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N° 1770

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à déconjugaliser l’allocation de soutien familial,

(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Hadrien CLOUET, Sarah LEGRAIN, Clémence GUETTÉ, Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

Député-e-s.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Si l’urgence sociale est aujourd’hui ressentie dans tous les foyers, les familles monoparentales y sont particulièrement exposées. En France, une famille sur quatre est une famille monoparentale, soit 2 millions de foyers en 2020. Le nombre de parents isolés est en constante augmentation depuis plusieurs décennies. Pourtant, leur statut n’est assorti que de droits très parcellaires qui, s’ils ont le mérite d’exister, ne suffisent pas à leur garantir des conditions de vie dignes.

Les parents isolés doivent faire face à une convergence de défis sociaux. Les coûts et les exigences liés à la charge d’un ou plusieurs enfants ne sont pas partagés, mais assumés avec un seul revenu. Si ces besoins sont amenés à varier selon l’enfant, leurs poids sur une seule personne, avec un seul revenu dans le meilleur cas, est une situation particulièrement précaire : en 2019, le taux de pauvreté des familles monoparentales était de 19 %, soit plus de deux fois la moyenne nationale. Davantage représentées dans les derniers déciles, leur niveau de vie est en moyenne inférieur de 35 % par rapport aux familles avec deux parents (Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge [HCFEA], 2021).

Leur accès à l’emploi est particulièrement difficile : dans un tiers des familles monoparentales, le parent avec lequel l’enfant réside la plupart du temps n’a pas d’emploi. Parmi les parents isolés qui sont en emploi, 23 % sont à temps partiel, dont 40 % subis (Observatoire français des conjonctures économiques [OFCE], 2020). Le manque de ressources plonge 30 % de ces parents isolés dans la privation matérielle et sociale, contre 13 % pour l’ensemble de la population (Institut national de la statistique et des études [Insee], 2023). La question du logement est également très préoccupante : alors que les familles monoparentales ne représentent que 16 % des ménages de France hors Outre‑mer, 37 % d’entre elles logent dans le parc habitation à loyer modéré (HLM).

La situation sociale de ces parents isolés s’est, qui plus est, très probablement aggravée depuis que les dernières études ont été conduites, considérant l’inflation record que nous connaissons aujourd’hui. Il est donc urgent d’adopter une politique sociale qui lutte contre la paupérisation des familles monoparentales.

Il est impossible de détacher de ces enjeux sociaux la question du respect des droits de l’enfant. Si ce sont les parents qui reçoivent les factures, les enfants en payent eux aussi le prix fort. L’Insee estime que 41 % des enfants de parents isolés vivent sous le seuil de pauvreté, contre 20,7 % des enfants dans l’ensemble de la population (chiffres de 2020). Cette rupture d’égalité a des conséquences concrètes et dramatiques sur la vie de ces enfants. Tout ce qui est nécessaire à leur développement et épanouissement n’est pas assuré. Par exemple, un quart des enfants de familles monoparentales vivent dans un logement considéré comme surpeuplé. Leur scolarité est également perturbée, avec 25 % d’entre eux qui ont redoublé au moins une fois en primaire.

Si les aides existent, celles‑ci sont souvent limitées dans le temps (revenu de solidarité active [RSA]), ou conditionnées à la charge de plusieurs enfants (allocations familiales), mais systématiquement insuffisantes (demi‑part fiscale supplémentaire dans la déclaration de revenus). En outre, la disparition de l’allocation de parent isolé (API) est emblématique du manque de considération par les pouvoirs publics du risque de précarité qui pèse sur ces enfants.

La seule allocation qui leur est aujourd’hui réservée est l’allocation de soutien familial (ASF). Créée en 1984, l’ASF a pour objectif d’aider à l’éducation d’enfants privés du soutien d’au moins un des parents. En 2022, cette allocation était versée à près de 800 000 familles. Son montant s’élève actuellement à 187,24€ par mois et par enfant à charge. L’ASF est essentielle à la survie de nombreux parents isolés. D’après l’enquête revenus fiscaux et sociaux (ERFS) 2019 de l’Insee, les familles monoparentales les plus modestes perçoivent davantage l’ASF qu’une pension alimentaire. Pourtant, l’allocation cesse d’être due si le parent isolé se marie, se pacse ou vit en concubinage. Cette forme de conjugalisation est injuste, puisqu’ils et elles demeurent seul.es responsables parent de l’enfant. Elle pénalise financièrement l’amour, impliquant pour le parent seul de perdre près de 10 % de ses revenus s’il est rémunéré au salaire minimum de croissance (SMIC) et se déclare en couple. Elle reporte aussi les engagements vers le beau‑parent, dont on considère qu’il doit se substituer au parent absent pour subvenir aux besoins de l’enfant.

La question des familles monoparentales est par ailleurs éminemment féministe puisque 83 % des parents isolés sont des mères isolées. Les enjeux d’émancipation sociale autour des familles monoparentales sont connexes du manque persistant d’égalité entre les femmes et les hommes dans notre société. Ces personnes subissent tant les difficultés d’être isolées que celles d’être mères, ou simplement femmes.

Les indicateurs généraux montrent que leur niveau de vie moyen est inférieur de 20 % à celui des pères isolés. L’accès à l’emploi est encore plus compliqué avec 17,2 % des mères isolées au chômage, contre 8,3 % des mères vivant en couple. Lorsqu’elles travaillent, les mères isolées sont plus exposées aux temps partiels et aux contrats à durée déterminée (CDD). La charge d’un ou plusieurs enfants est d’autant plus complexe que ces mères l’assument seules, dans un pays où 160 000 femmes renoncent déjà à reprendre le travail pour s’occuper de leurs enfants, faute de solution de garde. L’origine sociale est un facteur d’inégalité supplémentaire, avec une surreprésentation des familles monoparentales dans les quartiers populaires, dont 40 % n’ont pas de crèches qui plus est.

Les mères isolées sont à l’intersection d’une multitude d’inégalités qui, en plus d’ajouter à la précarité, ajoutent aux épreuves sociales, salariales, financières et psychologiques auxquelles les parents sont par nature sujets. Les enfants subiront eux aussi la précarité, la privation, la discrimination et les risques psychologiques. Accompagner ces familles avec des politiques publiques fortes et protectrices permettrait alors de garantir un plus fort respect des droits de tous les enfants et de toutes les femmes, comme cette proposition tend à le faire en individualisant l’allocation de soutien familial (ASF).

L’article 1er vise à individualiser l’allocation de soutien familial (ASF) pour assurer que son versement ne soit pas remis en cause si la situation conjugale de l’allocataire évolue. Aujourd’hui, une mère isolée qui se met en concubinage ou se pacse perd automatiquement son droit à l’ASF. Or, ce nouveau partenaire n’assumera pas nécessairement la charge financière et/ou éducative d’un enfant qui n’est pas le sien. Ce nouveau partenaire n’exerce pas d’autorité parentale et n’a légalement ni droits ni devoirs envers l’enfant. Le parent isolé demeure par conséquent seul responsable parental, mais amputé du soutien financier de l’ASF.

L’article 2 compense les charges induites par la présente proposition de loi.


proposition de loi

Article 1er

Le dernier alinéa de l’article L. 523‑2 du code de la sécurité sociale est supprimé.

Article 2

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du Titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.