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N° 1742

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à réduire les prix des produits alimentaires
et de première nécessité,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Christine PIRES BEAUNE, Dominique POTIER, Boris VALLAUD, Joël AVIRAGNET, MarieNoëlle BATTISTEL, Christian BAPTISTE, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Inaki ECHANIZ, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Bertrand PETIT, Anna PIC, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Mélanie THOMIN, Cécile UNTERMAIER, Roget VICOT,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis l’été 2021, la France est touchée, comme toute l’Europe, par une forte inflation. Entre juillet 2021 et juillet 2022, l’augmentation générale des prix est passée de 1,5 % à 6,8 % avant d’atteindre 7,2 % au début de l’année 2023.

Le niveau d’augmentation des prix, variable en fonction des secteurs économiques et marchands, atteint parfois des sommets. La hausse des prix des produits alimentaire atteint plus de 21 % sur deux ans ([1]).

La hausse des prix alimentaires et des biens de première nécessité frappe directement le pouvoir d’achat des Françaises et des Français, en premier lieu celui de nos concitoyens les plus modestes et des classes moyennes qui y consacrent la part la plus importante de leur salaire.

Or, les salaires des plus modestes et des classes moyennes stagnent et ne permettent plus à nos concitoyens de faire face à la cherté de la vie alors que le Gouvernement et en premier lieu le Ministre de l’Economie Bruno Le Maire ont expliqué que les prix baisseraient dès cet été. C’est l’inverse qui se produit dans les rayons des magasins.

Le dernier baromètre de la pauvreté et de la précarité publié par le Secours populaire en partenariat avec Ipsos est alarmant ([2]). 1 Français sur 3 saute au moins un repas par jour. La même proportion de nos compatriotes déclare se priver pour leurs enfants. 43 % des personnes interrogées déclarent avoir des difficultés financières pour manger des fruits et légumes frais tous les jours, soit 16 points de plus qu’en 2018, avant la crise sanitaire et l’inflation due à la reprise économique et la guerre en Ukraine.

D’après l’Insee, les achats alimentaires des Français ont diminué de 11,4 % entre le dernier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2023 ([3]), un phénomène jamais vu depuis 1960.

Les associations de lutte contre la précarité voient les demandes d’aides exploser. Le récent appel à la solidarité lancé par M. Patrice Drouet, le Président des Restaurants du Cœur, témoigne du basculement opéré ces derniers mois : des millions de français sont contraints d’avoir recours à l’aide alimentaire. Sur la seule année 2022, la demande d’aide a augmenté de 9 % : 2,4 millions de personnes ont été accompagnées, d’après le réseau des Banques alimentaires.

Pendant plusieurs mois, l’inflation a pu s’expliquer par le contexte de guerre en Ukraine et la hausse des prix des matières premières.

Mais aujourd’hui la tendance s’est inversée et les prix des matières premières sont à la baisse. D’après les chiffres publiés par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ([4]), les prix agricoles ont diminué de 9 ,6 % sur un an. Les prix des céréales ont également chuté de 43,2 %. Entre mai 2022 et mai 2023, le blé tendre, le maïs et l’orge sont également en forte baisse (respectivement de 45,7 %, de 37,9 % et de 43,6 %).

Cette situation d’inflation n’est pas non plus la conséquence d’une hausse des salaires dans le secteur des industries agro‑alimentaires qui progressent moins vite que l’inflation ([5]).

Il faut donc regarder du côté du taux de marge des industries agroalimentaires, passé de 28 % à 48 % entre le premier trimestre 2021 et le premier trimestre 2023, ce qui correspond à une augmentation de plus de 70 %. Au cours de cette même période les profits bruts de l’industrie agroalimentaire sont passés de 3,1 milliards d’euros à 7 milliards. Sur 100 euros de valeur ajoutée, il reste 48 euros à l’entreprise une fois les salaires et les impôts de production payés.

Si les industriels portent une responsabilité clairement établie dans la hausse des prix alimentaires, la grande distribution ne doit pas pour autant être dédouanée. D’après l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ([6]), les marges de la grande distribution se tassent sur le premier trimestre 2023 mais restent en hausse, principalement tirées par une augmentation du prix des produits alimentaires et de première nécessité sur lesquels les industriels n’ont pas augmenté les leur.

En réponse à cette situation, le ministre de l’économie Bruno Le Maire demande…

Le 6 mars 2023 M. Bruno Le Maire annonce un « trimestre anti‑inflation » ([7]).

Le 7 avril 2023, dans un courrier adressé aux industriels et aux supermarchés, Bruno Le Maire demande de répercuter la baisse à venir du prix des matières premières sur les étiquettes ([8]).

Le 11 mai 2023, M. Bruno Le Maire demande un effort aux industriels de l’agro‑alimentaire ([9]).

Le 12 mai 2023, M. Bruno Le Maire demande aux industriels de réduire leurs marges pour faire baisser les prix ([10]).

Le 15 mai 2023, M. Bruno Le Maire donne jusqu’à fin mai aux industriels de l’alimentaire pour baisser les prix ([11]).

Le 5 juin, M. Bruno Le Maire menace de publier la liste des industriels de l’agroalimentaire qui ont refusé de faire baisser les prix ([12]).

La liste des demandes du ministre de l’économie sans résultats visibles dans les supermarchés est longue et témoigne de l’absence de volonté politique pour faire baisser les prix. Le législateur doit reprendre la main pour réguler le secteur de l’agroalimentaire et contrôler les marges des acteurs économiques.

La hausse des prix de l’alimentation, tirée par les profits d’une partie des industriels et de la grande distribution doit prendre fin de manière urgente. Un ensemble de mesures rapides et concrètes peut permettre de favoriser la transparence des prix et mettre un terme aux pratiques de tromperies commerciales.

Enfin, les annonces successives du ministre de l’économie et de la Première ministre pour autoriser la vente du carburant à perte sont un échec et un fiasco total. Les PDG de TotalEnergies, Carrefour, E.Leclerc, Intermarché et Système U ont en effet annoncé qu’ils ne vendraient pas de carburants à perte. C’est la raison pour laquelle il apparaît indispensable de mettre en place un dispositif de chèque carburant afin de protéger les Françaises et les Français, notamment des zones rurales et péri urbaines, qui n’ont pas d’autres choix que d’utiliser leur voiture au quotidien. Ciblé et proportionné, ce dispositif sera plus efficace que la remise carburant mise ne place par le Gouvernement qui aura coûté 8 milliards aux finances publiques en 2022. Cette mesure doit être financé par une taxe sur les superprofits des grandes entreprises comme Total qui a réalisé un bénéfice de 19 milliards d’euros en 2022, le plus important de son histoire.

L’article 1er vise à mettre en place un chèque carburant sur le modèle du chèque énergie.

L’article 2 vise à interdire les pratiques de « shrinkflation » et de « cheapflation » qui consistent pour un certain nombre d’industriels à diminuer le contenant d’un produit à un prix équivalent ou plus élevé sans en informer le consommateur.

L’article 3 vise à conditionner le dispositif de seuil de revente à pertes à une répartition équitable des gains réalisés entre les différents acteurs de la filière et au bénéfice du consommateur.

L’article 4 rend obligatoire les modalités de révision des prix pour obliger les industriels et la grande distribution à répercuter l’évolution à la baisse des prix.

L’article 5 vise à rendre obligatoire dans certains secteurs définis par décret, la transparence des prix pratiqués pour l’achat de matières premières agricoles dans les conditions générales de vente.

L’article 6 vise à expérimenter un affichage relatif au partage de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire. Le « rémunérascore » tel qu’il a été adopté en juin 2021 n’est pas opérationnel et ne permet pas aux consommateurs d’avoir connaissance du partage de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire. Il apparaît donc nécessaire de travailler rapidement sur de nouvelles méthodes pour faire avancer le sujet de la transparence.

L’article 7 gage la présente proposition de loi.

proposition de loi

Article 1er

Le chapitre IV du titre II du livre Ier du code de l’énergie est complété par un article L. 124‑6 ainsi rédigé :

« Art. L. 1246. – Le chèque carburant est un titre spécial de paiement permettant aux ménages, dont le revenu fiscal de référence n’excède pas un seuil fixé par le décret prévu au dernier alinéa et justifiant de trajets réguliers pour des raisons professionnelles dont la distance minimale est fixée par le même décret, d’acquitter tout ou partie du montant des dépenses d’énergie relatives à l’usage d’un véhicule terrestre à moteur.

« Le chèque carburant est émis et attribué à ses bénéficiaires par l’Agence de services et de paiement mentionnée à l’article L. 313‑1 du code rural et de la pêche maritime, qui en assure le remboursement aux personnes et organismes définis par le décret prévu au dernier alinéa.

« Les fournisseurs et les distributeurs d’énergie sont tenus d’accepter ce mode de règlement.

« L’administration fiscale constitue un fichier établissant une liste des personnes remplissant les conditions prévues au premier alinéa du présent article et comportant les éléments nécessaires au calcul du montant de l’aide dont elles peuvent bénéficier. Ce fichier est transmis à l’Agence de services et de paiement afin de lui permettre d’adresser aux intéressés le chèque carburant. L’agence préserve la confidentialité des informations qui lui sont transmises.

« Un décret détermine les conditions d’application du présent article. »

Article 2

L’article L. 121‑2 du code de la consommation est complété par un 5° ainsi rédigé :

« 5° Lorsqu’elle vise à dissimuler la baisse de quantité d’un produit pour un prix équivalent ou plus élevé sans en informer explicitement le consommateur ».

Article 3

Après le VIII de l’article 125 de la loi n° 2020‑1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, il est inséré un VIII bis ainsi rédigé :

« VIII bis. – Les dispositions du présent article relatives au seuil de revente à perte majoré sont reconductibles sous réserve d’un contrôle annuel de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires démontrant que la valeur qui en est issue est répartie équitablement entre les différents acteurs de la filière. »

Article 4

Le IV de l’article L. 441‑3 du code de commerce est ainsi modifié :

1° À la dernière phrase, les mots : « peuvent prévoir la prise en compte d’un ou de » sont remplacés par les mots : « prennent en compte » ;

2° Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Les indicateurs sont diffusés par les organisations interprofessionnelles. À défaut, l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ou l’établissement mentionné à l’article L. 621‑1 du présent code proposent ou valident des indicateurs. Ces indicateurs reflètent la diversité des conditions et des systèmes de production. »

Article 5

L’article L. 441‑3 du code de commerce est complété par un VI ainsi rédigé :

« VI. − Dans certains secteurs dont la liste est définie par décret, les conditions générales de vente présentent les bornes minimale et maximale entre lesquelles le prix de la matière première agricole a été fixé. »

Article 6

I. – Pour une durée de trois ans à compter d’une date fixée par décret et au plus tard le 1er janvier 2024, une expérimentation est menée, dans certains secteurs dont la liste est définie par décret, afin d’informer le consommateur sur les produits issus d’accords tripartites pluriannuels tels que définis à l’article 13 de la loi n° 2018‑938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous par la mise en place d’un affichage spécifique.

II. – Au plus tard douze mois avant le terme de l’expérimentation, un comité scientifique en réalise l’évaluation afin de déterminer les suites qu’il convient de lui donner. Ce comité comprend notamment des représentants du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, des représentants des producteurs, des représentants des industries agroalimentaires et de la grande distribution ainsi que des personnalités qualifiées dont la compétence est reconnue en matière de négociations commerciales. Sa composition est fixée par arrêté du ministre chargé de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Cette évaluation s’attache notamment à définir les effets de l’expérimentation en matière de transparence des prix et d’habitude de consommation. Elle détermine, le cas échéant, les conditions dans lesquelles l’expérimentation peut être prolongée, élargie ou pérennisée, en identifiant les caractéristiques des territoires et des publics pour lesquels elle est susceptible de constituer une solution adaptée à la transparence des prix et au meilleure partage de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire.

III. – Les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation prévue au I sont définies par décret. La liste des territoires participant à l’expérimentation est fixée par un arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie, du ministre chargé de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre chargé des relations avec les collectivités territoriales et du ministre chargée de l’insertion.

Article 7

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la majoration du taux du 1° du B du 1 de l’article 200 A du code général des impôts.


([1]) https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/09/29/huile-pates-papier-toilette-suivez-les-hausses-de-prix-avec-un-chariot-de-courses-de-produits-du-quotidien_6143702_3234.html

([2])  https://www.secourspopulaire.fr/barometre-17-ipsos-secours-populaire-observatoire-pauvrete-precarite-2023

([3]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/7625852#:~:text=En%20avril%202023%2C%20la%20consommation,achats%20de%20produits%20agricoles%20rebondissent

([4])  https://www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex/fr/

([5])  https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/010564542

([6])  https://observatoire-prixmarges.franceagrimer.fr/

([7])  https://www.lesechos.fr/politique-societe/gouvernement/grande-distribution-bruno-le-maire-annonce-un-trimestre-anti-inflation-1912339

([8])  https://www.francetvinfo.fr/economie/inflation/inflation-dans-un-courrier-adresse-aux-industriels-et-aux-supermarches-bruno-le-maire-hausse-le-ton-face-aux-acteurs-de-l-alimentation_5757935.html

([9])  https://www.ouest-france.fr/politique/bruno-le-maire/inflation-alimentaire-bruno-le-maire-demande-un-effort-aux-industriels-0fc33f7e-efe5-11ed-b3bc-e6c5fd5ee2eb

([10])  https://www.ouest-france.fr/politique/bruno-le-maire/bruno-le-maire-lance-un-appel-aux-industriels-reduisez-vos-marges-pour-reduire-vos-prix-81d9160a-f08b-11ed-a712-6e3ad690fa08

([11])  https://www.bfmtv.com/economie/consommation/bruno-le-maire-donne-jusqu-a-fin-mai-aux-industriels-de-l-alimentaire-pour-baisser-les-prix_AV-202305150413.html

([12])  https://www.francetvinfo.fr/economie/inflation/inflation-bruno-le-maire-menace-de-publier-avant-la-fin-du-mois-de-juin-la-liste-des-industriels-de-l-agroalimentaire-qui-ont-ont-refuse-faire-baisser-les-prix_5870288.html