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N° 1494

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juillet 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les discriminations
par la pratique de tests individuels et statistiques,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marc FERRACCI, Sylvain MAILLARD, Fadila KHATTABI, Sacha HOULIÉ, Fanta BERETE, Guillaume GOUFFIER VALENTE et les membres du groupe Renaissance (1) et apparentés (2),

députés.

 

 

(1) Mesdames et Messieurs : Caroline Abadie, Damien Adam, Éric Alauzet, David Amiel, Pieyre‑Alexandre Anglade, Jean-Philipe Ardouin, Antoine Armand, Quentin Bataillon, Belkhir Belhaddad, Mounir Belhamiti, Fanta Berete, Éric Bothorel, Florent Boudié, Chantal Bouloux, Bertrand Bouyx, Pascale Boyer, Yaël Braun-Pivet, Maud Bregeon, Anthony Brosse, Anne Brugnera, Danielle Brulebois, Stéphane Buchou, Françoise Buffet, Céline Calvez, Éléonore Caroit, Lionel Causse, Jean-René Cazeneuve, Pierre Cazeneuve, Émilie Chandler, Clara Chassaniol, Yannick Chenevard, Fabienne Colboc, François Cormier‑Bouligeon, Laurence Cristol, Dominique Da Silva, Christine Decodts, Julie Delpech, Frédéric Descrozaille, Benjamin Dirx, Ingrid Dordain-Saint, Nicole Dubré-Chirat, Philippe Dunoyer, Philippe Emmanuel, Sophie Errante, Philippe Fait, Marc Ferracci, Jean-Marie Fiévet, Philippe Frei, Jean-Luc Fugit, Thomas Gassilloud, Anne Genetet, Raphaël Gérard, Hadrien Ghomi, Éric Girardin, Joël Giraud, Olga Givernet, Charlotte Goetschy-Bolognese, Guillaume Gouffier Valente, Jean-Carles Grelier, Marie Guévenoux, Claire Guichard, Philippe Guillemard, Benjamin Haddad, Nadia Hai, Yannick Haury, Pierre Henriet, Laurence Heydel Grillere, Alexandre Holroyd, Sacha Houlié, Servane Hugues, Monique Iborra, Alexis Izard, Jean-Michel Jacques, Caroline Janvier, Guillaume Kasbarian, Brigitte Klinkert, Daniel Labaronne, Emmanuel Lacresse, Amélia Lakrafi, Virginie Lanlo, Michel Lauzzana, Pascal Lavergne, Sandrine Le Feur, Didier Le Gac, Gilles Le Gendre, Constance Le Grip, Anaïg Le Meur, Christine Le Nabour, Nicole Le Peih, Fabrice Le Vigoureux, Marie Lebec, Vincent Ledoux, Mathieu Lefèvre, Patricia Lemoine, Brigitte Liso, Jean-François Lovisolo, Sylvain Maillard, Laurence Maillart-Méhaignerie, Jacqueline Maquet, Louis Margueritte, Christophe Marion, Sandra Marsaud, Alexandra Martin (Gironde), Didier Martin, Denis Masséglia, Stéphane Mazars, Graziella Melchior, Ludovic Mendes, Lysiane Métayer, Nicolas Metzdorf, Marjolaine Meynier-Millefert, Paul Midy, Laure Miller, Benoit Mournet, Karl Olive, Nicolas Pacquot, Sophie Panonacle, Astrid Panosyan-Bouvet, Didier Parakian, Didier Paris, Charlotte Parmentier-Lecocq, Emmanuel Pellerin, Patrice Perrot, Anne-Laurence Petel, Michèle Peyron, Béatrice Piron, Claire Pitollat, Jean-Pierre Pont, Éric Poulliat, Natalia Pouzyreff, Rémy Rebeyrotte, Robin Reda, Véronique Riotton, Stéphanie Rist, Marie-Pierre Rixain, Charles Rodwell, Xavier Roseren, Jean-François Rousset, Lionel Royer-Perreaut, Thomas Rudigoz, Laetitia Saint‑Paul, Mikaele Seo, Freddy Sertin, Charles Sitzenstuhl, Philippe Sorez, Bertrand Sorre, Violette Spillebout, Bruno Studer, Liliana Tanguy, Sarah Tanzilli, Jean Terlier, Huguette Tiegna, Stéphane Travert, Annie Vidal, Patrick Vignal, Corinne Vignon, Lionel Vuibert, Guillaume Vuilletet, Christopher Weissberg, Éric Woerth, Caroline Yadan, Jean-Marc Zulesi.

(2) Mesdames et Messieurs : Damien Abad, Benoît Bordat, Mireille Clapot, Stella Dupont, Bastien Marchive, Cécile Rilhac, David Valence, Stéphane Vojetta.

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Discriminer revient à traiter de manière différente deux personnes aux caractéristiques similaires, qui se distinguent par un critère de discrimination : l’origine, l’âge, l’adresse ou le sexe par exemple. Les discriminations, notamment dans l’accès à l’emploi ou au logement, remettent en question le principe d’égalité qui est au fondement de notre pacte républicain. Elles sont source de ressentiment chez les personnes qui les subissent, et favorisent le repli communautaire, autant que les tensions sociales. Les discriminations sur le marché du travail ont par ailleurs un coût économique important, comme le montre France Stratégie, qui estimait dans un rapport de 2016 que la suppression des discriminations en matière d’emploi augmenterait le PIB à long terme entre 4 % et 14 %.

Plus d’un quart de la population active française considère que les individus sont souvent ou très souvent discriminés au cours de leur vie, quel que soit le critère envisagé. L’origine est généralement perçue comme le critère le plus discriminant, devant l’âge, l’état de santé, le handicap ou l’apparence physique. Une note du Conseil d’Analyse Économique publiée en juin 2020 le confirme : les études réalisées depuis vingt ans révèlent que les discriminations sur le marché du travail ou sur le marché du logement restent intenses en France.

Ces résultats peuvent surprendre car la France dispose d’un arsenal réglementaire très étoffé interdisant les discriminations. Mais sa mise en œuvre est particulièrement compliquée pour les victimes. Dans son rapport de 2020 consacré spécifiquement aux discriminations liées aux origines, le Défenseur des droits notait ainsi que « si le droit des discriminations s’est considérablement développé, le recours contentieux est une démarche lourde pour les victimes et son impact reste limité comme outil de dissuasion et de lutte contre les discriminations. »

Démontrer l’existence des discriminations et lutter efficacement contre ces comportements requiert en effet des moyens spécifiques. L’enjeu est aujourd’hui moins d’ajouter aux vingt‑cinq critères de discrimination que mentionne le code pénal, que d’améliorer l’efficacité des processus qui permettent d’identifier et de réparer ces discriminations. Il est à cet égard nécessaire, conformément aux engagements pris par le Président de la République, d’amplifier la pratique des tests de discrimination, et d’en accroître les effets au bénéfice de nos concitoyens.

Le test statistique de discrimination est généralement pratiqué par des chercheurs indépendants. Il consiste à adresser à des entreprises ou des administrations un nombre important de candidatures similaires, ne différant que par un critère de discrimination choisi - l’origine de la personne par exemple - afin d’observer d’éventuelles différences de réponses des employeurs. Parce qu’ils reposent sur des candidatures fictives, ces tests ne sont pas admis comme preuve dans le cadre d’un recours juridictionnel. La publicité des résultats peut en revanche conduire à changer les comportements des acteurs, mais ceci suppose certaines conditions, qui à l’heure actuelle ne sont pas réunies en France. Il est en particulier nécessaire d’organiser un dialogue constant entre les parties prenantes que sont les représentants des entreprises, les associations et les chercheurs, afin de partager en amont la méthode des tests, de définir les conditions de publication des résultats, mais aussi d’accompagner les personnes morales pointées comme discriminantes dans leurs changements de pratiques.

Le test individuel consiste quant à lui à mettre en évidence une discrimination subie par une personne réelle, en adressant une candidature similaire à la sienne mais dépourvue du critère de discrimination. Parce qu’ils permettent d’établir un préjudice, ces tests sont admis par le code pénal comme une preuve de discrimination, ouvrant droit à réparation. S’ils reposent sur le même principe, tests statistiques et tests individuels poursuivent des finalités différentes : faire évoluer les comportements par la publication des résultats d’un côté, permettre au citoyen d’obtenir une juste réparation de l’autre. De ce point de vue, les tests de discrimination se distinguent ici clairement de la démarche de collecte des statistiques liées à l’origine - ou « statistiques ethniques » - puisqu’ils ne reposent nullement sur la collecte systématique de données individuelles.

La présente proposition de loi vise à systématiser la pratique de ces deux types de tests, afin de renforcer l’arsenal de lutte contre les discriminations dans notre pays, tout en améliorant la connaissance des phénomènes de discrimination.

Dans son article premier, elle prévoit la création d’un service placé sous la tutelle du Premier ministre et ayant pour mission la lutte contre toutes les formes de discriminations. La proposition de loi confie à ce service la mission d’aider les citoyens qui en feraient la demande à réaliser des tests individuels pour vérifier s’ils sont victimes de discrimination. Il serait également chargé de réaliser des tests statistiques sur des entreprises et des organismes publics, selon un programme de travail défini par le Gouvernement.

L’article 2 prévoit que soit créé au sein de ce service un comité des parties prenantes dédié à la lutte contre les discriminations, composé notamment de représentants des personnes morales susceptibles d’être testées et de parlementaires. Celui‑ci serait chargé d’élaborer en lien avec des chercheurs la méthodologie des tests, de proposer la publication de tout ou partie des résultats de ceux‑ci, et de formuler des recommandations à destination des personnes morales testées afin de réduire les discriminations. Ceci doit permettre de diffuser à l’ensemble des acteurs la culture des tests, et d’organiser un dialogue permettant de faire progresser effectivement les pratiques.

Enfin, l’article 3 de la proposition de loi donne une base législative à la diffusion des résultats des tests statistiques, et donc à la publication des noms des personnes morales dont le comportement discriminatoire a été établi. Afin que la démarche de lutte contre les discriminations soit fondée sur le dialogue et l’amélioration des pratiques des acteurs, cet article prévoit que pour éviter la publication des résultats des tests, les personnes morales concernées aient la possibilité définir par le dialogue social ou de manière unilatérale un plan de lutte contre les discriminations.

 

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Un service, placé sous l’autorité du Premier ministre, est chargé d’œuvrer à la connaissance, à la prévention et à la correction des situations de discrimination.

Ce service :

1° Informe, conseille et oriente les personnes souhaitant réaliser des tests individuels de discrimination ;

2° Peut réaliser, sous des conditions déterminées par décret, à la demande de toute personne s’estimant victime d’une discrimination mentionnée aux articles 225‑1, 225‑2 et 432‑7 du code pénal et aux articles L. 1146‑1 et L. 2146‑2 du code du travail, des tests individuels de discrimination selon les modalités définies à l’article 225‑3‑1 du code pénal ;

3° Réalise ou finance la réalisation de tests de discrimination de nature statistique, selon un programme établi par le Gouvernement ;

4° Assiste, à leur demande, les personnes morales visées par les tests pour corriger les situations de discriminations mises en évidence par les tests mentionnés au 3° ;

5° Rend publics les résultats des tests statistiques de discrimination dans les cas prévus à l’article 3 ;

6° Élabore chaque année un rapport d’activité, remis au Parlement et rendu public, qui précise notamment les suites données aux tests statistiques et individuels de discrimination.

II. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

Article 2

I. – Le service mentionné à l’article 1er de la présente loi comprend un comité des parties prenantes, chargé de mener des concertations et des débats ainsi que de formuler des propositions en matière de lutte contre les discriminations.

Le comité des parties prenantes élabore la méthodologie des tests de discrimination et émet des avis sur les suites devant leur être données.

Le comité des parties prenantes est composé :

1° De deux députés et deux sénateurs, désignés respectivement par l’Assemblée nationale et par le Sénat ;

2° De personnalités choisies en raison de leur compétence statistique, juridique, économique ou sociale en matière de tests de discrimination ;

3° De représentants des personnes morales publiques et privées susceptibles d’être testées ;

4° D’un membre désigné par le Défenseur des droits.

II. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

Article 3

I. – Lorsque le résultat d’un test organisé en application du 3° de l’article 1er de la présente loi révèle des pratiques discriminatoires mentionnées à l’article L. 225‑2 du code pénal ou à l’article L. 1132‑1 du code du travail, le service du Premier ministre mentionné à l’article 1er.

1° Peut publier ces résultats, après avis du comité mentionné à l’article 2, par dérogation aux articles L. 311‑6 et L. 312‑1‑2 du code des relations entre le public et l’administration.

2° En informe l’autorité administrative territorialement compétente.

II. – Au regard des éléments fournis par le service mentionné à l’article 1er sur des pratiques discriminatoires mentionnées à l’article L.1132‑1 du code du travail, l’autorité administrative en charge de la politique du travail territorialement compétente met en demeure l’employeur visé à l’article L. 2211‑1 d’engager la négociation de mesures visant à prévenir ou corriger les discriminations et, à défaut d’accord, d’établir un plan d’action ayant le même objet, après consultation du comité social et économique, dans un délai de six mois.

Si, au terme du délai de six mois à compter de la mise en demeure, l’accord est en cours de négociation, l’employeur en informe l’autorité administrative en charge de la politique du travail territorialement compétente, qui peut décider de prolonger le délai de trois mois supplémentaire afin de favoriser la conclusion de l’accord.

L’accord ou le plan d’action mentionné ‘au deuxième alinéa du présent II détermine les objectifs de progression prévus, définit les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre en s’appuyant sur les recommandations du comité des parties prenantes mentionné à l’article 2 de la présente loi, et évalue leur coût.

L’accord ou le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative en charge de la politique du travail territorialement compétente et au service mentionné à l’article 1er de la présente loi Si ledit service considère, après avis du comité mentionné à l’article 2 de la présente loi, que l’accord ou le plan transmis est manifestement insuffisant pour prévenir ou corriger les discriminations, les résultats des tests sont publiés, par dérogation aux articles L. 311‑6 et L. 312‑1‑2 du code des relations entre le public et l’administration.

III. – Au regard des éléments fournis par le service mentionné à l’article 1er de la présente loi sur des pratiques discriminatoires mentionnées à l’article L. 225‑2 du code pénal l’autorité administrative territorialement compétente met en demeure la personne morale qui a en charge la fourniture du bien ou du service ou l’accès à l’activité économique tels que mentionnés à l’article 225‑2 du code pénal d’établir un plan d’action visant à prévenir ou corriger les discriminations dans un délai de six mois.

Le plan d’action mentionné ‘au premier alinéa du présent III détermine les objectifs de progression prévus, définit les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre en s’appuyant sur les recommandations du comité des parties prenantes mentionné à l’article 2, et évalue leur coût.

Le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative territorialement compétente et au service mentionné à l’article 1er de la présente loi. Si ledit service considère, après avis du comité mentionné à l’article 2 de la même loi, que le plan transmis est manifestement insuffisant pour prévenir ou corriger les discriminations, les résultats des tests sont publiés, par dérogation aux articles L. 311‑6 et L. 312‑1‑2 du code des relations entre le public et l’administration.

IV. – La méconnaissance d’une des obligations mentionnées aux II et III du présent article est passible d’une amende administrative dans la limite de 0,5 % des rémunérations et gains au sens du premier alinéa de l’article L. 242‑1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741‑10 du code rural et de la pêche maritime versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article.

L’amende est prononcée par l’autorité administrative, dans des conditions prévues par décret. Son montant tient compte des efforts constatés dans l’entreprise en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de méconnaissance des obligations prévues au présent article.

V. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les éléments obligatoires que doit comporter l’accord ou le plan d’action mentionnés au II et III, les conditions de publication des tests par le service mentionné à l’article 1er, ainsi que les conditions de fixation par l’autorité administrative de l’amende mentionnée au IV.

Article 4

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.