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N° 1592

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à mettre en place une visite médicale de contrôle
à la conduite pour les conducteurs
de soixantequinze ans et plus,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée

M. Bruno MILLIENNE,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le permis de conduire est un droit administratif de circuler donnant l’autorisation de conduire sur une route publique un ou plusieurs véhicules tels qu’une automobile, une motocyclette, un cyclomoteur, un camion ou un autobus, dans une zone géographique donnée, généralement un pays. Il gage la capacité du conducteur à circuler sans mettre en danger sa vie ni celle d’autrui.

En France, le permis de conduire est délivré à vie, alors que dans la plupart des pays européens, il n’est valable que 10 ans. Depuis le 16 septembre 2013, le titre de conduite au format « carte de crédit » délivré par l’administration bénéficie d’une période de validité de 15 ans. Il s’agit d’une période de validité liée au document en luimême. Le renouvellement consiste en une simple démarche administrative : il n’y aura ni examen de conduite, ni contrôle médical à passer. Ce renouvellement permettra simplement d’actualiser l’adresse et la photo du titulaire.

Ainsi, à l’exception d’affections médicales incompatibles avec l’obtention ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire à durée de validité limitée ([1]), il n’existe pas de dispositif de contrôle régulier du conducteur. 

En France, il est ainsi du devoir de chaque conducteur d’être responsable de sa conduite en sachant s’évaluer, s’arrêter en cas de fatigue, consulter un médecin, être prêt à remettre en question ses pratiques quotidiennes. 

Toutefois, il est parfois complexe de s’autoévaluer, et de renoncer à une habitude de plusieurs dizaines d’années. Par conséquent, il peut arriver que certains conducteurs séniors continuent de conduire malgré des capacités manifestement affaiblies, mettant ainsi en danger leur propre personne tout comme les autres usagers de la route. 

Le cas de Pauline Déroulède - championne de France de tennis fauteuil, amputée de la jambe gauche après avoir été fauchée par un nonagénaire qui a perdu le contrôle de son véhicule en 2018 - est évocateur. Dans ce cas précis, comme d’autres qui égrainent régulièrement l’actualité, ce conducteur a confondu les pédales de son véhicule, laissant penser qu’il n’était pas en pleine capacité de le conduire.

Il est scientifiquement prouvé que les capacités physiologiques et cognitives nécessaires à une bonne conduite peuvent diminuer dès 45 ans. Reflexes moins affutés, baisse de la vue et de l’audition, rhumatismes qui peuvent contraindre l’amplitude des mouvements, prise éventuelle de médicaments ayant un impact sur la vigilance, problème de coordination, sont autant de facteurs qui peuvent survenir avec une fréquence plus élevée avec l’âge.

Même si la vitesse excessive reste la première cause identifiée d’accidents, l’analyse par classes d’âge des Auteurs Présumés d’Accidents mortels (APAM) pour l’année 2019 ([2]) montre que c’est ne pas le cas pour toutes les tranche d’âge : l’inattention et les difficultés pour respecter les priorités sont les causes principales pour les APAM les plus âgés (65 ans et plus).

En outre, en 2019, parmi les 3 244 personnes décédées sur la route, 60 % étaient responsables de leur accident ([3]). Pour chaque accident corporel, la responsabilité présumée des personnes impliquées est évaluée lors de l’enquête réalisée par les forces de l’ordre et mentionnée dans les Bulletins d’Analyse des Accidents de la Circulation (BAAC). Les conducteurs de véhicules de tourisme des tranches d’âge extrêmes – 18‑24 ans et 75 ans et plus – sont nettement plus souvent présumés responsables, avec des taux dépassant 75 % en 2019 (respectivement 77 % et 82 %). 

En plus d’être les plus responsables des accidents de la route, les conducteurs jeunes et seniors sont aussi les plus vulnérables. Selon le « Bilan 2022 provisoire de la sécurité routière ([4]) » de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), en 2022, 50 personnes sont décédées sur les routes pour 1 million d’habitants en France métropolitaine. Encore une fois, ce sont à la fois les plus jeunes et les plus âgés qui sont les plus touchés :

– 108 tués par million d’habitants chez les 18‑24 ans en 2022,

– 88 tués par million d’habitants chez les 75 ans et plus.

À la différence de la grande majorité de nos voisins européens, il n’existe en France aucune mesure permettant de contrôler les facultés des conducteurs tout au long de la vie. Le seul moyen d’empêcher une personne de conduire contre son gré, autre que la perte du permis, est de la dénoncer par un signalement à la préfecture. Dénoncer est une démarche lourde et culpabilisante. De plus, les démarches entreprises n’aboutissement que rarement du fait notamment de l’encombrement administratif dans les préfectures. À titre de comparaison, les conducteurs des Pays‑Bas doivent passer une visite médicale régulièrement à partir de 75 ans, les conducteurs finlandais à partir de 70 ans, les conducteurs portugais dès l’âge de 60 ans, et à chaque renouvellement en Italie (tous les 10 ans jusqu’à l’âge de 50 ans, tous les 5 ans entre 50 et 70 ans et tous les 3 ans à partir de 70 ans).

Ainsi, cette proposition de loi vise à mettre en place un contrôle régulier de l’aptitude à la conduite automobile pour tous les conducteurs en France. Ce contrôle prendra la forme d’une visite médicale systématique visant à évaluer l’aptitude à la conduite pour les conducteurs de 75 ans et plus. Cette visite, à renouveler tous les 5 ans, devra permettre au médecin :

– De valider les pleines capacités du conducteur ;

– De prononcer une interdiction totale de conduire, comme il est déjà habilité à le faire pour les usagers souffrant de certaines affections médicales incompatibles avec la conduite (problèmes cardio‑vasculaires, de vision…) ;

– De prononcer une interdiction partielle de conduire, laquelle pourrait être limitée dans le temps (uniquement la nuit par exemple) ou lié à d’autres facteurs (interdiction d’emprunter le réseau autoroutier par exemple).

Chaque conducteur soumis à une interdiction totale ou partielle de conduire du fait de capacités jugées trop faibles pour assurer sa sécurité et celles des autres usagers de la route disposera de la possibilité de faire appel devant la commission médicale primaire du permis de conduire. Cet appel sera suspensif.

Les conducteurs soumis à une interdiction totale ou partielle de conduire devront faire l’objet d’un accompagnement personnalisé afin que leur soient proposées des alternatives à la mobilité automobile.

Dans un premier temps, la mise en œuvre de cette proposition de loi pourrait faire l’objet d’une expérimentation dans plusieurs départements, notamment ceux où un système de transport publics efficace et accessible au plus grand nombre est déjà développé.

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

Après l’article L. 221‑2‑1 du code de la route, il est inséré un article L. 221‑2‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 22122. – Tout détenteur du permis de conduire de soixante‑quinze ans ou plus doit fournir un certificat médical délivré par un médecin agréé auprès de la préfecture du département et attestant de sa capacité totale ou partielle à conduire. Il peut prononcer l’interdiction totale ou partielle de conduire dans les conditions définies par décret pris en conseil d’État.

« Tous les cinq ans après ce premier certificat, il est procédé à un contrôle médical d’aptitude à la conduite.

« Le détenteur du permis de conduire peut faire appel à la suite de la décision du médecin agréé devant la commission médicale primaire du permis de conduire, levant de manière temporaire l’interdiction à la conduite. »

Article 2

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la majoration du tarif de la taxe mentionnée à l’article 991 du code général des impôts.


([1]) Arrêté Du 28 Mars 2022 Fixant La Liste Des Affections Médicales Incompatibles Ou Compatibles Avec Ou sans Aménagements Ou Restrictions Pour l’obtention, Le Renouvellement Ou Le Maintien Du Permis de Conduire Ou Pouvant Donner Lieu à La Délivrance de Permis de Conduire de Durée de Validité Limitée (Refonte) - Légifrance, n.d.

([2]) Synthèse du Bilan 2019 de la sécurité routière, Observatoire national interministériel de la sécurité routière - ONISR, https ://www.onisr.securiteroutiere.gouv.f
r/sites/default/files/202006/2020 %2005 %2031 %20Synth %C3 %A8se %20ONISR %20Bilan %20d %C3 %A9finitif %202019 %20vMS.pdf

([3]) La sécurité routière en France - Bilan de l’accidentalité de l’année 2019, Observatoire national interministériel de la sécurité routière – ONISR, https ://www.onisr.securiteroutiere.gouv.fr/sites/default/files/2020 09/Bilan_2019_version_site_internet_24_sept.pdf

([4]) Accidentalité routière 2022 en France - données provisoires au 31 janvier 2023, Observatoire national interministériel de la sécurité routière – ONISR,

https ://www.onisr.securiteroutiere.gouv.fr/sites/default/files/202301/2023 %2001 %2031_ONISR_Accidentalit %C3 %A9_Bilan_provisoire_2022_0.pdf