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N° 1660

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer une ordonnance verte,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sandra REGOL, Cyrielle CHATELAIN, Jérémie IORDANOFF, Sébastien PEYTAVIE, Aurélien TACHÉ, JeanClaude RAUX, Sabrina SEBAIHI, Nicolas THIERRY, Christine ARRIGHI, Julie LAERNOES, Marie POCHON, MarieCharlotte GARIN, Julien BAYOU, Lisa BELLUCO, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Sandrine ROUSSEAU, Eva SAS,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les perturbateurs endocriniens représentent un problème majeur de santé publique contre lequel il convient de lutter. En effet, comme le pointent de nombreuses études scientifiques, ces molécules (parmi lesquelles le bisphénol A ou les phtalates) perturbent le fonctionnement hormonal normal de l’être humain et sont très fortement suspectées d’engendrer des conséquences néfastes pour sa santé, pouvant aller de l’altération des fonctions reproductrices (notamment l’infertilité) aux maladies thyroïdiennes en passant par des cancers hormono‑dépendants (cancers du sein, de l’utérus, de la prostate, des testicules), des troubles du spectre autistique, des troubles métaboliques (diabète), des troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité ou encore des troubles de l’immunité, et ce y compris à faibles doses d’exposition.

L’exposition à ces substances représente donc un danger pour la population française, et les sources d’exposition des citoyennes et des citoyens sont nombreuses : par l’air, par certains produits tels que les médicaments, les jouets ou les produits cosmétiques, mais aussi et surtout par l’eau et l’alimentation, les pesticides faisant partie des perturbateurs endocriniens. En outre, comme le rappelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail ([1]), certaines périodes de la vie constituent des périodes de vulnérabilité particulière (appelées « fenêtres d’exposition ») à ces substances. C’est le cas notamment des phases de transformations hormonales telles que la petite enfance, l’adolescence (et plus particulièrement de la puberté), mais aussi de la phase de développement fœto‑embryonnaire, qui constitue la première phase d’exposition.

C’est pourquoi, depuis la fin de l’année 2022, la ville de Strasbourg expérimente un dispositif innovant intitulé « ordonnance verte » ([2]). Initialement calibré pour concerner 800 femmes enceintes puis revu en juin 2023 face à son succès pour concerner 1 500 femmes dès janvier 2024 (soit plus d’un tiers des femmes enceintes de la ville), ce dispositif découpé en deux phases a pour objectif de lutter contre ce problème majeur de santé publique en ciblant plus particulièrement l’exposition par l’alimentation lors de la première fenêtre d’exposition aux perturbateurs endocriniens.

La première phase de l’ordonnance verte est constituée de deux ateliers de sensibilisation (« Les perturbateurs endocriniens : de quoi s’agit‑il, où les retrouve‑t‑on, quels bons gestes adopter pour s’en protéger ? » et « L’intérêt d’une alimentation saine et biologique pour la santé ») d’une heure et demie pour les femmes participant au dispositif. Ces ateliers gratuits sont assurés par des éco‑conseillers en santé et visent à informer la femme enceinte et son ou sa partenaire sur les perturbateurs endocriniens et sur les manières de les éviter au quotidien - par exemple en enseignant la fabrication des produits ménagers ou en limitant le recours aux plastiques.

La seconde phase est celle qui permettait initialement à la femme enceinte de bénéficier gratuitement et chaque semaine pendant sept mois d’un panier de fruits et légumes d’environ trois kilogrammes issus de l’agriculture biologique et locale, qu’elle peut récupérer dans différents lieux de distribution (centre sociaux‑culturels ou médiathèques par exemple). L’élargissement du dispositif de l’ordonnance verte à Strasbourg en juin 2023 a conduit à instaurer une durée de gratuité proportionnelle aux revenus (dite « durée solidaire »), les femmes aux plus bas revenus bénéficiant de sept mois gratuits et les femmes aux plus hauts revenus bénéficiant des paniers gratuits pendant deux mois, durée minimale nécessaire pour permettre un changement de comportement.

Les bénéfices attendus de l’ordonnance verte en termes de santé publique et le support qu’elles constituent à la fois pour promouvoir une alimentation durable mais aussi pour repenser le lien essentiel entre santé et alimentation rendent pertinent le fait d’élargir ce dispositif au niveau national en l’intégrant à la Sécurité sociale : c’est l’objet de cette proposition de loi, qui s’inspire des réussites des politiques locales pour construire la politique nationale et s’inscrit dans le prolongement de la deuxième stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens (SNPE 2) adoptée en 2019 par la France et qui se fonde sur l’approche « Une seule santé » en répondant à deux des trois axes identifiés (former et informer les citoyens et protéger l’environnement et la population)[3].

Mise en place au niveau national, l’ordonnance verte constituerait également un soutien non négligeable à l’économie locale et à l’agriculture biologique, qui traverse aujourd’hui une période difficile (‑5 % de ventes sur un an en octobre 2022) alors qu’elle est essentielle à la nécessaire transition agricole. À Strasbourg, la ferme Saint‑André vend ainsi la moitié des paniers qu’elle produit à la ville grâce à l’ordonnance verte.

Les coûts d’un tel dispositif ne sont par ailleurs pas exorbitants au regard des bénéfices qu’il apporte en termes de santé publique. En prenant en compte les chiffres de l’expérimentation strasbourgeoise initiale sur 800 femmes, qui représente un investissement d’environ 500 000 euros annuels, et en les extrapolant au niveau national et aux 723 000 naissances sur le territoire en 2022, on obtient un besoin de financement autour de 700 millions d’euros par an (dans l’hypothèse où l’ensemble des femmes enceintes auraient recours au dispositif) en prenant en compte l’intégralité des coûts, notamment les séances avec les éco‑conseillers en santé, que la présente proposition de loi confie aux services départementaux de protection maternelle et infantile. En comparaison, les coûts engendrés par l’exposition aux perturbateurs endocriniens atteindraient près de 160 milliards d’euros au niveau européen selon une étude publiée en mars 2015 : le coût de l’inaction est donc bien supérieur au coût de l’action.

L’article 1er de cette proposition de loi vise par conséquent à modifier les articles L. 2112‑2 et L. 2122‑1 du code de la santé publique afin d’une part de mettre en place, à destination des femmes enceintes et de leur partenaire, une séance collective obligatoire d’information sur les risques liés aux perturbateurs endocriniens organisée par le service départemental de protection maternelle et infantile et d’autre part à créer une « ordonnance verte », c’est‑à‑dire un droit d’accès à un panier de fruits et légumes issus de l’agriculture biologique pris en charge par la Sécurité sociale chaque semaine, et ce jusqu’à la douzième semaine suivant l’accouchement et indépendamment de ses revenus.

L’article 2 vise à compenser les coûts supplémentaires pour les collectivités territoriales ainsi que pour la Sécurité sociale.

 

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Après le 1° de l’article L. 2112‑2 du code de la santé publique, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Les séances collectives d’information obligatoires à destination des femmes enceintes et de leur partenaire sur les risques liés aux perturbateurs endocriniens, les sources d’exposition à ces substances ainsi que les moyens de limiter cette exposition en application de l’article L. 2122‑1 ; »

II. – Le troisième alinéa de l’article L. 2122‑1 du code de la santé publique est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« Lors de cet examen, la femme enceinte est informée de l’obligation de participer à une séance d’information collective sur les risques liés aux perturbateurs endocriniens dans un service départemental de protection maternelle et infantile, séance à laquelle peut également participer son ou sa partenaire. Elle se voit également proposer par un médecin ou une sage‑femme une ordonnance permettant la délivrance de paniers de fruits et légumes issus de l’agriculture biologique intégralement pris en charge par la sécurité sociale à raison d’un panier par semaine jusqu’à la douzième semaine qui suit l’accouchement, sans condition de ressource. »

III. – Les modalités d’application du présent article sont définies par décret.

Article 2

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


([1])  https://www.anses.fr/fr/content/travaux-et-implication-de-lanses-sur-les-perturbateurs-endocriniens

([2])  https://www.strasbourg.eu/ordonnance-verte

([3])  https://www.ecologie.gouv.fr/deuxieme-strategie-nationale-sur-perturbateurs-endocriniens-quel-bilan-mi-parcours