1

Description : LOGO

N° 1605

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2023.

PROPOSITION DE LOI

d’urgence visant à l’indemnisation intégrale et sans reste à charge
des particuliers, commerces, associations et services publics sinistrés lors des révoltes urbaines de juin 2023,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER

Député‑e‑s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le meurtre de Nahel Merzouk, survenu le 27 juin dernier à Nanterre, a déclenché une vague d’émotion et de colère à travers le pays, entraînant de nombreuses dégradations de biens publics, de logements, et de commerces indispensables à la vie quotidienne. En l’espace de quelques jours, ce sont plus de 12 000 véhicules incendiés, 2 508 bâtiments incendiés ou dégradés, et plus 1 000 commerces vandalisés : habitant·es, commerçant‑e‑s, usager‑e‑s des services publics sont devenu‑e‑s les victimes collatérales d’une crise née des choix politiques de ce gouvernement et des précédents.

Restaurer durablement la confiance ne peut s’exonérer de faire toute la vérité sur les violences policières, d’une refonte de la police républicaine, d’un plan de lutte contre les discriminations, et d’un plan d’urgence pour les quartiers populaires. Si seules des mesures fortes en faveur de l’égalité des droits permettront de sortir de cette crise, il est dès à présent urgent de garantir une prise en charge rapide des dégradations par la puissance publique.

Par ce texte, nous affirmons qu’il est du rôle de l’État d’encadrer l’indemnisation des sinistres privés comme publics constatés lors des révoltes urbaines survenues à partir du 27 juin 2023 : il en va de la solidarité et de la cohésion nationales.

Le 1er juillet dernier, le ministre de l’Économie et des Finances s’est une nouvelle fois contenté de “demander” : “Nous avons demandé aux assureurs de faire preuve de la plus grande simplicité dans le traitement des procédures", et de "réduire au maximum les franchises". Montant des franchises, différences de couverture des risques, temps de traitement des dossiers : force est de constater que l’ensemble des sinistré‑e‑s ne seront pas égaux face aux politiques d’indemnisation.

Les particuliers, les petites et moyennes entreprises, les services publics et les associations victimes des dégradations doivent obtenir une réparation intégrale des dommages subis : il est crucial d’éviter des indemnisations partielles, de garantir un traitement rapide et équitable des indemnisations, d’assurer qu’il ne subsiste aucun reste à charge pour les sinistré‑e‑s. Nous proposons donc la création d’un Fonds d’indemnisation exceptionnel suite aux révoltes urbaines, géré par l’État. Afin d’indemniser les particuliers et les petites et moyennes entreprises, ce dernier est abondé par la contribution des compagnies d’assurance. L’indemnisation des établissements publics, des associations, et des organismes à but non lucratif est assurée par l’État.

En outre, si Bruno le Maire affirme que “90 à 95 % des commerçants sont couverts par des assurances sinistres et dégâts”, seulement 50 % des commerçants seraient couverts par une garantie pertes d’exploitation. Au‑delà de la simple indemnisation des sinistres, se pose aussi la question du manque à gagner si l’activité ne peut redémarrer rapidement et des conséquences évidentes sur la pérennité financière des petites et moyennes entreprises. Il est donc nécessaire de prévoir un fonds de solidarité et d’aide à la reprise économique des petites et moyennes entreprises touchées. Fondé sur une péréquation inter‑entreprises, il est financé par la création d’une taxe sur les superprofits, gage financier de la présente loi.

Par la même, face aux menaces de hausse des prix des contrats d’assurance de dommages, la présente loi ouvre la possibilité de bloquer, par un décret en Conseil d’État et de manière temporaire, les prix des contrats.

Enfin, toute hausse des charges des collectivités territoriales à la suite d’un sinistre survenu lors des révoltes urbaines doit être compensée, à due concurrence, par l’État : ne pas s’assurer de cette compensation revient à renforcer le mécanisme de double‑peine subi par nos concitoyens vivant dans les quartiers populaires.

L’article premier prévoit la réparation intégrale des préjudices subis par les particuliers, les petites et moyennes entreprises, les associations, ainsi que les établissements publics du fait des dégradations pendant les révoltes urbaines survenues à partir du 27 juin 2023.

L’article 2 crée un fonds d’indemnisation exceptionnel suite aux révoltes urbaines, dédié à l’indemnisation des victimes de sinistres. Ce dernier, géré par la puissance publique afin de garantir l’équité dans le traitement des indemnisations, est financé par l’État ou par la contribution des compagnies d’assurance en fonction du statut des sinistrés.

L’article 3 crée un fonds de soutien à la reprise économique des petites et moyennes entreprises sinistrées, financé par une péréquation inter‑entreprises.

L’article 4 ouvre la possibilité de bloquer les prix des contrats d’assurance de dommage en cas de hausse excessive suite à une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, ou une calamité publique.

L’article 5 crée un fonds d’urgence à destination des collectivités territoriales et de leurs groupements afin de compenser les hausses de charges de fonctionnement, les pertes de recettes tarifaires et les dépenses d’investissement supplémentaires liées aux dégradations et restant à leur charge.

L’article 6 gage la proposition de loi par la création d’une taxe sur les superprofits.

 

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

Peuvent obtenir la réparation intégrale des préjudices matériels du fait des dégradations constatées lors des révoltes urbaines survenues à partir du 27 juin 2023 :

1° Les particuliers ;

2° Les petites et moyennes entreprises, dont les microentreprises, définies par le décret d’application n° 2008‑1354 de l’article 51 de la loi n° 2008‑776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie ;

3° Les établissements publics à caractère administratif et les établissements publics à caractère industriel et commercial ;

4° Les associations et organismes à but non lucratif.

Un arrêté interministériel paru au journal officiel précise les conditions de détermination des préjudices ouvrant droit à réparation. Ce dernier définit notamment les zones géographiques et les périodes couvrant les sinistres survenus lors des révoltes urbaines.

Article 2

I. – Il est créé un « Fonds d’indemnisation exceptionnel suite aux révoltes urbaines » doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, placé sous la tutelle des ministres chargés de l’économie, du budget et du commerce.

Cet établissement a pour mission de réparer les préjudices définis à l’article premier de la présente loi.

Un décret pris en Conseil d’État définit les règles d’organisation et de fonctionnement du fonds, dont la composition et les compétences de son conseil d’administration.

II. – Afin d’indemniser les particuliers et les entreprises respectivement mentionnés au 1° et 2° de l’article premier, le fonds est financé par un prélèvement sur les compagnies d’assurance dans les conditions suivantes :

1° Le prélèvement est assis sur les revenus des entreprises mentionnées à l’article L. 310‑2 du code des assurances, issus des primes ou cotisations des contrats d’assurance de biens qui garantissent les biens situés sur le territoire national et relevant des branches 3 à 9 de l’article R. 321‑1 du même code.

2° Le montant des prélèvements est fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances.

3° Cette contribution est recouvrée mensuellement par le fonds de garantie durant l’année suivant la publication de la présente loi.

III. – Afin d’indemniser les établissements publics et les organisations à but non lucratif mentionnés aux 3° et 4° de l’article premier, le fonds est financé par une contribution de l’État. Son montant est fixé par arrêté des ministres chargés de l’économie et du budget.

IV. – Le fonds est tenu de présenter à toute victime une offre d’indemnisation dans un délai de six mois à compter du jour où il reçoit de celle‑ci la justification de ses préjudices. Les victimes indemnisées ne se voient appliquer aucune franchise ni reste à charge. Ces dispositions sont également applicables en cas d’aggravation du dommage.

V. – Le demandeur dispose du droit d’action en justice contre le fonds d’indemnisation si sa demande d’indemnisation est rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au IV ou s’il n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite.

Article 3

Il est créé un fonds de solidarité et d’aide à la reprise économique des petites et moyennes entreprises touchées par les conséquences économiques, financières et sociales des révoltes urbaines survenues dès le 27 juin 2023.

Il est ouvert aux petites et moyennes entreprises mentionnées au 2° de l’article premier et n’étant pas couvertes par une garantie pertes d’exploitation.

L’indemnisation couvre la perte estimée de la marge brute en 2023, définie par la baisse du chiffre d’affaires multipliée par le taux de marge brute, ainsi que les éventuels frais supplémentaires engagés afin de maintenir une activité économique.

Afin d’évaluer la durée d’indemnisation, le fonds prend en considération le temps nécessaire à la reconstruction ou la réhabilitation des locaux en tenant compte de toutes les contraintes réglementaires liées soit à l’urbanisme soit à l’activité ; le délai de remplacement du matériel et de réapprovisionnement ; les délais de fabrication des produits ; la possibilité de maintenir une activité partielle ; le caractère saisonnier de l’activité.

Financé par une péréquation inter‑entreprises garantie par la création d’une taxe sur les superprofits à l’article 6 de la présente loi, le fonds est placé sous la tutelle des ministres chargés de l’économie, du budget et du commerce.

Un décret pris en Conseil d’État définit les règles d’organisation et de fonctionnement du fonds, dont la composition et les compétences de son conseil d’administration.

Article 4

Afin de prévenir des hausses excessives de prix des contrats d’assurance de dommage régis par les titres Ier et II du livre Ier du code des assurances, le Gouvernement peut arrêter par décret en Conseil d’État, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité.

Article 5

Il est créé un fonds d’urgence à destination des collectivités territoriales sinistrées et de leurs groupements, placé sous la tutelle des ministres en charge des collectivités territoriales et de la cohésion des territoires. Ce fonds a vocation à compenser les hausses des charges de fonctionnement, les pertes de recettes tarifaires et les dépenses d’investissement supplémentaires restant à la charge des collectivités territoriales à la suite des révoltes urbaines survenues à partir du 27 juin 2023.

Un décret pris en Conseil d’État définit les règles d’organisation et de fonctionnement du fonds, dont la composition et les compétences de son conseil d’administration.

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe sur les superprofits :

I. – A. – Il est institué une contribution additionnelle sur les bénéfices des sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 du code général des impôts qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 000 euros.

B. – La contribution additionnelle est due lorsque le résultat imposable de la société pour l’exercice considéré au titre de l’impôt sur les sociétés précité est supérieur ou égal à 1,25 fois la moyenne de son résultat imposable des exercices 2017, 2018 et 2019.

C. – La contribution additionnelle est assise sur le résultat imposable supplémentaire réalisé par rapport à 1,25 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités. La contribution additionnelle est calculée en appliquant à la fraction de chaque part de résultat imposable supérieur ou égale à 1,25 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités le taux de :

1° 20 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,25 fois et inférieure à 1,5 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités ;

2° 25 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,5 fois et inférieure à 1,75 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités ;

3° 33 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,75 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités.

II. – A. – Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu aux articles 223 A ou 223 A bis du code général des impôts, la contribution additionnelle est due par la société mère. Elle est assise sur le résultat d’ensemble et à la plus‑value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D dudit code, déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.

B. – Le chiffre d’affaires mentionné au I du présent article s’entend du chiffre d’affaires réalisé par le redevable au cours de l’exercice ou de la période d’imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d’un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis du code général des impôts, de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.

C. – Les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution additionnelle.

D. – Sont exonérées de la contribution prévue au présent I, les sociétés dont la progression du résultat imposable par rapport à la moyenne des exercices 2017, 2018 et 2019 résulte d’opérations de cession ou d’acquisition d’actifs, pour la fraction du résultat imposable de l’exercice concernée.

III. – Les dispositions du présent article entrent en vigueur à compter de la publication de la présente loi et sont applicables jusqu’au 31 décembre 2025.