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N° 1741

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger l’intégrité des œuvres des réécritures idéologiques,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Louis THIÉRIOT, M. Éric CIOTTI, Mme Emmanuelle ANTHOINE, M. Thibault BAZIN, Mme Valérie BAZIN-MALGRAS, Mme Anne-Laure BLIN, M. Ian BOUCARD, M. Jean-Luc BOURGEAUX, M. Jean-Yves BONY, M. Xavier BRETON, M. Hubert BRIGAND, M. Dino CINIERI, Mme Josiane CORNELOUP, M. Pierre CORDIER, Mme Christelle D’INTORNI, Mme Marie-Christine DALLOZ, M. Vincent DESCOEUR, M. Francis DUBOIS, M. Jean-Jacques GAULTIER, M. Nicolas FORISSIER, Mme Annie GENEVARD, M. Philippe GOSSELIN, Mme Justine GRUET, M. Patrick HETZEL, M. Philippe JUVIN, M. Marc LE FUR, Mme Véronique LOUWAGIE, M. Emmanuel MAQUET, M. Yannick NEUDER, M. Éric PAUGET, M. Alexandre PORTIER, M. Nicolas RAY, M. Vincent ROLLAND, M. Raphaël SCHELLENBERGER, M. Vincent SEITLINGER, Mme Nathalie SERRE, M. Pierre VATIN, M. Alexandre VINCENDET, M. Stéphane VIRY, M. Damien ABAD, M. Xavier BATUT, M. Yannick CHENEVARD, Mme Laurence CRISTOL, M. Dominique DA SILVA, M. Jean-Carles GRELIER, Mme Marie GUÉVENOUX, Mme Claire GUICHARD, M. Benjamin HADDAD, Mme Brigitte KLINKERT, Mme Constance LE GRIP, Mme Patricia LEMOINE, M. Louis MARGUERITTE, M. Nicolas METZDORF, Mme Laure MILLER, M. Nicolas PACQUOT, M. Robin REDA, M. Charles RODWELL, M. Lionel ROYER-PERREAUT, M. Lionel VUIBERT,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les œuvres de création intellectuelle sont le lieu du dialogue fécond entre l’esprit d’un auteur, la réalité d’une époque et le monde contemporain. C’est par cette confrontation entre les maux et idées du présent et ceux du passé que se bâtit un esprit libre et critique.

Aujourd’hui, des œuvres du patrimoine culturel de l’Humanité sont menacées de disparition sous la pression du mouvement « wokiste » et de la « cancel culture ». Une nouvelle profession a vu le jour dans les maisons d’édition anglo‑saxonnes, celle de « sensitivy readers », censeurs modernes chargés d’épurer les œuvres du moindre passage susceptible de heurter les sensibilités contemporaines et de créer la polémique sur les réseaux sociaux.

Les œuvres des auteurs britanniques Ian Fleming, Roald Dahl et Agatha Christie sont les premières victimes de cette philosophie de l’effacement des contrariétés, et ce, à la demande même des héritiers dans l’affaire Agatha Christie.

Si nous ne pouvons évidemment pas interférer dans la législation britannique sur le droit moral des auteurs, il nous appartient en tant que législateur français d’inscrire dans la loi tous les garde‑fous qui permettront d’éviter que demain ce ne soit Molière qui soit passé au crible de la « relecture en sensibilité ».

Une telle évolution, nous pouvons l’éviter en écrivant noir sur blanc dans le code de la propriété intellectuelle que le droit de repentir et de retrait ne se transmet pas aux héritiers du droit moral de l’auteur.

Le droit moral de l’auteur est défini à l’article L. 121‑1 du code de la propriété intellectuelle, lequel dispose que « l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre », que ce droit est « attaché à sa personne », qu’il est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible », qu’il est « transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur » que son « exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ».

À la lecture de ces dispositions, il semble de prime abord que le droit de repentir et de retrait, qui est un attribut de ce droit moral puisse être transmis aux héritiers ce qui signifierait que des ayants droit d’un auteur mort depuis des siècles pourraient exiger des éditeurs la réécriture ou même le retrait de l’œuvre.

La jurisprudence a cependant rapidement admis que le droit de retrait et de repentir, contrairement aux autres prérogatives du droit moral de l’auteur (droit de divulgation, droit à la paternité et droit au respect de l’œuvre) n’était pas transmissible aux ayants droit de l’auteur décédé (TGI Seine, 1re ch., 15 avril 1964, Les misérables : Gaz. Pal. 1964, 2, p. 23, concl. Gulphe).

Textuellement, les dispositions de l’article L. 121‑4 du code de la propriété intellectuelle envisagent uniquement l’exercice du droit de repentir et de retrait par l’auteur en personne. Mais l’exclusion de l’exercice par ses héritiers n’est pas explicitement affirmée par les dispositions de l’article. Si la jurisprudence s’accorde aujourd’hui sur le caractère non transmissible du droit de repentir inspirée par le paradigme selon lequel « les successeurs n’ont pas qualité pour prendre des décisions qui procèdent de leurs opinions ou de leurs goûts » (Desbois H., Le droit d’auteur en France, Dalloz, 3e éd., 1978) et qu’ils sont au contraire asservis à un devoir de fidélité à l’œuvre de l’auteur, rien n’interdit un revirement de jurisprudence sous l’influence de la pression wokiste et de la cancel culture.

Afin de garantir la conservation du lien inhérent et exclusif entre l’auteur et son œuvre et que jamais un juge ne puisse dans l’avenir accepter que des héritiers du droit moral d’un auteur s’arrogent le droit de modifier l’œuvre de son auteur selon leurs propres opinions influencées par l’air du temps, il est impératif d’ajouter explicitement à l’article L. 121‑4 du code de la propriété intellectuelle que le droit de repentir et de retrait est intransmissible.

C’est l’objet de l’article 1er de la présente proposition de loi.

De plus, afin d’apporter plus de sécurité au respect de l’intégrité de l’œuvre, il est proposé que le ministre chargé de la culture soit également détenteur du droit au respect de l’œuvre. En effet, si les héritiers d’un auteur sont théoriquement les détenteurs de ce droit, rien ne dit qu’inspirés par leurs propres opinions, ils décident de ne pas exercer ce droit à défendre les atteintes portées à l’œuvre de leur parent. Le ministre chargé de la culture serait ainsi à même de défendre l’intégrité de l’œuvre dans le cadre d’une instance litigieuse afin de pallier la carence des héritiers.

C’est l’objet de l’article 2 de la présente proposition de loi.

 

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 121‑4 du code de la propriété intellectuelle’ est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le droit de repentir et de retrait ne peut être exercé que par l’auteur lui‑même. Il n’est pas transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur. Son exercice ne peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires. »

Article 2

Le chapitre Ier du titre II du livre Ier de la première partie du code de la propriété intellectuelle est complété par un article L. 121‑10 ainsi rédigé :

« Le ministre chargé de la culture dispose du droit au respect de l’œuvre qu’il peut exercer dans toute instance juridictionnelle afin d’en défendre l’intégrité. »