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N° 1765

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2023.

PROPOSITION DE LOI

portant mesures d’urgence pour rétablir
une politique familiale ambitieuse,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Thibault BAZIN,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans un entretien télévisé en date du 15 mai 2023, le président de la République avait assuré vouloir « [aider] les Françaises et les Français qui travaillent dur [et] qui veulent bien élever leurs enfants ». Plus de quatre mois après cette annonce, force est de constater qu’aucune mesure concrète n’a été prise en ce sens.

Il y a pourtant urgence. En effet, les coûts auxquels sont confrontées les familles flambent sans que leurs revenus n’augmentent de manière proportionnelle. Ainsi, d’après les données de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), en août 2022, il fallait à un couple et deux enfants 191 € de plus qu’en août 2021 pour vivre décemment pendant un mois. Pour un couple avec 2 enfants et 2 adolescents, cette somme était de 284 €. Or, avec un niveau d’inflation s’étant maintenu à près de 6 % entre août 2022 et août 2023, cette tendance s’est encore aggravée.

Un risque de forte paupérisation menace aujourd’hui les familles françaises. À ce titre, le dernier baromètre de la pauvreté et de la précarité du Secours populaire (publié en septembre 2023 en partenariat avec l’IFOP) dresse un constat particulièrement édifiant. Il révèle que :

 46 % des familles ont des difficultés à faire face aux dépenses liées à leurs enfants (achat de fournitures scolaires, de vêtements, cantine…) ;

 36 % des familles disent ne pas pouvoir subvenir aux besoins essentiels de leurs enfants (repas, frais de santé, frais de scolarité, vêtements) ;

 36 % des parents se privent régulièrement de repas pour pouvoir nourrir leurs enfants (à titre de comparaison, ce taux est inférieur de 9 % en Pologne et de 12 % en Italie ou en Roumanie).

Si la conjoncture économique actuelle participe évidemment à la dégradation de la situation des familles de notre pays, elle ne peut servir de bouc émissaire à l’inaction des gouvernements successifs d’Emmanuel Macron. En effet, loin de revenir sur les mesures néfastes adoptées sous François Hollande, l’actuel président les a confirmées en actant :

– La remise en cause de l’universalité de la politique familiale en mettant sous conditions de ressources les allocations familiales ;

– La diminution du quotient familial de 834 euros.

Ces deux seules mesures ont, d’après la Cour des comptes, fait peser « un effort total proche de 3,3 Md€, soit en perte ou en réduction de prestations (1,55 Md€), soit en augmentations d’impôt sur le revenu (1,7 Md€) » ([1]) sur les familles considérées comme aisées. Or, l’expérience montre que ce sont les familles de classe moyenne qui ont été le plus concrètement touchées.

Plus encore, depuis 2017, Emmanuel Macron a conduit une politique de pénalisation systématique des familles. Ainsi :

– En 2018, il a raboté la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) pour un montant allant jusqu’à près de 546 euros pour un couple dont chaque parent travaille pour un revenu équivalent au SMIC ;

– En 2020, il a supprimé la majoration de l’indemnité journalière en cas de maladie pour les parents de trois enfants et plus, ce qui représente une perte de 33 % ;

– Depuis 2018, il a divisé par deux sur 95 % de notre territoire la quotité finançable du prêt à taux zéro (20 % au lieu de 40 %) – PTZ – pour toutes les familles de classe moyenne qui aspirent à devenir propriétaires et à offrir un foyer adapté à leurs enfants.

Ces facteurs matériels jouent pourtant un rôle essentiel dans la réalisation du désir d’enfant des familles. En effet, dans son étude de 2012, auprès de 11 000 familles, l’observatoire des familles UNAF/CNAF avait mis à jour l’importance des conditions financières et matérielles pour permettre l’arrivée d’enfants. Les déterminants suivants étaient ainsi considérés comme des préalables à l’accueil d’un enfant :

– Avoir un logement adapté pour accueillir un enfant (60 %) ;

– Qu’un des membres du couple (36 %) ou les deux (43 %) bénéficie(nt) d’un travail stable ;

– Avoir assez d’argent (27 %).

Il est important de noter qu’une telle absence de politique familiale produit déjà des effets négatifs. En 2022, seulement 723 000 enfants sont nés en France, soit le plus faible nombre de naissances depuis l’aprèsguerre.

Or, ce résultat alarmant pourrait bien constituer les prémices d’une dynamique plus profonde de décroissance démographique. D’après l’Insee, le taux de natalité a ainsi continué de baisser au premier semestre de 2023, à hauteur de 7 %, portant notre solde naturel à son niveau le plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Pourtant, la dernière étude de l’institut KANTAR relative au désir d’enfant (2020) ([2]) a démontré une grande stabilité, sur les dix dernières d’années, dudit désir qui s’établit à 2,39 enfants au moment où le taux de fécondité par femme est tombé à 1,76 enfant en 2022.

Cependant, ce constat n’est en rien une fatalité. Comme l’a écrit Gérard‑François Dumont, démographe, professeur à l’université Paris IV : « pour relancer la natalité, il suffit de revenir à ce qui a fait le succès de notre politique familiale pendant des décennies : son universalité. Il faut cesser de faire des entorses à ce principe et confondre la politique familiale avec une politique sociale redistributive » ([3]).

C’est précisément l’objet de cette proposition de loi.

L’article 1 rétablit l’universalité des allocations familiales, dans un format similaire à celui qui existait avant la réforme de 2013. Il est à noter que les excédents annuels de la branche famille de la sécurité sociale suffiraient à financer une telle mesure. En effet, ce rétablissement devrait coûter environ 760 millions d’euros (montant annuel des économies réalisés grâce à la modulation des allocations familiales) ([4]). Or, d’après les prévisions de la loi n° 2022‑1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023, à long‑terme (2026), les excédents de la branche famille seront de 0,7 milliard d’euros ce qui permettrait donc de financer cette mesure.

L’article 2 vise à étendre le principe d’universalité en débloquant le versement des allocations familiales dès le premier enfant.

L’article 3 revient lui sur la décision prise en 2013 par François Hollande et confirmée par la suite par Emmanuel Macron, de baisser le quotient familial. Cet article le rétablit donc à hauteur de son montant pré‑réforme (soit 2 336 euros) tout en l’actualisant de l’inflation cumulée depuis cette date (17,7 %). Concrètement, la réduction d’impôt résultant de l’application du quotient familial serait ainsi portée à 2 750 euros par demipart.

L’article 4 souhaite rendre la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) plus accessible en supprimant la condition de ressources conditionnant actuellement le versement de la prime à la naissance ou à l’adoption.

L’article 5 crée une « prime voiture » pour les familles nombreuses, en l’espèce ayant plus de trois enfants, afin de leur permettre d’acquérir un véhicule de 6 à 9 places. Sur le modèle du « bonus écologique », cette prime couvrirait 33 % du coût d’acquisition du véhicule (sous réserve que son prix soit inférieur ou égal à 47 000 euros toutes taxes comprises). Une personne physique ne pourrait en bénéficier qu’une fois tous les trois ans.

L’article 6 reprend le dispositif proposé par la députée Isabelle Valentin dans sa PPL n° 4067 (XVème législature) visant à porter l’indemnité de congé parental à hauteur de 80 % du salaire net, à donner aux parents la possibilité de répartir trois années de congé parental entre eux comme ils le souhaitent ainsi qu’à interdire le changement de poste d’un salarié durant son congé parental, mais aussi pendant une période de six mois à compter de son retour, sauf accord écrit de sa part.

L’article 7 demande au Gouvernement un rapport sur l’opportunité de fusionner l’ensemble des prestations familiales en une prestation unique afin de limiter les démarches administratives, coûteuses en temps et en énergie, que doivent effectuer les familles. Il s’agirait également d’un moyen pour lutter contre le non‑recours aux droits.

L’article 8 propose une expérimentation visant à verser l’allocation de rentrée scolaire sous la forme de bons d’achat afin de lutter contre le dévoiement de cette aide. Il s’agit d’une question de justice et d’efficacité.

L’article 9 vise à étendre le crédit d’impôt pour la garde d’enfants hors domicile. En effet, ce crédit d’impôt n’est actuellement ouvert que pour les dépenses effectivement supportées pour la garde des enfants âgés de moins de six ans. Or, de nombreux parents continuent d’avoir besoin d’une solution de garde en dehors des heures d’école après que leurs enfants aient passé l’âge de 6 ans. C’est par exemple le cas de certains postes qui nécessitent une garde avant l’école, bien souvent durant la pause méridienne, après l’école, le mercredi ou pendant les vacances scolaires… En conséquence, cet article 9 entend étendre le champ du crédit d’impôt aux dépenses effectivement supportées pour la garde des enfants âgés de moins de dix ans.

L’article 10 est un gage.

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le troisième et le dernier alinéa de l’article L. 521‑1 sont supprimés ;

2° Le dernier alinéa de l’article L. 755‑12 est supprimé.

Article 2

Au premier alinéa de l’article L. 521‑1 du code de la sécurité sociale, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « premier ».

Article 3

Au premier alinéa du 2. Du I de l’article 197 du code général des impôts, le montant : « 1 678 € € » est remplacé par le montant : « 2 750 € ».

Article 4

Les deuxième à dernier alinéas de l’article L. 531‑2 du code de la sécurité sociale sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« La date de versement de cette prime est fixée par décret ».

Article 5

Le chapitre V du titre 1er du livre II du code de l’action sociale et des familles est complété par un article L. 215‑5 ainsi rédigé :

« Art. L. 2155. – I. – Une aide, dite bonus famille nombreuse pour les voitures particulières neuves de grande capacité, est attribuée à toute personne physique majeure justifiant d’un domicile en France et ayant plus de trois enfants à sa charge, qui acquiert ou qui prend en location, dans le cadre d’un contrat d’une durée supérieure ou égale à deux ans, un véhicule automobile terrestre à moteur qui, à la date de sa facturation ou à la date de versement du premier loyer prévu par le contrat de location du véhicule :

« 1° Comporte, outre le siège du conducteur, au minimum cinq places assises ;

« 2° Comporte, outre le siège du conducteur, au maximum huit places assises ;

« 3° N’a pas fait l’objet précédemment d’une première immatriculation en France ou à l’étranger ;

« 4° Est immatriculé en France dans une série définitive ;

« 5° N’est pas cédé par l’acquéreur ou le titulaire d’un contrat de location dans l’année suivant sa première immatriculation ni avant d’avoir parcouru au moins 6 000 kilomètres ;

« 6° À un coût d’acquisition inférieur ou égal à 47 000 euros toutes taxes comprises.

« Une personne physique ne peut en bénéficier qu’une fois tous les trois ans.

« II. – Le montant de l’aide prévue au I du présent article est fixé à 33 % du coût d’acquisition toutes taxes comprises. Ce montant est majoré de 2 000 euros lorsque le véhicule est acquis ou loué par une personne physique dont le revenu fiscal de référence par part est inférieur ou égal à 14 089 euros.

« III. – Un décret précise les conditions d’application de cet article, notamment les pièces justificatives à fournir pour bénéficier de la présente aide. »

Article 6

I. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° L’article L. 1225‑48 est ainsi modifié :

a) Après le mot : « durée », la fin de la première phrase du premier alinéa est ainsi rédigée : « de trois ans au plus » ;

b) La seconde phrase du même alinéa est supprimée ;

c) À la seconde phrase du troisième alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « une ».

2° L’article L. 1225‑55 est ainsi modifié :

a) À la fin, les mots : « ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente » sont supprimés ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le salarié qui reprend son activité initiale à l’issue du congé parental d’éducation ou d’une période d’activité à temps partiel pour élever un enfant ne peut faire l’objet d’un changement des conditions de travail durant une période de six mois, sauf accord écrit de sa part. »

II. – L’article L. 531‑4 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa du 1 du I est complété par une phrase ainsi rédigée : « Son montant ne peut être inférieur à un montant correspondant aux quatre cinquièmes de la rémunération telle que définie à l’article L. 3221‑3 du code du travail perçue antérieurement. » ;

2° Le 2 du I est ainsi modifié :

a) La dernière phrase du premier alinéa est ainsi rédigée : « Il ne peut être inférieur à un montant correspondant aux quatre cinquièmes de la rémunération telle que définie à l’article L. 3221‑3 du code du travail perçue antérieurement. » ;

b) Après le mot : « honneur », la fin de la première phrase du deuxième alinéa est supprimée ;

c) Après la première phrase du deuxième alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le montant de cette prestation ne peut être inférieur à un montant correspondant aux quatre cinquièmes de la rémunération telle que définie à l’article L. 3221‑3 du code du travail perçue antérieurement. » ;

d) Après le mot : « pendant », la première phrase du dernier alinéa est ainsi rédigée : « trois ans » ;

3° Le 3 du I est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« La prestation partagée d’éducation de l’enfant est versée pendant une durée de trois ans » ;

b) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« Les deux membres du couple ont tous deux droit à la prestation. Le montant de la prestation est fixé par décret. » ;

c) À la première phrase du troisième alinéa, le mot : « étendue » est supprimé et le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « premier » ;

d) À la seconde phrase du troisième alinéa, le mot : « étendue » est supprimé ;

4° Après le mot : « durée », la fin du premier alinéa du IV est ainsi rédigée : « de trois ans » ;

5° À la première phrase du troisième alinéa du VI, les mots : « et que chacun d’entre eux fait valoir, successivement, son droit au montant majoré » sont supprimés.

Article 7

À titre expérimental, pour une durée de trois ans à compter d’une date fixée par décret, et au plus tard le 1er mars 2025, l’allocation de rentrée scolaire mentionnée à l’article L. 543‑1 du code de la sécurité sociale est versée sous forme de bons d’achat.

Les conditions de mise en œuvre de cette expérimentation sont déterminées par décret.

Au plus tard six mois après son terme, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de cette expérimentation.

Article 8

Dans les douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur l’opportunité de fusionner l’ensemble des prestations familiales en une prestation unique.

ARTICLE 9

À la première phrase du premier alinéa de l’article 200 quater B du code général des impôts, substituer à l’expression « six », l’expression « dix ».

ARTICLE 10

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les alcools prévue au chapitre III du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


([1])  Cour des Comptes, Sécurité sociale 2017, « Chapitre XI : Les reformes récentes des prestations familiales et de la fiscalité des familles.

([2])  Kantar, 2020, Désir d’enfant.

([3])  La croix, 17 mai 2021, « Comment relancer la natalité en France ? ».

([4])  Sénat, 26 janvier 2022, Proposition de loi « universalité des allocations familiales ».