.

Avant la promulgation de la loi Séparatisme, toute association ou groupement de fait pouvait être dissout en cas de provocation « à des manifestations armées » selon l’article L. 212‑1 du code de la sécurité intérieure. L’article 16 de la loi a élargi cela aux provocations « à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».

Cette extension du champ d’application menace gravement tout un ensemble d’associations ou de mouvements écologistes, de défense des migrants ou encore de droit au logement dont des actions de dégradations peuvent être assimilées à des provocations à l’encontre des biens, comme les appels au sabotage d’installations ou de démantèlement d’un centre de rétention, ou encore l’occupation de lieux. Cette nouvelle rédaction ouvre la boîte de pandore et multiplie les possibilités de dissolutions d’associations de manière inadaptée et disproportionnée, faisant basculer le régime de dissolution pour atteinte très grave à l’ordre public à l’atteinte à des intérêts privés matériels, comme le souligne le Syndicat des avocats de France.

Lors de la précédente législature, les députés de notre groupe parlementaire se sont inconditionnellement opposés aux articles prévoyant ces dispositions et à l’entièreté de cette loi liberticide lors de son examen à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, toutes nos inquiétudes se concrétisent et les dérives se multiplient.

Le 1er mars 2022, pas moins de 25 associations (parmi lesquelles Greenpeace, Sherpa, Les Amis de la Terre ou France Nature Environnement) ont déposé un recours au Conseil d’État contre le décret d’application de la loi concernant le contrat d’engagement républicain, dont la décision devrait arriver d’ici la fin 2023. Ces associations écologistes alertent sur ce dispositif et dénoncent les atteintes “disproportionnées et déconnectées” aux libertés associatives, ainsi que le flou du texte qui contribue au risque de décisions arbitraires et de potentiels abus.

Certaines actions associatives sont par essence contradictoires avec des exigences du contrat telles que des activités de désobéissance civile pouvant être jugées illégales et considérées comme des atteintes à l’ordre public (zones à défendre, intrusion dans des zones sécurisées, réquisitions citoyennes…), mais faisant pleinement partie de leur répertoire d’actions habituel. Les associations les pratiquant doivent prendre le risque de se voir retirer subventions et agrément, pourtant essentiels à leur fonctionnement et représentativité. Plus de 61 % des associations compteraient sur les subventions publiques, déjà en baisse, pour subsister. Des organisations non gouvernementales (ONG) y voient également la crainte de moins peser sur les politiques environnementales en menaçant leur participation aux instances consultatives ou leur capacité à agir en justice.

Après la répression des mobilisations contre les bassines à Saint‑Soline d’octobre à mars dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui a qualifié les actions des militants d’« éco‑terrorisme », souhaitait procéder à la dissolution des Soulèvements de la terre, notamment du fait de plusieurs actions décrites comme de l’« éco‑sabotage ». Du fait de la faiblesse juridique du dossier, la dissolution n’avait pas été prononcée. Jusqu’au mercredi 21 juin, date à laquelle le Gouvernement a officiellement annoncé le décret de dissolution du collectif. Cette décision fait suite à la dernière mobilisation coorganisée par Les Soulèvements de la Terre contre le maraîchage industriel et les nouvelles perquisitions ce mois‑ci des personnes proches du mouvement. Sans surprise, le décret se base sur la réécriture de l’article prévoyant les motifs de dissolution d’associations prévue par la loi Séparatisme. Du fait de cette dissolution, toute personne se revendiquant du collectif peut être poursuivie (la peine pour reconstitution d’un groupement dissous peut aller jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 d’amendes) et le Gouvernement dispose de moyens de surveillance importants pour appliquer cette interdiction. Selon Julien Talpin, chercheur au CNRS, « c’est la première fois qu’une procédure de dissolution est engagée contre une organisation écologiste ».

Ces dispositions contribuent au renforcement du contrôle social et à la suspicion généralisée, en attribuant à l’État un large pouvoir d’interprétation et de sanctions. En 2020, l’Observatoire des libertés associations publiait son premier rapport, Une citoyenneté réprimée, et dressait déjà un constat particulièrement inquiétant sur les libertés associatives en France. S’appuyant sur 100 cas d’associations réprimées, ce rapport décrit les différents types d’atteintes aux libertés associatives : symboliques, matérielles, juridiques et physiques. La loi Séparatisme est une nouvelle étape vers ces restrictions.

De nombreuses instances ont manifesté à diverses occasions leurs craintes, que ce soit le Défenseur des droits, la Conférence des ONG du Conseil de l’Europe, le Syndicat de la magistrature ou encore le Syndicat des avocats de France. Ainsi contraintes légalement, de nombreuses associations se verront dissuadées d’exprimer leurs opinions ou d’agir sur des causes d’intérêt général. Comme l’écrivent à juste titre Antonio Delfini, Nabil Elfaouz et Julien Talpin, membres de l’Observatoire des libertés associatives, “Si cette loi avait existé, on aurait dissous « Les Enfants de Don Quichotte » quand ils ont mis des tentes le long du canal SaintMartin pour demander le droit au logement pour les SDF, on aurait coupé les ailes à ActUp après ses actions pour le droit des malades du sida, on couperait tout financement public à la Confédération paysanne dont les membres ont fauché des OGM pour alerter sur les risques envi­ronnementaux de ces pratiques”.

Dans le même temps que le Gouvernement s’acharne contre certaines associations, nous découvrons le scandale du Fonds Marianne, créé après la mort de Samuel Paty pour financer des actions de prévention de la radicalisation. Les 2,5 millions d’euros de ce fonds auraient grassement subventionné des associations aujourd’hui mises en cause tant pour leur fonctionnement que pour leurs contenus. Le processus de sélection de ces bénéficiaires est actuellement sous les feux d’une commission d’enquête sénatoriale, ainsi que de l’Inspection générale de l’administration et du Parquet national financier.

La défiance de l’État et les rappels à l’ordre institutionnels, vis‑à‑vis d’engagements sur des principes dictés par la puissance publique, d’associations diverses et variées contribuant à l’intérêt général, sont dangereux pour notre démocratie. La loi “Séparatisme” porte atteinte aux libertés défendues tant par notre Constitution que par la Convention européenne des droits de l’Homme que sont les libertés d’association, d’expression, de réunion ainsi que la libre administration des collectivités territoriales. Notre programme, L’Avenir en commun, en prévoit l’abrogation. Cette loi, au nom trompeur, ne conforte pas les principes républicains mais les fragilise.

L’article 1er vise à abroger le contrat d’engagement républicain.

L’article 2 vise supprimer l’extension des motifs de dissolution d’associations et groupements de fait.


proposition de loi

Article 1er

L’article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations est abrogé.

Article 2

À la fin du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, les mots : « ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » sont supprimés.